Extrait de : Tavris, Carol & Aronson, Elliot (2016) Pourquoi j’ai toujours raison et les autres ont tort. Flammarion, 2016, p.296-298.
« Les irrémédiables conflits israélo-arabes ont leur cortège d'origines potentielles [...] Le 12 juillet 2006, des militants du Hezbollah enlevèrent Ehud Goldwasser et Eldad Regev, deux réservistes israéliens. Israël riposta en envoyant des roquettes sur des régions du Liban contrôlées par le Hezbollah, tuant ains de nombreux civils. En observant les ripostes successives des deux parties, Timothy Garton Ash, historien, se demanda : “Où et quand cette guerre a-t-elle commencé ?” Le 12 juillet ? Le mois précédent, quand des obus israéliens tuèrent sept civils palestiniens ? Au mois de janvier 2006, quand le Hamas gagna les élections palestiniennes ? En 1982, quand Israël envahit le Liban ? En 1979, lors de la révolution iranienne ? En 1948, à la naissance de l'État d'Israël ? Pour M. Ash, le conflit prend sa source dans l’antisémitisme qui sévit en Europe au XIXe siècle et au XXe siècle, et qui se manifesta notamment par les pogroms russes, par les cris de la foule parisienne au procès Dreyfus — “À mort les juifs !” — et par la Shoah. Selon lui, le “rejet radical” dont les juifs furent victimes en Europe est à l'origine du sionisme, de l’émigration des juifs en Palestine et de la création de l’État d'Israël : “Même si nous critiquons l’armée israélienne parce qu’elle tue des civils libanais et des observateurs de l’ONU en invoquant la nécessité de retrouver Goldwasser, nous ne devons pas oublier que tout que tout cela ne serait sûrement pas en train d’arriver si certains Européens n'avaient pas essayé, il y a quelques décennies, de débarrasser l'Europe — sinon la Terre entière — de tous les Goldwasser.
Pout Ash, ce confit a environ deux siècles. Pour d’autres, il a même deux millénaires.
Dès lors qu'une personne a répondu à la question de savoir qui avait commencé — qu'il s'agisse d'une querelle familiale ou d'un confit international —, elle est moins disposée à recevoir des informations qui dissonent avec sa réponse. Dès lors qu'une personne a décidé qui était l’agresseur et qui était la victime, il lui est difficile, voire impossible, de faire preuve d'empathie vis-à-vis de l’agresseur. Vous avez certainement déjà vécu des disputes qui s'enlisaient dans des questions sans réponse. Par exemple, si vous racontez les atrocités que des gens ont fait subir à quelqu'un, il se peut que l'un de vos interlocuteurs proteste et qu'il vous demande : Et les atrocités qu'il leur a fait subir, alors ?”
Nous comprenons tous l'envie de vengeance que peut éprouver une victime. Cependant, la vengeance d'une victime amène souvent son agresseur à minimiser la gravité et l’impact de ses actes, et à prétendre à son tour au statut de victime ; il s'ensuit un cycle d'agressions et représailles. Comme le relève Barbara Tuchman, historienne, “toute révolution réussie finit par enfiler les habits du tyran qu'elle a déposé”. Ce n'est pas surprenant : les vainqueurs, en tant qu'ex-victimes, se sentent légitimes. »
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Notes de J. Van Rillaer
1) Présentation du livre de Tavris et Aronson :
https://www.afis.org/Pourquoi-j-ai-toujours-raison
2) Sur la guerre sainte des Hébreux :
3) Barbara Tuchman est une historienne américaine. Elle a enseigné aux U. Harvard et de Californie. Elle doit sa notoriété à The Gungs of August (en français Août 14), l'histoire des prémisses de la Première Guerre mondiale à l'été 1914. Autre ouvrage majeur : Distant Mirror. The Calamitous 14th Century (en français : Un lointain miroir, le XIVe siècle des calamités), qui raconte les croisades légendaires, les cathédrales scintillantes, les châteaux majestueux, mais aussi une époque de férocité, de chaos et de peste.