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Billet de blog 7 mai 2016

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Viser la bonne cible

Une comparaison France-Allemagne, et un mot sur une étude de l'ADEME

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Quand on vise un objectif, il ne faut pas se tromper de cible

Le 12 décembre dernier, l’accord de Paris de la COP21 a entériné mondialement l’objectif de décarboner nos sociétés, de sortir des combustibles fossiles. Ce ne sera pas chose facile, car ils constituent 80% de nos sources primaires d’énergie.

De ce point de vue, l’Allemagne est souvent donnée par les écologistes comme un exemple de bonne conduite : l’argument tient à ce que nos voisins ont mis en place ces dernières années environ 40 milliards de Watts (on dit GW) de puissance éolienne et 40 GW de puissance photovoltaïque. Par comparaison, en France, nous n’avons que 10 GW installés en éolien, et 6 GW en photovoltaïque, donc 16 GW au total, soit cinq fois moins qu’en Allemagne. Cinq fois moins.

Comment ces puissances électriques se comparent-elles à la puissance totale installée ?

La puissance nucléaire en France est d’un peu plus de 60 GW. L’Allemagne dispose donc, en électricité renouvelable, d’environ 20 GW de plus que la puissance nucléaire française. Comme, dans les deux cas, il s’agit de sources d’électricité non émettrices de gaz carbonique dans leur fonctionnement, on s’attend à ce que ces émissions soient comparables.

Or, si l’on consulte les données de l’Agence Internationale de l’Energie, on trouve que 1 MWh produit en Allemagne émet 7 fois plus de CO2 qu’un MWh produit en France. Vous avez bien entendu : 7 fois plus. Comment est-ce possible ?

Voici ce qui se passe. Comme je vous l’ai dit lors de ma première chronique, exprimer les choses en termes de puissance installée est trompeur. La puissance installée, c’est - par définition - la puissance maximale qu’une installation peut délivrer, lorsque les conditions de production sont optimales. Mais pour des sources intermittentes, les conditions ne sont pas toujours optimales. En réalité, pour l’éolien, la puissance moyenne, sur une année, est de un cinquième de la puissance installée, et pour le PV, de un dixième. Un cinquième dans un cas, un dixième dans l’autre. La puissance renouvelable installée en Allemagne correspond donc, en moyenne, à 8 GW pour l’éolien (et non 40), et à 4 GW pour le PV (et non 40). Au total, cela fait 12 GW, et non 80 !

Cela fait que ces puissances éolienne et solaire ne délivrent en réalité que 15 pour cent environ de la consommation électrique en Allemagne, alors que l’énergie nucléaire en France fournit près de 80% de nos besoins. De plus, l’énergie renouvelable en Allemagne est venue pour l’essentiel compenser la diminution de la production nucléaire (8 centrales ont été fermées après Fukushima). L’effet sur la consommation des énergies fossiles a été réel, mais marginal.  

Ce n’est donc pas demain la veille que les choix effectués par notre grand voisin permettront de ramener ses émissions de gaz à effet de serre au niveau français – ou suédois.

Voici donc l’état comparé des lieux : l’Allemagne a dépensé environ 300 milliards d’euros pour installer une puissance renouvelable qui ne lui fournit que 15 % de son électricité, conduisant à un mix électrique 7 fois plus émetteur de gaz à effet de serre qu’en France, à un prix du MWh pour le consommateur double du prix français. Chapeau !

En fait, l’expérience en vraie grandeur menée par notre voisin doit être prise pour ce qu’elle est : un choix consistant à mettre en priorité la sortie du nucléaire par rapport à la sortie des fossiles.

« Mais ce n’est que provisoire ! », disent les mouvements écologistes qui, je n’en doute pas, sont convaincus de la nécessité de sortir des fossiles. A preuve, la publication d’études montrant qu’il est possible de concevoir, d’ici 2050, un mix électrique entièrement à base d’énergies renouvelables. Il s’en publie en Allemagne et aux Etats-Unis. Vous avez peut-être remarqué récemment une étude de l’ADEME allant dans ce sens, intitulée « Un mix électrique 100% renouvelable ? »

Quiconque a lu des comptes-rendus de cette étude pense qu’il s’agît d’un scénario énergétique, autrement dit d’une étude qui part de la situation présente, et qui envisage les moyens techniques et financiers d’obtenir d’ici 2050 le mix électrique désiré. Toutes les personnes que j’ai rencontrées connaissant l’existence de cette étude croient en toute bonne foi qu’il s’agit de cela. Et c’est normal, car c’est l’état psychologique d’attente dans lequel on se place lorsqu’on réfléchit à la question : « comment faire évoluer le mix électrique ? » On se dit que les gens qui publient là-dessus doivent proposer des scénarios.

C’est très troublant. Pourquoi ? Parce que l’introduction de l’étude dit explicitement que ça n’en est pas un. Je cite : « Il s’agit ici d’une étude scientifique à caractère prospectif et exploratoire et non pas d’un scénario politique. Les mix électriques envisagés restent en effet théoriques, puisqu’ils sont construits ex nihilo, et ne prennent pas en compte la situation actuelle, ni le scénario pour arriver au résultat ».  

Vous avez bien entendu : on fait table rase de tout ce qui existe, on part des données de vent et d’ensoleillement du territoire, on se donne une gamme de prix supposés de mise en œuvre en 2050 pour ces technologies et d’autres venant en complément (hydroélectricité, biomasse, stockage à diverses échelles de temps) et on construit le mix électrique désiré.

 Je cite cette fois la fin de l’introduction de l’étude : « certains objecteront sans doute que l’étude est incomplète, car nous ne tenons pas compte de l’existant (encore !) et ne programmons pas la trajectoire des investissements : ils auront raison. » Fin de citation.

S’il n’y a pas de « trajectoire d’investissements », aucun conseil ne peut être donné au gouvernement. Or l’ADEME se définit comme « l’opérateur de l’Etat pour accompagner la transition écologique et énergétique. » Elle ne fait donc pas son boulot d’Agence publique.

Qu’est-ce donc que cette étude ? Un leurre purement idéologique, hélas !

Et sur le fond, à quoi sert-elle ? Je vous le dis en toute franchise : je crois qu’elle ne sert à  rien…

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