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Billet de blog 17 avril 2025

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Le groupe, support fondamental de croyances

Leon Festinger, l’auteur de la théorie de la dissonance cognitive, a réalisé l’observation d’un groupe qui croyait que la fin du monde était toute proche. Un des principaux enseignements est la force du groupe des croyants pour le maintien, envers et contre tout, de croyances.

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L'être humain tend à réduire les dissonances cognitives, c'est-à-dire les éléments de ses connaissances qui ne s'accordent pas. Leon Festinger a étudié les diverses stratégies, utilisées spontanément, pour aboutir à une situation de consonance.

Une des recherches les plus remarquables a porté sur une secte qui croyait fermement que le monde serait englouti par un déluge à une date déterminée et que seuls ses membres seraient sauvés par la venue d’un vaisseau spatial. La révélation avait été faite à Mme Keech par des extra-terrestres qui voyageaient dans des soucoupes volantes. L’un des croyants était le docteur Armstrong, médecin qui réunissait régulièrement des étudiants intéressés par les problèmes de mystique et de spiritualité. Les adeptes s'étaient préparés sincèrement à l'événement ; ils avaient abandonné leur travail et distribué leur argent. Certains avaient annoncé publiquement leur croyance. On imagine facilement qu'ils se sont retrouvés dans un bel état de dissonance cognitive lorsque, le jour prévu (21 décembre 1954), le cataclysme ne s'est pas produit. Festinger, qui s'était infiltré avec deux collaborateurs dans le groupe, a pu observer les réactions des membres.

Les croyants qui, lors de la nuit fatidique, étaient restés groupés, ont gardé la foi. Ils se sont soutenus et convaincus réciproquement. Ils ont réinterprété le fait dissonant en expliquant que c'est précisément grâce à leur zèle religieux que la terre n'a pas été détruite. Mme Keech, déclara, le visage rayonnant : « Toute-puissante est la parole de Dieu et par Sa parole vous avez été sauvés ; car, oui vous avez été arrachés aux griffes de la mort, et jamais une telle force n’avait envahi notre Terre. Jamais, depuis l’aube des temps, cette Terre n’avait connu un flux de bien et de lumière aussi puissant que celui qui pénètre maintenant cette pièce ».

Dans le groupe, l’humeur passa du désespoir à l’euphorie. De nombreux membres, qui n’avaient pas fait du prosélytisme avant le 21 décembre, se mirent à contacter la presse pour l’informer du miracle et à arrêter des passants dans la rue pour les convertir.

En revanche, les membres qui avaient attendu seuls, chez eux, la réalisation de la prophétie, ont perdu la foi dans un mouvement où ils s'étaient cependant engagés à fond.

Cette observation et d'autres, expérimentales ou cliniques, ont permis à Festinger d'affirmer le rôle fondamental du support social pour persévérer dans une croyance.

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Festinger, L., Riecken, H. & Schachter, S. (1956) When prophecy fails. A social and psychological study of a modern group that predicted the destruction of the world. University of Minnesota Press, 253 p. Rééd., New York, Harper & Row, 1964.

Trad., L'échec d'une prophétie : psychologie sociale d'un groupe de fidèles qui prédisaient la fin du monde. PUF, 1993, 252 p.

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