Cette hypothèse est d’autant plus plausible qu’Éric Ciotti, toujours président des LR et ayant parait il la confiance des militants, a montré la voie du ralliement. La victoire amènera avec elle des arguments pour convaincre les « chapeaux à plumes » réticents. C’est malheureusement aussi d’autant plus plausible que la gauche nous a fait le coup de nombreuses fois : voter Chirac en 2002 pour contrer le FN, et on a aujourd’hui le RN proche du pouvoir. Voter Macron en 2017 et 2022 et on a eu une Elizabeth Borne, sa réforme des retraites et ses 49.3, Darmanin et sa loi anti-immigration, Yaël Braun Pivet et son soutien inconditionnel aux ministres israéliens qui annonçaient vouloir « affamer » le peuple palestinien… la gauche s’apprête à élire les mêmes ! À voter Edouard Philippe pour éviter Jordan Bardella ! Bien sûr dans quelques temps la gauche prétendra avoir été trahie par ceux qu’elle a contribué à élire. On ne pourra pourtant pas dire qu’on ne savait pas !
Et ce gâchis au nom de quoi ? La critique morale avec plaquage historique sommaire, et donc faux, d’une étiquette, d’un label : « attention fascisme ! ». Rejouons le Front populaire ! Or l’histoire ne se répète jamais, sauf comme farce disait Marx. « Il ne faut pas une voix pour le RN ! » Bien sûr le moins de députés RN possible est souhaitable et doit être martelé, mais l’essentiel n’est pas là ! Car au passage on oublie d’expliquer pourquoi « Il ne faut pas », comme si ça allait de soi ! On comprendrait les petits coups tactiques, désistements etc. s’ils n’écrasaient pas tout. Des députés RN en moins comptent peu, si on ne combat pas ses idées et les laissent diffuser chez d’autres… pour qui on appelle par ailleurs à voter !
PAS DE TRAVAIL !
Le piétinement « Attention fascisme ! fascisme ! » du NFP masque le fait que le travail de combattre les idées du RN n’est pas fait. La campagne, en particulier de ce second tour, n’aborde plus du tout les besoins des travailleurs : la difficulté de vivre avec un pouvoir d’achat en berne, des services publics et hôpitaux défaillants, la sécurité incertaine en raison de l’emprise du trafic de drogue, les inégalités accrues avec l’arrogance cupide des milliardaires, l’appropriation collective des moyens de production, le mépris des procédures démocratique comme le RIC des gilets jaunes, le questionnement sur la place des travailleurs immigrés, la guerre menaçante avec les agressions russes et israélo américaines, la dérive anti écologique, les menaces religieuses comme l’islamisme ou le judaïsme sioniste, la nécessité pour affronter tout ça de s’allier aux pays du Sud… Oui tout un programme ! Que les travailleurs pourraient approuver mais que la gauche ne propose pas. Tous thèmes absents de la campagne qui exceptionnellement offrait pourtant des tribunes, journaux, plateaux tv, réseaux sociaux, possibilités de réunions…
Avec son objectif de « 289 moins un » députés pour le RN, l’appel au « Front Républicain », l’appel au « Barrage », la gauche est sur la défensive et diffuse la peur. Sa timidité à défendre les travailleurs immigrés (dont beaucoup ne votent pas) ne lui permet même pas d’exploiter les erreurs du RN en démontant, avant même d’être au pouvoir, la dynamique à l’œuvre dans la séquence : s’en prendre d’abord aux étrangers, puis à l’ensemble des immigrés dont beaucoup sont français, puis aux bi nationaux… La gauche se laisse enfermer dans l’accusation scandaleuse d’antisémitisme, au lieu d’être à l’offensive en rétorquant que cette accusation ne vise qu’à couvrir les crimes génocidaires de l’état d’Israël… Le barrage aux élections ne fait pas barrage aux idées du RN. Or l’essentiel est là.
REPOSITIONNER LA GAUCHE
En rejouant la lutte anti fasciste d’il y a 80 ans, en diffusant la peur, non seulement la gauche n’est pas à l’offensive sur les luttes d’aujourd’hui mais elle ne prépare pas les luttes de demain pour offrir une perspective aux crises capitalistes. Rejouer toujours et toujours le même appel à voter pour les candidats de droite, c’est rejouer en simulacre l’alliance d’hier avec la bourgeoisie, avec le capitalisme Anglo saxon et les gaullistes contre Hitler et Mussolini. Laisser penser que l’horizon des luttes aujourd’hui est le capitalisme démocratique est une tromperie. C’est obscurcir l’horizon au lieu de l’éclairer. D’abord malgré tous ces désistements en faveur de la droite pour « faire barrage », ce capitalisme est de moins en moins démocratique. Le seul horizon réaliste est celui de son dépassement, de la révolution sociale, de l’alliance avec les pays du sud. Par exemple le développement de ces pays est la seule réponse réaliste à la préoccupation sur l’immigration si prenante lors de ces élections mais que la gauche a évité d’aborder. L’histoire ne reviendra pas en arrière vers un capitalisme démocratique. Les appels constants et répétés à rallier la droite pour «» à la droite extrême empêche de concevoir et de bâtir l’alternative.
Il y a des leçons à tirer des lacunes de la gauche. Elles manifestent, malgré les bonnes intentions, le manque de solidité de la petite bourgeoisie et des professions intermédiaires qui la constitue pour faire un réel barrage aux politiques de droite. Une refondation de la gauche passe à la fois 1) par un socle social de travailleurs, ouvriers, d’employés qui pour beaucoup n’ont pas le droit de vote, s’abstiennent ou se laissent tromper par le fait que « le RN est le seul à ne pas avoir été essayé ». Alors que beaucoup de variantes capitalistes ont été essayées. Un socle social fort de 99% des actifs, pas de 20 ou 30 % des inscrits, en ralliant aux 70% des classes populaires les 29% des classes moyennes[1]. 2) par un horizon de lutte qui ne peut être que le dépassement du capitalisme, le communisme démocratique. Il s’agit de constituer un axe et une force politique qui soit réellement la seule « à ne pas avoir été essayée » en France, en la dégageant des tentatives qui ont eu lieu ailleurs, à d’autres époques. Voir Jacques Lancier « Réinventer le communisme, démocratique, écologique, européen, internationaliste » Amazon 2018.
[1] Jacques Lancier « L’irruption des prolétaires » Éditions Manifeste ! 2021.