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Billet de blog 13 juin 2016

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Que faire de la peur ?

L'intérêt pour les effets présumés des ondes de téléphonie mobile sur la santé a été relancé par la publication d'une étude sur des rats du National Toxicology Program américain. Cette publication ne permet de tirer aucune conclusion sur l'exposition aux portables, tant les conditions sont différentes. Mais faut-il disposer de fondements scientifiques pour générer de la peur ?.

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Le Monde du 28 mai a affiché un titre inquiétant : « Une étude américaine renforce les soupçons d’un lien entre cancers et téléphonie mobile ».

Résultats préliminaires d’une étude du National Toxicology Program ayant duré deux ans et demi et coûté 20 millions de dollars sur des groupes de 90 rats soumis à un régime intense de radiofréquences semblables à celles utilisée dans la téléphonie mobile aux USA.

Deux types d’effets analysés : gliomes cérébraux (cancers) et schwannomes cardiaques. L’effet sur les gliomes est trouvé faible, celui sur les schwannomes cardiaques mieux établi … mais le schwannome n’est pas un cancer ! Passons sur l’erreur du journaliste.

Le corps entier des rats était exposé tout au long de leur vie, 18 heures par jour, suivant un cycle de 10 mn d’exposition et 10 mn sans exposition.

 Que tirer d’une publication si partielle que le CIRC, le centre international de recherche sur le cancer, préfère attendre la publication de l’ensemble des résultats pour les commenter et formuler des recommandations ?

 Quelques remarques :

Cette étude ne permet en fait aucune conclusion quant à l'exposition aux portables (ou aux antennes relais), qui délivrent une exposition bien différente.

En effet, tout le corps des rats était exposé de manière homogène alors que l'exposition au portable concerne essentiellement la tête, ce qui permet à la vascularisation de maintenir la température des zones les plus exposées à une valeur pratiquement normale.

D'autre part, la puissance du rayonnement pour une exposition de l'ensemble du corps était, selon les groupes de 90 rats, de 1,5 ; 3 et 6 W/kg, alors que la réglementation limite dans ce cas l'exposition humaine à 0,08 W/kg, soit respectivement 18, 37 et 75 fois moins !

L'exposition des rats peut en revanche être comparée à celle des antennes relais lesquelles entrainent également une exposition homogène de tout le corps, qui ne dépasse pas 0,16 mW/kg pour 97% des antennes, soit respectivement 9 375, 18 750 et 37 500 fois moins que les rats pendant les périodes d'exposition. L'hypothèse d'effets "thermiques", liés au seul échauffement des animaux exposés à de tels niveaux, doit donc impérativement être étudiée. 

Globalement, les résultats de cette étude préliminaire sont fort étonnants et en contradiction avec des nombreuses études animales antérieures. En effet,

- les rats non exposés vivent moins longtemps que les rats exposés (les auteurs ne précisent pas pourquoi) ce qui entraine normalement une incidence plus grande des cancers, que les auteurs ont tenté de corriger de manière peu convaincante par un artifice statistique ;

- seuls les rats mâles présentent significativement plus de tumeurs, au plus haut niveau d’exposition (6 W/kg), sans explication ;

- des faux positifs (résultats dus au simple hasard) sont possibles au vu du très faible nombre de cas observés par groupe et du nombre de tests.

Assez pour les rats, passons à l’homme. Si vous vous reportez au site des Robins des Toits, vous apprenez que la norme préconisée par cette association est exprimée en Volt/m : le champ électrique associé aux ondes de téléphonie mobile ne devrait pas dépasser 0,6 V/m, alors qu’elle est en France de 40 V/m. D’où viennent ce chiffre et cette préconisation ?

J’ai été associé, il y a 4 ans, à une conférence citoyenne organisée par la Mairie de Paris sur les ondes de téléphonie mobile. Je faisais le premier cours sur les ondes électromagnétiques. A cette occasion, je me suis intéressé à l’origine de ce chiffre, inchangé depuis presque 20 ans. Voici ce qu’il en est – sans entrer dans la physique des ondes.

Premier acte : Clinique Psychiatrique de l’Université de Mainz, Allemagne, 1996. Deux chercheurs,  Mann et Röschke, entreprennent une étude sur les effets des ondes sur le sommeil d’individus en bonne santé. Ils enregistrent leurs électroencéphalogrammes sous exposition, et décèlent certaines modifications, notamment une réduction de la période du sommeil qui est accompagnée de mouvements rapides des yeux. Leur étude, publiée dans une revue médicale autrichienne, conclut à la nécessité de poursuivre ces travaux préliminaires.

Sur la base de cette publication, deux membres du Département de santé publique de Salzbourg (Autriche), proposent une norme qui, exprimée en terme de puissance par unité de surface, est de 1 milliWatt par mètre carré. Ce chiffre est obtenu en divisant par 500, par précaution, la valeur utilisée par Mann et Röschke, qui est de 0,5 W/m2. C’est cette puissance de 1 milliWatt par mètre carré qui, convertie en champ électrique, donne le fameux 0,6 V/m.

 Deuxième acte. Mann et Röschke s’associent à 3 autres chercheurs de la même Clinique Psychiatrique de Mainz, et publient en 1998 dans la revue Bioelectromagnetics une étude similaire à la première, mais avec une valeur de la puissance des ondes par unité de surface 2,5 fois moins intense que la première. Cette étude ne permet d’observer aucun des effets de la première. Cause possible de cet échec : la réduction de la dose délivrée, qui ne permettrait pas de mesurer des effets statistiquement significatifs.

 Troisième acte. En 2000, une équipe composée de Wagner, Röschke et 5 autres chercheurs publie dans la revue Neuropsychobiology une étude où  la puissance des ondes auxquelles les dormeurs sont soumis est de 50 W/m2, soit 100 fois la puissance de la première étude. Les chercheurs concluent que « les résultats n’ont montré aucun effet significatif de l’exposition au champ, qu’il s’agisse des paramètres conventionnels de sommeil ou du spectre en puissance de l’électroencéphalogramme ».

Résumons. Une première étude semble voir un effet des ondes de téléphonie mobile sur le sommeil, deux études ultérieures, l’une avec une puissance 2,5 fois plus faible, l’autre avec une puissance 100 fois plus forte, ne voient rien. Voilà toute l’histoire factuelle du 0,6 V/m.

Que conclure ?

Le travail scientifique a des critères de validation. S’il s’agit d’une expérience, il faut qu’elle soit reproductible. Sans l’exigence de reproductibilité, pas de technologie efficiente, et le monde autour de nous s’effondre. Sans elle, les avions tomberaient comme des mouches, les bateaux flotteraient comme des fers à repasser. Dans le cas présent, nous sommes clairement dans le cas d’une expérience non reproductible, donc d’un effet non mis en évidence, d’un non-effet. La revendication du 0,6 Volt par mètre n’a donc aucune base scientifique.

Mais la peur, une certaine peur existe, et cette peur est bien réelle : ses effets, eux, sont mesurables sur les individus qui la vivent. La vraie question devient alors celle-ci : que faire, lorsqu’une peur est là, même s’il est avéré que son point d’ancrage proclamé n’a pas de fondement ?

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