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Billet de blog 26 août 2025

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Paul Bloom “Psycho. Comprendre ce qui se passe dans notre tête”

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Illustration 1

Paul Bloom, docteur en psychologie cognitive du prestigieux Massachusetts Institute of Technology, a enseigné à l’université de Yale, puis à celle de Toronto. Il a mené plusieurs recherches publiées dans des revues de haut niveau. Par exemple, une étude sur le langage menée avec l’éminent Steven Pinker et publiée dans une des meilleures revues de psychologie : Behavioral and Brain Sciences.

Pour avoir enseigné pendant 35ans la psychologie générale à l’université de Louvain, je pense être compétent pour évaluer l’ouvrage de Bloom. En un mot : c’est absolument excellent : des informations classiques mais aussi up-to-date, toujours parfaitement référencées et qui renvoient à une bibliographie de 35 pages ; un style très agréable, une traduction élégante, parfaite ; un index de matières et de noms.

L’auteur cite des extraits d’ouvrages francophones non traduits en anglais, par exemple de Stanislas Dehaene, Piaget ou Marcel Proust. Sa culture ne se limite pas à la psychologie scientifique : des considérations philosophiques et éthiques reviennent régulièrement.

En lisant, on se prend de sympathie pour Paul Bloom, qui agrémente son exposé d’anecdotes personnelles, de références à la vie pratique et de beaucoup d’humour. Je souligne que l’auteur a un souci constant d’épistémologie et de méthodologie. Il donne sans cesse des explications alternatives à des résultats de recherches.

Il a fait de son cours une version qui se lit comme un essai. Le livre est idéal pour de futurs étudiants en sciences humaines (pas seulement en psychologie). Il convient aussi au non-spécialiste de la psychologie qui souhaite un large panorama de thèmes essentiels de la psychologie scientifique.

Le 1er chapitre, avec un titre un peu provoquant, « Le cerveau fabrique la pensée », aborde la question de notre ignorance sur la façon dont un corps physique donne lieu à une expérience consciente. Il illustre le fait que l’organe à l’origine de la vie mentale subit des traumatismes, des maladies et le vieillissement. Bloom montre l’intérêt et les limites de la comparaison du fonctionnement du cerveau et des ordinateurs. Il discute aussi de l’intérêt et des limites des neurosciences : celles-ci ne remplacent pas la psychologie, pas plus que la biologie moléculaire ne remplace l’étude des moteurs de voitures.

Dans un court chapitre sur l’apport de Freud, il lui attribue l’idée de la primauté de l’inconscient. Cette affirmation est pour le moins discutable quand on lit chez Freud lui-même en 1900 : « La question de l’inconscient dans la psychologie est, selon la forte parole de Lipps, moins une question psychologique que la question de la psychologie » [1]. Theodore Lipps, que Freud cite à plusieurs reprises, a été professeur de philosophie à Bonn, à Breslau et est le fondateur de l’Institut de psychologie de Munich. Freud n’a fait que populariser la notion d’inconscient, dont il a donné une conception personnelle [2].

Sous le titre « La révolution skinnerienne », Bloom rappelle les apports de Skinner, « essentiels pour comprendre des comportements », tout en mentionnant l’importance de nouveautés qui ont suivi.

La partie sur la psychologie des enfants présente la théorie de Jean Piaget (« un esprit d’exception ») et montre par de nombreuses expériences, postérieures à cette théorie, que les enfants sont plus intelligents que ne le croyait le père de l’épistémologie génétique. Il est aussi question ici des rapports entre la pensée et le langage, et de la spécificité du langage humain par rapport aux systèmes de communication des animaux.

Le chapitre sur les représentations mentales fournit des informations classiques sur les sensations, les perceptions, la mémoire, la déformation des souvenirs et les faux souvenirs. Celui sur le raisonnement passe en revue les principaux biais cognitifs. Il conclut que « notre intelligence nous permet de résoudre beaucoup de problèmes du monde réel, mais que nous trébuchons sur des situations inhabituelles ».

Le chapitre sur la motivation et les émotions fournit des informations sur des thèmes classiques, mais aussi sur des questions moins étudiées comme les facteurs et la fonction du dégoût. On y trouve aussi un très intéressant développement sur les motivations et les émotions morales.

Un court chapitre expose la crise des recherches empiriques de la psychologie (seules environ 40% des expériences répliquées ont donné des résultats significatifs). Vient ensuite une revue de thèmes classiques en psychologie sociale (par exemple, la puissance du conformisme) et une longue discussion sur le fait que les recherches portent principalement sur une population qui constitue un huitième de la population mondiale : les WEIRD, les habitants des Western Educated Industrialized Rich Democracies (Démocraties industrielles, riches, éduquées à l’occidentale).

Un chapitre entier est consacré aux catégories sociales et aux stéréotypes. Il montre que nous raisonnons souvent en termes de catégories sociales et que nous sommes sensibles à la couleur de la peau des autres.

La partie consacrée à la psychologie différentielle et de la personnalité est l’occasion d’une discussion approfondie sur les poids respectifs de la génétique et des environnements. On y apprend que beaucoup de traits psychologiques sont en partie héréditaires, non seulement les plus évidents comme l'intelligence, mais aussi des dysfonctions mentales comme la schizophrénie et le trouble bipolaire.

Le chapitre sur la psychopathologie présente les principaux troubles mentaux (schizophrénie, troubles dissociatifs, etc.) et défend l’idée que ce sont des états où des réactions (anxiété, tristesse, addiction) sont intensifiées. La plupart des différences psychologiques entre les individus sont graduelles, et la psychopathologie ne semble pas faire exception. D’autre part, Bloom est partisan d’efforts de classifications psychopathologiques tout en soulignant que les critères demeurent toujours discutables.

L’ouvrage se termine par un thème à la mode : la psychologie positive, certes intéressante mais « qui compte beaucoup d’erreurs et de mensonges ». Sont présentées des corrélations entre le sentiment de bien-être et une série de variables (pays où l’on vit, le fait d’avoir des enfants, la religion, etc.). L’auteur, fort heureusement met en garde contre une utilisation naïve de causalité apparentes.

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[1] L’interprétation des rêves. Trad., PUF, 2010, p. 666.

[2] Sur la notion d’inconscient avant Freud et la conception spécifiquement freudienne de l’inconscient, voir J. Van Rillaer (2021) Les désillusions de la psychanalyse, Mardaga, p. 160 à 168.

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