Tel parti politique considère que le port du voile par les fonctionnaires du gouvernement est une étape vers l’introduction de la charia. Tel autre craint que l’assouplissement de la loi sur l’euthanasie conduise à une stigmatisation des personnes âgées : plus la législation sera souple, plus grande sera la pression sur les personnes âgées malades pour qu’elles demandent l’euthanasie.
Ces deux arguments ont en commun de présenter des panoramas avec des contours de plan incliné. Autrement dit : ils prétendent que l’adoption d’une mesure ouvre la porte à une série inacceptable de mesures supplémentaires ou à d’autres conséquences fâcheuses.
L’argument du plan incliné est courant en politique. Il s’agit souvent de scénarios catastrophiques, avec une connotation rhétorique. Mais cette rhétorique est-elle creuse ou contient-elle un bon argument ? Cela dépend de trois éléments.
Un argument du plan incliné a la structure suivante :
Prémisse 1 : A mène finalement à B.
Prémisse 2 : B est indésirable.
Conclusion : Pour cette raison A est indésirable.
La validité de l’argument dépend de la validité des prémisses et de la conclusion qui en résulte. Alors posez-vous d’abord la question : est-ce que A mène vraiment à B ? Ensuite : B est-il vraiment indésirable ? Et aussi : est-ce que cela rend A indésirable ?
Commençons par la conclusion : elle ne découle pas nécessairement des prémisses. Il est possible que A ait aussi des aspects hautement souhaitables, auxquels nous attachons davantage d’importance qu’aux aspects indésirables de B. Prenons la loi sur l’euthanasie. Quand bien même cette stigmatisation des personnes âgées y contribue quelque peu, il est bien possible que les bénéfices de la loi l’emportent sur les risques. Pour défendre avec succès un argument de pente glissante, vous devez démontrer que les effets négatifs l’emportent sur les conséquences positives.
Examinons ensuite la première prémisse. C’est une affirmation concernant un avenir incertain, une évaluation des risques. Quelles seront les conséquences d’une mesure et quels effets secondaires entraînera-t-elle ? Est-il probable que le fait d’autoriser les fonctionnaires du gouvernement à porter le voile nous conduise à une pente glissante sur laquelle nous continuerons à glisser ? Comme dans toute prédiction de l’avenir, il y a là une part d’optimisme ou de pessimisme. L’évaluation exprime-t-elle de l’angoisse ou de l’espoir ?
Finalement, la deuxième prémisse est un point de vue moral. La stigmatisation des personnes âgées, l’introduction de la charia : ces développements sont-ils oui ou non souhaitables ? La réponse peut sembler évidente. Mais notez que même si deux partis s’accordent sur une position morale, il est toujours possible que l’un ne suive pas le raisonnement de l’autre sur la pente glissante. En effet les partis ont peut-être différentes analyses des risques.
Certaines pentes glissantes existent réellement, d’autres sont des châteaux en Espagne rhétoriques. Il faut donc évaluer au cas par cas si un plan incliné constitue ou non une erreur. De telles estimations peuvent n’avoir guère de fondement ; sur les détails d’une analyse de risques, il y a souvent de quoi discuter. Souvent, les analyses de risques se fondent surtout sur une vision optimiste ou pessimiste de l’être humain : un politicien voit une pente glissante qui finit dans une vallée profonde, l’autre voit un paysage enthousiasmant qui mène à un avenir meilleur.
Chapitre du livre de Maarten Boudry et Jeroen Hopster : Alles wat in dit boek staat is waar… en andere denkfouten. Kalmhout (Belgique): Pelckman, 2019, 216 p. (p. 105-107).
Traduit par Jacques Van Rillaer
Pour d’autres exemples de la pente glissnte :
https://cortecs.org/la-zetetique/sophisme-la-pente-savonneuse/