« A gauche, nos convergences sont suffisantes pour nous permettre de gouverner ensemble 5 ans ». Sans doute cette phrase s’adresse-t-elle au personnel politique de gauche, voire au soi-disant « peuple de gauche ». Mais le peuple tout court, classes populaires (70% de la population active) et classes moyennes (29%) pourquoi aurait-il intérêt à ce que le personnel politique de gauche gouverne 5 ans ? Cette phrase clé est typique d’une vision politicienne étroite, qui ne se pose pas la question de fond pourquoi la gauche est-elle si faible ?
La gauche est faible tout d’abord parce que les travailleurs, dans l’ensemble, tolèrent encore le système, même s’ils se savent dirigés par le président des riches, même si l’accroissement des inégalités les choque, mêmes si telle ou telle situation les indigne ou les révolte. Les gilets jaunes, la lutte la plus radicale de ces derniers temps, bien qu’ayant le soutien massif de la population, n’a rassemblé que 300 000 participants actifs. Avant la pandémie le mouvement contre la réforme des retraites, aujourd’hui repoussée, a selon la CGT elle-même mobilisé moins de 2 millions de personnes. Ce fut pourtant le mouvement le plus important de ces dernières années. Face à la pandémie les aides financières et le « quoi qu’il en coute » ont rendu la situation tolérable pour beaucoup, et ceci dans tous les pays occidentaux. Les effets négatifs des mesures prises, l’accroissement phénoménale de la dette en particulier, ne sont pas encore perceptibles. Les luttes sont faibles et tout le monde sait qu’une victoire électorale, au mieux gagnée de justesse, ne permet pas une avancée sociale significative.
De plus en quoi la gauche ferait-elle mieux que l’équipe en place ? Macron a été le conseiller puis le ministre de Hollande. Il est son œuvre. Le peuple se souvient que c’est le couple Mitterrand Fabius qui en France a conduit la libéralisation financière et thatchérienne de l’économie. Quelle différence y a-t-il que Jean Yves Le Drian, « le meilleur ministre de la défense que la France a connu » dixit Dassault, vende des rafales comme ministre de François Hollande, d’Emmanuel Macron et demain peut-être de Christiane Taubira ? A ce sujet, caractéristique du caractère impérialiste et dangereux de l’économie française, on n’a pas très bien entendu les protestations des candidats de gauche ? Taubira inclue.
L’idée qu’au fond ils se valent tous explique pourquoi une fois encore, lors des prochaines élections, les classes populaires seront divisées : la plus grosse fraction s’abstiendra, les autres se disperseront entre les différents candidats qu’ils soient de gauche, de droite, (oui même pour Macron malgré le rejet que suscite son mépris), ou d’extrême droite.
Cependant il y a dans l’espoir qu’ont encore certains électeurs de gauche pour une candidature unitaire, la nostalgie que l’on peut partager de l’unité. Plus précisément il y a dans le penchant pour Taubira, noire et femme de surcroit, une façon pour les électeurs de gauche de marquer le coup, d’indiquer confusément une position internationaliste. Tout à fait indépendamment de ce que Taubira elle-même peut dire. Car il n’y a rien dans ce qu’elle annonce qui peut laisser penser qu’avec elle il en irait autrement cette fois. On ne voit pas en quoi les traditionnelles déceptions sociales-démocrates seraient évitées. Elle a été sous François Hollande la ministre de Ayrault puis de Valls, la quintessence de la trahison.
Surtout, alors même que partis de droite et d’extrême droite font de l’attaque contre les immigrés leur axe principal Taubira n’en dit pas un mot dans son texte. Elle est visiblement en phase avec la politique de l’autruche de tous les candidats de gauche : n’en parlons pas, accusons les candidats de droite et d’extrême droite de ne parler que de ça, mettons la question sous le tapis. Ils confortent ainsi l’idée qu’effectivement ce seraient les immigrés le problème. Ces leaders de gauche sont incapables de monter au créneau, de défendre une position internationaliste en affirmant haut et fort que s’en prendre aux immigrés c’est avant tout s’en prendre aux travailleurs. C’est peut-être ce que confusément des électeurs de gauche essaient de compenser en souhaitant une candidature de Christiane Taubira, noire, issue d’une colonie française et sympathique.
Mais aussi sympathique que soit un vote symbolique, il ne répond pas aux fondements nécessaires de l’unité. Celle nécessaire pour durer un peu plus de 5 ans. Celle qui ne se contente pas de gérer un peu différemment le capitalisme… Toute unité qui n’a pas comme pierre de touche la fierté de la solidarité avec les travailleurs immigrés, l’affirmation claire de la nécessité de la convergence des niveaux de vie entre travailleurs du Sud et du Nord, la remise en cause de l’impérialisme français, est vouée à l’échec.
Tous les problèmes qui nous menacent, les dérèglements écologiques, les migrations, les crises économiques, le terrorisme, les virus, les risques de guerre etc. exigent la solidarité internationale des travailleurs. C’est pourquoi la véritable alternative aux candidats capitalistes mondialistes type Macron et Pécresse ne sont pas les capitalistes nationalistes, comme Le Pen et Zemmour, même lorsqu’ils se veulent de gauche comme Taubira, Jadot ou Mélenchon, mais ce sont les communistes internationalistes.
Car si les classes populaires subissent et tolèrent la situation, si elles ne se précipitent pas vers une alternative de gauche, si la gauche aussi bien Die Linke en Allemagne, Podemos en Espagne, Corbyn en Grande bretagne est si faible, c’est paradoxalement aussi en partie parce que le communisme est « déjà là »[1]. La façon de lutter contre la pandémie a été le recours à la dette et le « quoi qu’il en coute », ce qui a maintenu de façon générale le niveau de vie dans les pays occidentaux. Même Trump a envoyé des chèques de 1400 $ à tous les américains ce qui, si ce n’avait pas été lui, aurait été taxé de « communisme ». La part des dépenses publiques dans les pays occidentaux était de moins de 10% du PIB avant 1913, elle est montée à 50% après les 30 glorieuses vers 1975. La contre révolution réactionnaire des actionnaires menée par Reagan et Thatcher dans les années 80 l’a fait tomber à 40 ou 30% selon les pays. Elle n’a pas reculé tant que ça finalement ! La lutte contre la pandémie, l’appel à la dette, a probablement de nouveau rapproché la part des dépenses publiques des pays occidentaux de 50%. A 100% du PIB consacré aux dépenses publiques on est dans le communisme ! Inexorablement, avec parfois il est vrai de forts retours en arrière, le communisme est en marche. Cette remontée des dépenses publiques n’est pas un cadeau fait aux travailleurs, mais la seule façon pour le capitalisme de se maintenir en évitant les conflits sociaux.
Aucune candidature, celle de Taubira comprise, ne tiendra un langage de vérité aidant les gens à s’y retrouver dans les temps difficiles à venir. L’unité « pour gouverner … 5 ans » serait factice et se fracasserait à la première difficulté rencontrée.
[1] Bernard Friot « Un désir de communisme » 2020