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Billet de blog 7 mai 2016

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Pourquoi gonfler les chiffres ?

Nous sortons de la COP21. Objectif : réduire nos émissions de gaz à effet de serre, remplacer les énergies fossiles par des sources décarbonées, renouvelables et nucléaire. Oui, mais certains opposent les deux catégories. Comme ils refusent le nucléaire, ils misent tout sur les renouvelables, notamment l’éolien et le photovoltaïque. D’où une tendance récurrente à gonfler les chiffres. Voyons.

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.Corine Lepage a coordonné un rapport commandé par la ministre de l’environnement. Il a été rédigé par 27 personnes, et remis à la ministre le 12 juin 2015 sous le titre L’Economie du Nouveau Monde. Page 26 de ce rapport, on trouve l’affirmation suivante : « Ainsi, en 2014, l’énergie solaire représente 10 % de l’électricité du monde et devrait en représenter 20 % d’ici 2030 ». Comme ce chiffre me parait élevé à la lecture (10%, c’est beaucoup), je consulte les données de l'AIE, l’Agence Internationale de l’Energie, publiées dans son rapport de 2015. (IEA-PVPS_-_Trends_2015_-_Executive_Summary_-_Final.pdf). On apprend là que la production mondiale d’électricité photovoltaïque a été en 2014 de 212 TWh, sur une production mondiale totale de plus de 20000 TWh. Le photovoltaïque ne représente donc pas 10%, mais 1% de l’électricité mondiale ! Erreur de frappe ? Surement pas, car Corine Lepage répète volontiers ce chiffre dans les débats où elle intervient. Comment peut-on écrire et dire des choses aussi fausses ? L’examen de la liste des rédacteurs fait apparaitre qu’il n’y a parmi eux aucun scientifique professionnel, mais qu’il y a Thierry Lepercq, PDG de Solaire Direct, une entreprise française spécialisée dans le photovoltaïque. Il devrait donc savoir, lui ! Oui … mais non, car il vient d’HEC, ce qui est parfait pour monter des entreprises et lever des fonds, mais moins bien, apparemment, pour évaluer les potentialités physiques du photovoltaïque. Nous y reviendrons.

Ouvrons à présent Libé du mardi 26 janvier. Yannick Jadot, député européen Europe Ecologie Les Verts, affirme : « Plus de la moitié des nouvelles installations de production électrique dans le monde sont dorénavant des renouvelables ». En terme de puissance installée, c’est vrai. En terme d’énergie délivrée, c’est faux, et de loin. Où est le tour de passe-passe ?

La puissance installée d’une éolienne, c’est, par définition, la puissance maximale qu’elle peut délivrer, dans les meilleures conditions de vent. Pareil pour une installation photovoltaïque (on parle alors de puissance-crête, obtenue sous les meilleures conditions d’ensoleillement). Oui, mais il y a des jours sans vent, et l’expérience montre que la nuit, il n’y a pas de soleil. Dans les deux cas, pas d’électricité délivrée. On appelle cela l’intermittence. Il convient donc raisonner en terme de puissance moyenne, celle qui est directement reliée à l’énergie produite au cours d’une année de fonctionnement. Or la puissance moyenne du parc éolien européen est d’environ 1/5ème de la puissance installée : vous installez 100, vous récupérez en moyenne 20. Pour le photovoltaïque, vous installez 100, vous récupérez en moyenne 12. Pour grossir les performances, il suffit d’annoncer que vous avez installé 200, sans dire qu’en moyenne vous ne récupérez que 32 ! En réalité, on met mondialement en place chaque année 3 fois plus d’électricité d’origine fossile que d’origine éolienne ou photovoltaïque. Pourquoi le cacher ?

Mettons les choses en perspective. Nos émissions de gaz à effet de serre, tous secteurs confondus - et pas seulement la production d’électricité - augmentent à un rythme de 3% par an (hors crise économique). Tout simplement parce que notre consommation d’énergie fossile augmente à ce rythme. Pour stabiliser ces émissions, il faudrait remplacer cette augmentation par des sources décarbonées. Mais si on fait le compte de tout ce que nous sommes capables de mettre en place aujourd’hui, on constate qu’il manque un facteur 8. Penser que ce sera possible sans faire appel à toutes les technologies, nucléaire compris, c’est se condamner à laisser dériver et nos émissions et le changement climatique.    

Il se développe un imaginaire de l’énergie fait d’images d’Epinal se substituant à la réflexion rationnelle : ainsi, il suffirait de quelques panneaux photovoltaïques sur le toit de la maison, d’une éolienne au fond du jardin, d’un peu d’amour et d’eau fraîche pour résoudre les problèmes d'énergie - et les autres.

               Est-ce bien sérieux ?

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