En 1912, des dissensions doctrinales éclatent entre Freud et celui qu’il avait appelé son « fils et héritier » [1], Carl Jung. Freud en est profondément affecté, il déprime.
Sandor Ferenczi a alors l’idée de constituer un groupe des frères les plus fiables veillant à l’orthodoxie de la doctrine. Jones écrit le 30 juillet 1912 à Freud :
« Ferenczi a émis le vœu qu'un petit groupe d'hommes puisse être systématiquement analysés par vous, en sorte qu'ils puissent représenter la théorie pure, préservée de tout complexe personnel, et bâtir ainsi au sein du Verein [l’Association] un noyau dur » [2].
Freud fait immédiatement part de son enthousiasme et précise que « ce comité devrait être strictement secret dans son existence et dans ses actions » [3].
Jones, dans sa réponse (7 août), écrit que ce comité sera « un petit corps uni, destiné, comme les Paladins de Charlemagne, à garder le royaume et la politique de leur maître ».
Ainsi le fils héritier est remplacé par une bande de frères.

1ère rangée : Freud (avec son indispensable cigare), Ferenczi, Sachs
2e rangée : Rank, Karl Abraham, Max Eitingon, Jones
À la première réunion, Freud offre une intaille grecque que chacun des élus fera monter en chevalière.
En l’absence de critères objectifs pour décider de la validité de la théorie et des interprétations psychanalytiques, l’autorité du « maître » et les avis des « paladins » seront les critères d’acceptation ou de refus de nouvelles idées. Le comité aura la même fonction que la Congrégation pour la doctrine de la Foi dans l’Église catholique. Il servira également d’instance disciplinaire. Quand Jones traitera Rank d'« escroc juif », le comité secret se réunira sans lui et lui « ordonnera » de reprendre une analyse didactique chez Ferenczi à Budapest [4].
Après douze années de fonctionnement, le comité éclatera sous l’effet de divergences doctrinales. Rank et Ferenczi ont publié en 1924 des ouvrages en contradiction avec la théorie freudienne. Jones écrit, dans la Circulaire du 20 novembre 1924, à leur sujet :
« Pour moi il a toujours été clair que notre but central était la préservation de la doctrine psychanalytique, qu'avant de publier quoi que ce soit où une déviation de la psychanalyse peut être soupçonnée, on doit d'abord soumettre les points de vue en question à une discussion entre nous ; après, on sera naturellement libre de publier ce qu'on veut. [...] Cette condition, à laquelle nous adhérons tous, semble simple et honnête, et cependant deux membres de l'ancien Comité l'ont déjà violée. » [5].
Après moultes discussions, Rank et Ferenczi sont exclus et remplacés par Anna Freud.
Jones, dans sa biographie hagiographique de Freud, expliquera l’échec du dispositif de contrôle par la « maladie mentale » des deux contestataires :
« L'adhésion aux révélations de la psychanalyse implique de conserver un esprit pénétrant lorsqu'il s'agit de l'inconscient, et la capacité de le faire présuppose un haut degré de stabilité mentale. J'avais naturellement espéré en fondant le Comité que nous six présentions des garanties suffisantes sous ce rapport. Hélas, il apparut que ce n'était le cas que pour quatre d'entre nous puisque Rank et Ferenczi ne furent pas en mesure de tenir jusqu'au bout. Les manifestations psychotiques, qui apparurent chez Rank de façon dramatique et celles qui se développèrent peu à peu chez Ferenczi vers la fin de sa vie, eurent entre autres conséquences de les détourner de Freud et de ses doctrines. Les germes d'une psychose destructrice, invisible pendant si longtemps, finirent par éclater » [6].
Jones ne faisait que préserver à tout prix la doctrine freudienne grâce au mécanisme de défense e plu classique de Freud : la psychiatrisation des déviants et objecteurs.
Fritz Wittels, qui fut un disciple de Freud dès 1905, écrira à cette époque, 1924 : « Freud est devenu un despote qui ne tolérera pas la plus petite déviation de sa doctrine ; il tient conseil derrière des portes closes, et tente de s’assurer par une sorte de sanction pragmatique, que le corps de l’enseignement psychanalytique demeurera un tout indivisible » [7].
Le comité fut dissout en 1927 lors d’une réunion au cours du congrès d’Innbruck. On estima que, le Mouvement psychanalytique étant suffisamment implanté internationalement, la direction secrète n’était plus nécessaire.
Le secret du comité a été bien gardé. Ce n’est qu’en 1944 que Hanns Sachs a révélé son existence [9]. Il faudra attendre 1991 pour que l’ouvrage de Phyllis Grosskurt [8] explicite son fonctionnement, notamment la circulation des lettres secrètes entre les membres (Rundbriefe).
Aujourd’hui encore un nombre important de ces circulaires sont gardées secrètes, alimentant des hypothèses et des rumeurs sur les comportements sectaires de Freud et de ses fidèles.
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[1] E. Jones, La vie et l'œuvre de S. Freud, PUF, vol. 2, 1955, p. 35.
[2] S. Freud & E. Jones, Correspondance complète, Paris, PUF, 1998, p. 198.
[3] Ibidem, p. 200.
[4] Ibidem, p. 611
[5] cité in Freud, S. & Ferenczi, S., Correspondance. Trad., Calmann-Lévy, 2000, vol. III, p. 214
[6] Jones, Op. cit., vol. 3, p. 50.
[7] Cité dans: Clark, R., Freud : The Man and the Cause, Weidenfeld & Nicolson, 1980, p. 460.
[8]The secret ring : Freud’s inner circle and the politics of psychoanalysis, Addison-Wesley, 1991. Trad., Freud, l’Anneau secret, PUF, 1995, 231 p.