Aller-retour aux Canaries
Wikipedia nous apprend que les îles Canaries forment un archipel situé dans l'océan Atlantique, au large des côtes occidentales de l'Afrique, face au Maroc. L'archipel est composé de sept îles principales d'origine volcanique réparties d'est en ouest : Lanzarote, au relief fortement marqué par un volcanisme récent et encore actif, Fuerte ventura, assez plate, très aride et la plus proche du continent, Tenerife, la plus grande, la plus peuplée et la plus élevée avec le Teide, point culminant de l'archipel et de l'Espagne, Grande Canarie, au relief escarpé à l'intérieur de l'île, La Gomera, aux vallées encaissées, La Palma, la plus humide et la plus boisée de l'archipel, et El Hierro, la plus petite et la plus sauvage. El Hierro fait 270 km2 et 8000 personnes environ y vivent de façon permanente.
Si vous faites une recherche sur Google, l’expression « Iles Canaries » reçoit 1 630 000 réponses – en tout cas, c’était le résultat hier à 22h50. Mais si vous faites une recherche sur El Hierro, la plus petite des îles, vous recevez 1 970 000 entrées.
Pourquoi une île aussi petite attire-t-elle l’attention ? C’est qu’une expérience s’y déroule, qui devrait déterminer si le monde sera jamais capable de se passer des combustibles fossiles et tirer sa puissance électrique des seules énergies renouvelables. Et d’ailleurs le 12 février 2015, à l’Unesco, Ségolène Royal, ministre française de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, a remis le Trophée 2015 des Energies Renouvelables à Monsieur Alpidio Armas, le président de l’administration insulaire d’El Hierro et de sa novatrice centrale hydro-éolienne.
L’expérience, du nom de Gorona del Viento, met en effet en jeu une centrale couplant des turbines éoliennes et un dispositif hydroélectrique qui, selon les promoteurs du projet « sera un exemple repris dans le monde entier ». Pourquoi ? Parce qu’il est supposé pouvoir fournir 100% de l’électricité d’El Hierro à partir d’énergies renouvelables, et si le système fonctionne à El Hierro, il fonctionnera aussi bien ailleurs. Gorona del Viento est, en d’autres termes, une expérience exemplaire d’un futur où la demande d’énergie sera satisfaite par des renouvelables propres, sans carbone, et c’est la raison pour laquelle elle a attiré l’attention du monde entier.
Dans quelle mesure Gorona del Viento a-t-elle été capable, à ce jour, de s’approcher de l’objectif des 100% renouvelables ? Je vous livre ici le bilan qu’en tire Roger Andrews, un ingénieur en géophysique qui a analysé en détail les données de production électrique de l’île, et a publié ses résultats sur l’excellent site « Energy matters » : « L’énergie, ça compte ».
Depuis que l’opération a démarré, en juin 2015, pas plus d’un tiers de la demande d’électricité a été d’origine renouvelable. Les deux-tiers restants ont été fournis par la centrale au diesel, toujours en place, et que le projet devait justement remplacer. Selon les calculs s’appuyant sur les résultats observés à ce jour, la centrale ne sera jamais capable de fournir plus de 50% des besoins en électricité d’El Hierro. Comment expliquer cet échec ?
En fait, rien n’a bien fonctionné.
Premièrement, la centrale a été sous-dimensionnée. Coupler éolien et hydraulique est a priori une bonne idée. En effet l’électricité éolienne n’est pas utilisable directement, car elle est fluctuante et parfois même il n’y a pas de vent. Une installation hydroélectrique, elle, fournit un courant réglable à la demande, mais ne fonctionne que pour autant que le lac réservoir contient de l’eau. Or cette centrale dispose d’un réservoir bas qui permet de récupérer l’eau une fois turbinée. L’idée est donc d’utiliser l’électricité éolienne pour remonter l’eau dans le réservoir haut et qu’elle soit ainsi turbinée en continu. Les pertes sont de 40 %. A El Hierro, la puissance éolienne installée est de 11,5 MW (5 éoliennes !) et la centrale hydroélectrique a une puissance de 11 MW. Mais en fait ces 11,5 MW de puissance éolienne ne peuvent fournir que les deux-tiers de la demande annuelle d’El Hierro, et moins de la moitié lorsqu’on tient compte des 40% de pertes dans le circuit hydroélectrique.
Deuxièmement, lorsqu’il fut décidé que ces 40% de pertes étaient inacceptables, le concept opératoire fut changé. On décida que toute la puissance éolienne que le réseau pouvait absorber lui serait envoyée directement, sans passer par l’installation hydroélectrique. Cela a posé des problèmes de stabilité de réseau – toujours ces problèmes de fluctuations du vent - et jusqu’à présent la seule solution trouvée a été de continuer à faire fonctionner les générateurs diesel et de perdre une grande partie de la puissance éolienne.
Troisièmement, Gorona del Viento reconnait que les générateurs diesel vont être nécessaires en appoint, mais seulement, je cite, « de manière exceptionnelle, lorsqu’il n’y aura pas assez de vent pour satisfaire la demande d’énergie. » L’expérience montre cependant que ces cas sont loin d’être exceptionnels. La période allant de septembre 2015 à janvier 2016 a été caractérisée par des vents dominants faibles, et pendant 22% du temps, la ferme éolienne n’a pas produit d’énergie du tout. Gorona del Viento n’a fourni que 20% de l’électricité pendant cette période. Les générateurs diesel ont fourni le reste.
Quatrièmement, Gorona del Viento admet aujourd’hui que les deux réservoirs de la centrale hydroélectrique sont trop petits. En vérité, ils sont 20 fois trop petits. Le stockage nécessaire pour maintenir la production d’électricité d’El Hierro pendant une baisse du régime de vent d’une durée de cinq mois est très grand, et la capacité propre de stockage des réservoirs d’El Hierro, lorsqu’ils sont complètement remplis, ne peut satisfaire la demande que pendant deux jours.
Quelles sont donc les chances de pouvoir augmenter les caractéristiques de Gorona del Viento pour approvisionner El Hierro avec 100% de renouvelables ? De fait, elles sont nulles.
Doubler la taille de la ferme éolienne doublera la production pendant les périodes bien ventées où un surcroit de puissance éolienne n’est pas nécessaire, car elle dépasse déjà la demande et la capacité de stockage hydraulique, mais pendant les périodes de faible vent où plus de puissance éolienne serait nécessaire, cela n’aura qu’un faible impact (deux fois rien, ce n’est pas grand-chose). La taille des réservoirs devrait être augmentée au point de pouvoir stocker assez d’énergie pour faire face à une période de vents faibles pouvant durer jusqu’à cinq mois. Les conditions de stabilité du réseau imposent de pouvoir se débarrasser de la puissance éolienne lorsqu’elle est excédentaire, et même si ce problème était réglé, la centrale ne serait toujours pas capable de s’approcher d’une production 100% renouvelable tout au long de l’année.
Gorona del Viento apparait donc comme un projet mal conçu, surmédiatisé, et qui n’a aucune chance d’atteindre son but. D’un coût de plus de 80 Millions d’€ - dont 35 en provenance de l’Europe – fournissant une électricité au prix de 800 €/MWh, soit 8 fois plus qu’en France et 4 fois plus qu’en Allemagne, ce n’est pas non plus un projet bon marché. En tant que projet phare, destiné à montrer comment le monde pourrait se fournir en électricité 100% renouvelable, il échoue totalement.
Ce qu’il révèle, en revanche, c’est la difficulté de mettre en place un système électrique ayant une large part de renouvelables – difficultés que les enthousiastes des renouvelables prennent rarement en considération lorsqu’ils se font les avocats d’un futur énergétique sans carbone, basé sur la puissance éolienne et solaire.