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Billet de blog 13 juin 2025

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Le dieu des Juifs ordonne de tuer en son nom

Extrait du livre de Jean Soler « Qui est Dieu ? (Éd. de Fallois, 2012, 125 p) sur le dieu inventé par les Hébreux.

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Illustration 1

Jean Soler, agrégé de lettre (Sorbonne), a été conseiller culturel et scientifique à l’ambassade de France en Israël. Il a collaboré à l’“Histoire universelle des Juifs” sous la direction d’Élie Barnavi, directeur du département d’histoire à l’université de Tel-Aviv. Il a publié plusieurs ouvrages sur le monothéisme et son rapport à la violence.

Ici quelques pages du chap. 4 (pp. 79-81, 86-87)

« LE DEVOIR DE TUER AU NOM DE DIEU

Si l'on ose avancer qu'il existe une violence inhérente au monothéisme, on s'expose à cette réplique : “Mais non ! bien au contraire, Dieu a apporté à l'humanité par l'intermédiaire de Moïse un impératif moral universel qui est à la base des droits de l'homme : ‘Tu ne tueras pas’.”

Cette objection comporte plusieurs erreurs. Sans même se demander si Moïse a réellement existé, la divinité qui s'adresse à lui dans la Bible n'est pas le Dieu unique des trois religions monothéistes, mais un dieu particulier nommé Iahvé. Et ce dieu ne destine pas ses commandements à l'humanité tout entière, il les réserve à l'un des peuples seulement, celui des Hébreux, avec lequel il a fait “alliance”, comme c'était la règle dans cette région du monde, le Proche et Moyen-Orient, à cette époque-là, les deux derniers. millénaires avant notre ère. Mais le plus significatif est que l'interdit de tuer, même s'il n'est qu'à usage interne, est contrebalancé dans la Bible par une injonction de sens inverse, qui joue un rôle non moins important.

L’interdit de tuer et l’ordre de mettre à mort

La coexistence des deux commandements se fait jour dès la scène où Moise transmet au peuple, pour la première fois, l’interdit de tuer. Il vient de descendre de la montagne où il a passé quarante jours et quarante nuits en tête à tête avec Iahvé. Le dieu des Hébreux a écrit “de son doigt” sur deux tablettes de pierre dix prescriptions qui doivent assurer l’unité de la communauté et la solidarité de ses membres, en prohibant entre eux, tout spécialement le vol et le meurtre. Iahvé a confié ces tablettes à Moïse, qui les porte dans ses bras lorsqu'il retrouve le peuple, au pied de la montagne. Scandalisé en voyant que pendant son absence des hommes ont façonné une sculpture animale pour l'adorer, Moïse fait détruire l’idole et, peu de temps après, il s’écrie :

“Ceux qui sont pour Iahvé, à moi !” et vers lui se rassemblèrent tous les fils de Lévi. Il leur dit : ‘Ainsi a parlé Iahvé, le dieu d'Israël : Mettez chacun l’épée au côté. Passez et repassez de porte en porte dans le camp, tuez, qui son frère, qui son ami, qui son proche !’ Les fils de Lévi agirent selon la parole de Moïse et il tomba du peuple, en ce jour, environ trois mille hommes” (Exode 32, 26-28).

C'est au nom du dieu national et, plus précisément, sur son ordre (“Ainsi a parlé Iahvé, le dieu d'Israël”) - ce dieu qui vient de graver de sa propre main sur la pierre (Moïse ne peut l'ignorer, c'est lui qui portait les tablettes) l’interdit de tuer, que le prophète fait mettre à mort un grand nombre de ses compatriotes. Sauf à imaginer que Moïse a enfreint délibérément la volonté de son dieu, il faut en conclure que les deux ordres ne sont pas exclusifs l'un de l’autre.

De fait, dans de nombreuses circonstances, Iahvé enjoint de tuer plutôt que de corriger ou de punir sans donner la mort.

Exterminer les Peuples rivaux

D'après le même Moïse, médiatisé par les prêtres et les scribes de Jérusalem, Iahvé aurait enjoint à son peuple, lorsqu'il prendrait possession de la Terre promise, non seulement de réduire à néant les images des dieux étrangers mais de massacrer jusqu'au dernier leurs adeptes, les peuples installés dans le pays. La politique de purification divine devait s'accompagner d'une politique de purification ethnique à l'encontre des nations de Canaan :

“Quand Iahvé, ton dieu, les aura livrées devant toi et que tu les auras battues, tu les voueras à l'anathème. Tu ne concluras pas d'alliance avec elles et tu n'auras pas pitié d'elles. Tu ne t'allieras pas par mariage avec elles, ne donneras pas ta fille à l'un de leurs fils, et tu ne prendras pas une leurs filles pour ton fils car ton fils serait détourné de me suivre, il servirait d'autres dieux et la colère de Iahvé s'enflammerait contre vous, il aurait vite fait de vous exterminer” (Deutéronome 7 ,2-4).

De même qu'il ne saurait y avoir de coexistence du dieu national et de dieux rivaux, il ne peut y avoir de cohabitation sur la même terre - la terre offerte par Iahvé - de son peuple et de peuples étrangers. Si les Hébreux ne veulent pas être exterminés par Iahvé, ils doivent exterminer les Cananéens. C'est l'un ou c'est l'autre. Aucun compromis n'est envisageable. L'“anathème” exigé par le dieu implique que lui soient sacrifiés, après la prise d'une ville, tous ses habitants, et même les animaux qui partageaient leur vie. Ainsi, raconte la Bible, a fait Josué, le conquérant de la Terre promise, pour obéir au commandement divin transmis par Moïse, disparu entre-temps. À peine les Hébreux se sont-ils emparés de la première cité cananéenne, Jéricho, qu'ils “vouèrent à l'anathème tout ce qui était dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu'aux bœufs, aux moutons et aux ânes, les passant au fil de l'épée” (Josué 61, 2l).

Une trentaine de cités subissent ensuite le même sort :

“Ainsi Josué battit tout le pays [...]. Il ne laissa pas un survivant et voua à l'anathème tout être animé, comme Iahvé, le dieu d'Israël, l'avait ordonné” (Josué 10,40).

Se demander si ces massacres ont eu lieu ou non n'est pas pertinent. Nous ne sommes pas dans l'histoire mais dans la légende, dans la construction mythique d'un passé destiné à justifier une politique actuelle. Josias et son entourage ont donné en exemple Josué pour son obéissance irréprochable, “sans pitié”, aux volontés du dieu national, après avoir fait de Moïse le scribe de ses desseins. Il n'en reste pas moins que, même imaginaire, ce génocide - le premier en date dans la littérature mondiale - est révélateur de la propension des Hébreux à ce que nous nommons aujourd'hui l'extrémisme. »

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