Freud avait fait le lapsus d’un nom fort gênant en mars 1914 : dans une lettre à Jones, il avait voulu se moquer de « l’Évangile de Jung », mais avait écrit « l’Évangile de Jones ».
Il aurait pu se contenter de noter que les deux noms étaient du même registre sémantique (des psychanalystes) et avaient une même consonance : deux syllabes, la première commençant par « j » et la seconde contenant un « n ».
Il a fait une interprétation (sans associations d’idées) selon une de ses clés préférées : la « transformation dans le contraire ». Il écrit à Jones : « Mon intéressant lapsus calami a dû éveiller vos soupçons. Mais vous vous rappellerez que loin d’essayer de le dissimuler, j’ai moi-même attiré votre attention sur lui. Mon inconscient me joue souvent le tour de me faire supplanter une personne que je n’aime pas par une autre que je préfère. Cela revient à penser : pourquoi Jung ne peut-il être comme vous ? C’est une forme de tendresse voilée » (cit. in Jones, 1961, p. 478).
Une explication moins tirée par les cheveux, à laquelle Freud a probablement pensé, mais qui n’était pas à énoncer, est que Jung et Jones étaient tous deux des non-Juifs. Freud estimait que Jung l’avait trahi et il se méfiait de Jones. Ce dernier aurait peut-être accepté cette interprétation. Il a écrit en effet : « Je m’aperçus, avec une certaine surprise, que les juifs sont extraordinairement enclins à soupçonner, à la moindre occasion, de l’antisémitisme et qu’ils interprètent dans ce sens nombre de remarques et nombre d’actes. Les plus sensibles à cet égard étaient, parmi nous [les membres du Comité secret], Ferenczi et Sachs ; Abraham et Rank l’étaient moins. Quant à Freud, sa sensibilité à ce point de vue était assez grande » (1961, p. 173).
Jones avait sans doute bien relevé cette « sensibilité ». Un an après sa rencontre avec Jung, Freud écrivait à Abraham, le 3-5-1908 : « Soyez tolérant, il vous est plus facile qu’à Jung de suivre mes pensées car de par notre parenté raciale, vous êtes plus proche de ma constitution intellectuelle, tandis que lui, en tant que chrétien et fils de pasteur, ne trouve le chemin qui mène jusqu’à moi qu’au prix de grandes résistances intérieures. Son ralliement n’en a que plus de valeur. Je dirais presque que seule son entrée en scène a soustrait la psychanalyse au danger de devenir une affaire nationale juive ».
Extrait de J. Van Rillaer, Les désillusions de la psychanalyse, éd. Mardaga, 2021, p. 235.
Les références précises se trouvent dans l’ouvrage.