Biographie
Szasz (1920-2012) est né en Hongrie. Ses parents étant juifs, il a fui avec eux le nazisme en 1939. Il a étudié la médecine aux États-Unis. Vivement intéressé par la psychanalyse, il s’est spécialisé en psychiatrie à Chicago, où le département de psychiatrie était d’orientation freudienne. Il s’est formé à la psychanalyse à l’Institut psychanalytique de Chicago. Diplômé psychiatre, il a pratiqué la psychanalyse à temps-plein et est devenu un membre important du staff de cet Institut de psychanalyse. En 1956, il a été nommé professeur de psychiatrie à l’université de l’État de New York (École de médecine à Syracuse). Pendant plusieurs années, la psychanalyse lui est apparue comme une discipline respectueuse de la personne, au contraire de la psychiatrie de l’époque qu’il a vivement critiquée. En 1970 il a fondé, avec George Alexander et Erving Goffman, l’Association américaine pour l’abolition de l’hospitalisation psychiatrique involontaire. Szasz a progressivement pris conscience des abus de la psychanalyse et a fini par la critiquer sévèrement.
Après avoir cité les raisons essentielles de son intérêt pour la psychanalyse en début de carrière, nous passons en revue six de ses principales critiques.
Les Mérites de Freud
Dans un ouvrage qui date de sa période freudienne, The Ethics of Psychoanalysis (1965, Basic Books), Szasz écrivait: «En premier lieu, la psychanalyse est une science ; du fait que son objet est l’homme et les relations humaines, c’est aujourd’hui une partie des sciences sociales. Ensuite, la psychanalyse est une forme de psychothérapie. […] La grande contribution de Freud réside en ce qu’il a établi les fondations pour une thérapie qui cherche à élargir les choix du patient et dès lors sa liberté et sa responsabilité. […] La situation psychanalytique est un modèle de rencontre humaine régulée par l’éthique de l’individualisme et l’autonomie personnelle» (p. 12-18).
Quelques années plus tard, Szasz résumait comme suit ce qu’il avait pensé être le principal mérite de Freud: «Au début du siècle, Freud établit les fondations, à l'intérieur même de la psychiatrie, d'une science humaniste de l'homme. Cette science n'envisage pas l'homme comme un objet, dont la valeur équivaut à l'usage que peut en faire la société et dont la conduite peut être orientée par ses semblables pour le bien supposé de la société. Au contraire, cette science prenait l’homme comme un sujet, comme un être conscient dont l'image intérieure n'avait pas à se subordonner à son image sociale et dont la conduite était laissée à l'initiative de son propre moi, et non à celle du thérapeute bienveillant. Ce programme scientifique et humaniste procédait d'une inspiration élevée et courageuse».
1. L’usage du concept de « malade mentale »
L’ouvrage le plus célèbre de Szasz est Le mythe de la maladie mentale. Szasz y défend l’idée qu’il y a, bien sûr, des «maladies du cerveau» (p.ex. la démence syphilitique), mais que la plupart des troubles mentaux sont des «difficultés existentielles» et des «déviations par rapport à des normes», et non des «maladies» qui doivent être traitées médicalement.
Szasz a d’abord eu le sentiment que les psychiatres traditionnels abusaient du concept de maladie mentale, tandis que les psychanalystes s’intéressaient avant tout à la personne. Ensuite, il a déchanté. D’une part, Freud a toujours utilisé le concept de maladie mentale et qualifiait ses patients de «malades», «névrosés», «hystériques», etc. D’autre part, Freud et ses disciples ont utilisé abondamment des étiquettes psychiatriques pour condamner ceux qui les critiquaient. Szasz cite comme exemple la façon dont Ernest Jones, l’ami et biographe officiel de Freud, a qualifié de «psychotiques» Rank et Ferenczi quand ceux-ci se sont éloignés de Freud, et comment il a donné le diagnostic inverse de normalité quand Horace Frink — qui souffrait d’hallucinations et de délires — se montrait docile envers Freud et que Freud voyait en lui le chef de file de la psychanalyse américaine.
2. Un système d’interprétations arbitraires
Szasz estime que «Freud veut tout niveler vers le bas». Il écrit: «L'approche freudienne fait de la vie quotidienne une succession d'événements psychopathologiques, et voit en chaque individu un patient. Qu'il s'agisse d'Hamlet, de Léonard de Vinci, de Woodrow Wilson ou de ses disciples “déloyaux”, Freud a réussi à déformer leur personnalité et leurs actes de manière à faire passer le noble pour ignoble, l'admirable pour abominable».
Ce reproche de Szasz était pleinement assumé par Freud, qui écrivait par exemple, à la fin de sa vie: «Je n'ai jamais séjourné que dans le rez-de-chaussée et le souterrain de l'édifice. Vous affirmez que si l'on change de point de vue, on voit aussi un étage supérieur, où logent des hôtes aussi distingués que la religion, l'art, etc. Vous n'êtes pas sur ce point le seul, la plupart des exemplaires cultivés de l'Homo natura pensent ainsi. Vous êtes là conservateur, et moi, révolutionnaire. Si j'avais encore une vie de travail devant moi, j'oserais assigner aussi à ces personnages de haut lignage une demeure dans ma basse maisonnette. Pour la religion, je l'ai déjà trouvée, depuis que je suis tombé sur la catégorie “névrose de l'humanité”».
Szasz, dans son ouvrage sur Karl Krauss, va jusqu’à dire: «Je qualifie la psychanalyse de vile rhétorique, et son inventeur et principal concessionnaire de vil rhétoricien». Il précise: «Tandis quele vil rhétoricien exploite le langage afin d’accroître son pouvoir, de rallier des adeptes à sa cause, et d’attacher à sa personne de fidèles disciples, le noble rhétoricien se sert du langage pour détourner les hommes de leur propension à se soumettre à l’autorité, les encourage à penser et à parler clairement, et leur apprendre à devenir leurs propres maîtres».
Szasz dénonce notamment la façon dont Freud maniait l’accusation d’antisémitisme: «Quand l'attaque venait d'un Chrétien, elle ne pouvait qu'être la preuve de son antisémitisme ; si elle venait d'un Juif, elle devait être mise sur le compte d'une erreur de jugement, ou encore de la honte qu'éprouvait le critique à être Juif. Etant donné que Vienne comptait peu de Musulmans en ce temps-là et encore moins de gens intéressés par la psychanalyse, cette attitude permettait de saper à la base toute critique sérieuse émanant des milieux intellectuels ou scientifiques».
N.B.: Cette accusation est encore utilisée aujourd’hui par quelques psychanalystes, tout particulièrement par la plus médiatique de tous en France, É. Roudinesco. Pour des détails: http://vdrp.chez-alice.fr/Antis_Psy.html
3. L’hypocrisie et les mensonges
Le reproche sans doute le plus grave est celui qu’ont développé bon nombre d’historiens du freudisme, à commencer par Henri Ellenberger, Frank Cioffi, M. Borch-Jacobsen. Szasz écrit: «Freud n’a pas découvert un nouveau traitement scientifique, il a plutôt redécouvert et reconstruit un ancien mode de soin spirituel. […] Après la création de la fausse thérapie (fake therapy), sont venues les fausses histoires de malades, les fables de patients sans maladies, certains fabriqués de toute pièce».
N.B. : Pour en savoir plus sur les mensonges freudiens, voir Le livre noir de la psychanalyse: http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?rubrique29
ou encore J. Bénesteau (2002) Mensonges freudiens : Histoire d'une désinformation séculaire (Mardaga, 400 p.): http://www.mens-sana.be/livres/benest.htm
4. Freud: un scientifique devenu homme d’affaires
Szasz constate que les quelques «découvertes» de Freud ont été faites avant 1906. Szasz écrit «découvertes» avec des guillemets, car la majorité des idées intéressantes qu’on peut lire chez Freud sont reprises à des prédécesseurs ou des collègues. «Au cours des dix premières années du XXe siècle, Freud change de rôle, et abandonne celui de maître à penser d'un mouvement scientifique pour devenir un homme d'affaires. Freud se trouvait désormais à la tête d'un cartel qui devait s'adjuger le monopole de la psychanalyse».
«En 1910, Freud fonde donc une compagnie d'actionnaires, le Mouvement Psychanalytique International, qui est destiné à promouvoir et à distribuer la psychanalyse. Naturellement, Freud détient la majorité des actions, les principaux autres actionnaires étant Sandor Ferenczi, Adler, Jung, Karl Abraham et Wilhelm Stekel. Leur premier souci est de donner à la firme une image de marque agréable au public. La chose était en effet d'une importance capitale, d'une part parce que la plupart des psychanalystes étaient des Juifs, et d'autre part parce que la psychanalyse se mêlait de sexualité. Or, dans l'Europe Centrale du début du siècle, le fait d'être Juif n'était certes pas un atout dans la société ; par ailleurs, la sexualité était encore un sujet tabou. […] De toute évidence, la seule chose à faire en pareilles circonstances était de mettre un non-Juif à la tête de l'association/couverture. C'est ainsi que Carl Gustav Jung fut choisi pour être le premier président de l'Association Psychanalytique Internationale».
«A peine le “produit” psychanalytique lancé, les distributeurs, c'est-à-dire Adler, Jung, Stekel et quelques autres, ont refusé de satisfaire aux exigences du fabricant. Freud considérait la psychanalyse comme son invention, une invention qu'il aurait fait breveter, limitant par là même l'usage que d'autres pouvaient en faire... et en effet nous savons que Freud a toujours exigé que la psychanalyse ne soit exercée que dans la stricte ligne de ses instructions. Il alla même jusqu'à déclarer que lui, et lui seul, avait le pouvoir d'en modifier la “formule” originelle. […] Si Freud avait réellement été un chercheur scientifique et un explorateur du comportement humain, toute cette agitation n'aurait rencontré de sa part aucune objection. Au contraire, il n'aurait pu que se féliciter de la fécondité de ses idées et de voir qu'elles stimulaient la recherche dans des domaines jusque-là négligés par la science. […] On voit Freud adopter une attitude résolument monopolisante vis-à-vis de la psychanalyse et tenter d'en réserver l'exercice à ceux qu'il considérait comme ses loyaux disciples. En fait, tout dans la conduite de Freud laisse entendre qu'il cherchait à “faire breveter” la psychanalyse».
N.B. : ce thème est développé notamment par Sonu Shamdasani (2005) “Psychanalyse, marque déposée”. In C. Meyer et al., Le livre noir de la psychanalyse. Les Arènes, p. 162-177. Ed. 10/18, p. 205-225.
5. L’abus de pouvoir dans la pratique des analyses didactiques
Szasz a critiqué en particulier la pratique des didactiques. Les analystes didacticiens accumulent les preuves de santé mentale chez les candidats qu’ils estiment, tandis qu’ils traitent comme des malades mentaux d’autres candidats et prolongent indéfiniment leur analyse.
Pour en savoir plus sur l’abus de la pratique des didactiques, voir J. Van Rillaer (2010) “Comment Lacan psychanalysait” : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1553
6. Une vision étriquée de la sexualité
«Freud n'eut jamais qu'une compréhension très limitée des choses du sexe. Il avait sur le sujet le même point de vue anti-érotique que celui des Pères de l'Eglise : Ie sexe? procréation ou pathologie! Freud n'y voyait que maladies vénériennes, masturbation, et perversions de toutes
sortes. L'Église ne l'avait pas attendu pour décider que “la chair est faible”, et pour mettre en garde l'homme contre les péchés de chair ! Freud n'a jamais su voir dans le sexe le plaisir légitime, l'aventure personnelle, et l'expression du plus haut degré d'intimité et de respect entre un homme et une femme».
Références
[1] Pour des détails : Szasz, T. (2005) An autobiographical sketch. In Schaler, J.A. (ed.), Szasz under fire. The psychiatric abolitionist faces his critics. Open Court, p. 1-28.
[2] Cet institut était dirigé par Franz Alexander, lui-même formé à l’Institut psychanalytique de Berlin. Alexander était politiquement à gauche. Influencé par Ferenczi, il a essayé des techniques visant à raccourcir la durée des cures et à éviter le développement de la dépendance de l’analysé à l’analyste. Il appelait sa pratique «psychothérapie analytique active».
[3] Ideology and insanity. Calder & Boyars, 1973. Trad., Idéologie et folie. PUF, 1976, p. 101.
[4] The myth of mental illness. Hoeber-Harper,1961. Rééd., 2010, Harper, 368 p.
[5] Ideology … Op. cit., p. 81-87.
[6] The myth of psychotherapy. Anchor Press, 1978. Trad., Le mythe de la psychothérapie. Payot, 1981, p. 199.
[7] Ibidem, p. 194.
[8] Lettre du 8-10-1936 à Binswanger. In : S. Freud, Correspondance 1873-1939. Trad. Gallimard, p. 470
[9] Ibidem, p. 63.
[10] Ibidem, p. 79s.
[11] Ibidem, p. 217.
[12] Anti-Freud : Karl Kraus’s criticism of pychoanalysis and psychiatry. Syracuse University Press, 1990, p. XIIs.
[13]The myth of psychotherapy. Op. cit., trad., p. 169.
[14] Ibidem, p. 170.
[15] Ibidem, p. 173s. Freud écrit en 1914: «La psychanalyse est ma création. […] Je me trouve autorisé à soutenir le point de vue que, même encore aujourd'hui, où depuis longtemps je ne suis plus le seul psychanalyste, personne mieux que moi ne peut savoir ce qu'est la psychanalyse, par quoi elle se différencie d'autres manières d'explorer la vie d'âme et ce qui doit être couvert de son nom ou ce qu'il vaut mieux nommer autrement» (Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique. Œuvres complètes. PUF, XII, p. 249).
[16] Jaccard, R. (1982) Histoire de la psychanalyse. Hachette, vol. 2, p. 246.
[17] The myth of psychotherapy. Op. cit., p. 198.
Pour d’autres déconvertis du freudisme et du lacanisme, voir le film de Sophie Robert :
http://www.dailymotion.com/video/x37mnmz
Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.
1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique: www.pseudo-sciences.org
2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve
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