« Freud écrit en 1923 que « la technique des associations libres est le procédé classique, originel, que je continue à tenir encore pour le meilleur » (XIII 301). En fait, déjà bien avant cette année, il s’en est très souvent passé. Lors de la première visite de Binswanger chez lui, en 1907, il l’interrogea sur ses rêves le lendemain de son arrivée. Binswanger relate : « Je rêvai de l'entrée de la maison Bergstrasse 19, qui se trouvait justement en reconstruction, et du vieux lustre recouvert à la hâte à cause de la réfection. L'interprétation de Freud, qui ne me parut pas précisément convaincante, était que le rêve contenait le souhait d'épouser sa fille (aînée), en même temps que le refus de ce souhait, puisqu'il déclarait — je me rappelle les paroles mêmes de l'interprétation — : “Je n'épouse pas quelqu'un qui est d'une maison où pend un lustre si miteux” » (p. 268).
Freud a publié des analyses de personnes qu’il n’a jamais vues, par exemple Vinci, Dostoïevski, le Président Schreber, le Président Wilson. Il montrait ainsi qu’un divan et des associations libres ne sont pas nécessaires pour « psychanalyser ». Il a également analysé des œuvres d’art (p. ex. la statue de Moïse par Michel-Ange) et des phénomènes culturels, comme la morale et la religion. Le leitmotiv de ces explications est que le phénomène à décoder est une expression inconsciente du complexe d’Œdipe : « On retrouve dans le complexe d'Œdipe l'origine de la religion, de la morale, de la société et de l'art, et cela en pleine conformité avec la thèse psychanalytique selon laquelle ce complexe forme le noyau de toutes les névroses » (IX 188, je souligne).
Des analogies, des jeux de mot et l’expérience personnelle sont les trois arguments pour ses interprétations à l’emporte-pièce dont Freud dit qu’elles sont « certaines ». Citons un exemple qu’il a répété plusieurs fois.
« Il y a quelque temps, écrit Freud en 1911, il fut porté à ma connaissance qu'un psychologue, qui se situe assez loin de nous, s'est adressé à l'un de nous en faisant remarquer que nous surestimions tout de même la signification sexuelle secrète des rêves. Son rêve le plus fréquent était de monter un escalier et selon lui il n'y avait tout de même rien de sexuel là derrière. Rendus attentifs par cette objection, nous avons prêté attention à l'occurrence, dans le rêve, des marches, escaliers, échelles et nous pûmes bientôt constater que l'escalier (et ce qui lui est analogue) constitue un symbole certain du coït (sicheres Koitus symbol). Il n'est pas difficile de déceler ce qui est à la base de la comparaison ; par paliers rythmiques, avec un essoufflement croissant, on arrive à un sommet et l'on peut ensuite en quelques bonds rapides se retrouver en bas. Ainsi le rythme du coït se retrouve-t-il dans la montée des escaliers. N'oublions pas de faire appel à l'usage de la langue. Il nous montre que le fait de “steigen” [monter] est employé sans plus de façon comme désignation substitutive de l’action sexuelle. On a coutume de dire : l'homme est un “Steiger” (littér., un monteur) » (VIII 106).
En 1917, dans ses Leçons d'introduction à la psychanalyse, Freud écrit : « Échelles, marches, escaliers, le fait d’y monter, sont des symboles certains [sichere Symbole] du commerce sexué. À y réfléchir de plus près, le caractère rythmé de cette montée nous frappera comme leur élément commun, peut-être aussi l’accroissement de l’excitation, l’essoufflement, à mesure qu’on monte plus haut » (XI 159). En 1933, dans son dernier texte important sur le rêve, il répète cet exemple en ajoutant une « confirmation expérimentale » : on a raconté à un malade souffrant d’une démence de Korsakoff des histoires à contenu grossièrement sexuel. Celui-ci a ensuite rêvé d’un escalier, « symbole typique du commerce sexuel » (XV 23).
Pas plus ici qu’ailleurs, Freud ne précise le nombre de ses observations et si sa généralisation s’applique aussi aux femmes (des « monteuses » ?) qui rêvent qu’elles montent un escalier. Chacun jugera du degré de certitude (Sicherheit) de l’interprétation freudienne. Signalons que dans le Dictionnaire des symboles, Chevalier et coll. concluent, de l’examen de légendes, de religions et de mythes : « L’escalier est le symbole de la progression vers le savoir, de l’ascension vers la connaissance et la transfiguration. S’il s’élève vers le ciel, il s’agit de la connaissance du monde apparent ou divin ; s’il rentre dans le sous-sol, il s’agit du savoir occulte et des profondeurs de l’inconscient ». Par exemple chez les Égyptiens de l’Antiquité, « des barques sont représentées portant en leur centre, en guise de mât et de voilure, un escalier de sept ou neuf marches, symbolisant l’ultime et définitive ascension de l’âme vers les étoiles dans lesquelles elles se confondront en s’unissant à la lumière de Râ » (p. 413). »
——————
Extrait de : J. Van Rillaer, Les désillusions de la psychanalyse. Mardaga, 2021,
p.99 à 101. Les références précises se trouvent dans l’ouvrage.