Jacques Van Rillaer (avatar)

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l'université de Louvain

Abonné·e de Mediapart

171 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 mars 2025

Jacques Van Rillaer (avatar)

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l'université de Louvain

Abonné·e de Mediapart

La mise à l’écart (time out)

Récemment, des débats parfois très vifs ont porté sur la « mise à l’écart » (« time out »), une méthode de gestion de comportements difficiles des enfants. Nous présentons ici la conception adoptée par la majorité des comportementalistes.

Jacques Van Rillaer (avatar)

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l'université de Louvain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le jargon des comportementalistes, la « mise à l’écart » est la perte d’accès, pendant une période déterminée, à des stimuli qui sont « renforçants » pour l’enfant.

(Un stimulus ou une situation « renforçants » suscitent la répétition ou l’intensification d’un comportement dans une situation déterminée. Ce stimulus ou cette situation sont supposés être agréables pour la personne).

Nous exposons ici la position des associations de praticiens de l’Analyse appliquée du comportement (« AAC ») (en anglais Applied Behavior Analysis, « ABA »), telle qu’elle est présentée dans le manuel le plus prestigieux de l’AAC [1].

La procédure est connue des enseignants qui mettent un enfant perturbant à la porte de la classe ou l’envoient chez le directeur. Cette procédure est déconseillée pour plusieurs raisons : l’enfant se trouve dans endroit sans surveillance ; il pourrait se sauver ; s’il est en crise, sa sécurité pourrait être en danger.

La première recherche de comportementalistes sur la mise à l’écart date de 1958. Elle a été réalisée par Charles Ferster [2], un collaborateur de Skinner à l’université Harvard.

La mise à l’écart classique est le placement de l’enfant dans une autre pièce, dénommée parfois la « quiet room ». Il s’agit d’un endroit « sûr », suffisamment chauffé et ventilé, non verrouillé. Il est exclu de placer l’enfant dans l’obscurité.

En cas de colère, l’enfant peut y continuer sa colère, mais n’a plus l’attention qu’il obtenait.

La mise à l’écart n’implique pas un changement de local. Par exemple, le parent interrompt une émission de télévision si l’enfant hurle ; durant un jeu collectif, l’enseignant envoie l’enfant à s’asseoir sur un banc, éventuellement le dos tourné au jeu.

La procédure n’est considérée comme efficace que si la fréquence du comportement, qui la provoque, finit par diminuer.

L’efficacité augmente lorsqu’il y a une différence sensible entre les deux situations et que la seconde apparaît nettement moins agréable.

La recommandation officielle sur la durée est la suivante : « Les périodes de mise à l’écart devraient être aussi brèves que possible tout en maintenant l'efficacité. Des durées de mise à l’écart de 2 à 5 minutes sont souvent efficaces pour réduire le comportement, bien que cette courte durée puisse être inefficace au départ si une personne a eu des antécédents de mise à l’écart plus longues. En règle générale, les périodes de mise à l’écart supérieures à 15 minutes ne sont pas efficaces. » (p. 392).

Tous les comportementalistes insistent sur le couplage de la mise à l’écart avec le renforcement de comportements désirables. Par exemple, l’enfant est récompensé lorsqu’il est frustré mais ne se met pas en colère. Il est hautement préférable de motiver à des objectifs positifs qu’à inciter à éviter des punitions.

Le renforcement d’un comportement désirable doit être délivré le plus rapidement possible au retour de la mise à l’écart.

Usage domestique

À la maison la mise à l’écart dans une pièce est souvent problématique. La chambre de l’enfant lui offre généralement des occupations agréables (il y retrouve par exemple des bandes dessinées) et n’apparaît pas comme une « punition ».

La solution est parfois que l’adulte quitte la pièce où se trouve l’enfant et se rende dans un endroit auquel l’enfant n’a pas accès, par exemple la salle de bain.

Usage à l’école et dans des institutions

La mise à l’écart est appliquée lorsque l’enfant adopte un comportement perturbant (cris, colère, bouffonnerie pour attirer l’attention du groupe), un comportement antisocial (par exemple pousser ou frapper un autre enfant), un comportement potentiellement dangereux pour lui ou pour d’autres.

Il importe que l’enfant comprenne bien les comportements qui entraînent la mise à l’écart et qu’il comprenne qu’il peut éviter la mise à l’écart en adoptant un autre comportement que celui qu’il est tenté d’adopter. À cet effet, l’adulte donne un signal clair lorsqu’une mise à l’écart va s’appliquer. Par exemple : « Paul, tu as perturbé deux fois Marie ; le temps de mise à l’écart va maintenant s’appliquer ».

L’enseignant devrait faire l’annonce en se mettant près de l’enfant afin que celui-ci n’ait pas l’occasion de défier l'enseignant devant le groupe des pairs.

Il est souhaitable qu’un autre membre du personnel soit appelé et escorte l’élève jusqu'à l’espace de mise à l’écart.

Il importe évidemment de tenir compte d’effets secondaires indésirables tels que la violence, le risque de destructions, un comportement autodestructeur, le repli sur soi.

L’établissement doit définir des règles en la matière et en la matière et l’enseignant doit s’y conformer.

————

[1] Cooper JO.; Heron TE.  & Heward WL (2022) Analyse Appliquée du Comportement. Trad. de la 3e éd. américaine, Éditions ABA Online SAS, 980 p. [format A4].

Présentation : https://www.afis.org/Analyse-appliquee-du-comportement

[2] Ferster C (1958) “Control of Behavior in Chimpanzees and Pigeons by Time-out from Positive Reinforcement”, Psychological Monographs, 72: 1-8.

Pour un PDF de l’article:

https://moodle.uclouvain.be/pluginfile.php/691795/mod_resource/content/1/Time%20out.pdf

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.