Tout ceci avant même que les sanctions économiques n’aient encore déclenché leurs effets sur l’économie russe. Avant qu’une occupation de longue durée et la courageuse résistance ukrainienne n’aient eu de conséquences sur la société russe elle-même…
A l’ONU : Lors de l’assemblée générale de l’ONU le 2 Mars tous les pays ont dénoncé l’agression militaire russe, à l’exception de la Russie et de 4 pays qui représentent moins de 2,5 % de la population mondiale. 141 pays, le bloc occidental et leurs alliés, représentant une petite moitié de la population mondiale a approuvé la résolution et ses sanctions. 35 pays, Chine, Inde, Pakistan, Bangladesh, Vietnam, Iran, Afrique du Sud, Cuba etc. se sont abstenus. Ces derniers représentent plus de la moitié de la population mondiale. Ce sont les pays du Sud où se trouve l’essentiel de la classe ouvrière mondiale. Saluons de nouveau l’unité entre la Chine et l’Inde après celle établie à l’occasion de la COP26. Cette circonspection des pays du Sud vis-à-vis des sanctions ainsi que sur le type d’aide à apporter à l’Ukraine est éclairante pour les travailleurs des pays occidentaux.
Le vote à l’ONU reflète que l’agression russe a lieu dans une situation internationale complexe. Les menées impérialistes de la Russie sont une des manifestations de la fin de la « Pax americana », la fin de la domination des Etats unis après leurs défaites militaires au Vietnam, Irak, Afghanistan, etc… La baisse de la part des États Unis dans le PIB mondial, qui est passée de plus de 50% à l’issue de la seconde guerre mondiale à 15% (PPA) aujourd’hui, est une autre illustration de cette situation nouvelle. Le monde devient multipolaire.
Les petits impérialismes : C’est relativement un « petit impérialisme » qui agresse l’Ukraine. La Russie, bien qu’ayant le plus grand territoire au monde, en est la 12ème puissance économique juste devant l’Espagne, la 10ème en termes de population. Si elle a hérité de l’Union Soviétique un lourd appareil militaire, son budget des armées est moins du dixième de celui des Etats Unis. L’émergence de petits impérialismes est une conséquence de l’affaiblissement de l’impérialisme américain. Ce qui est une bonne chose mais les nations qui se dégagent de l’emprise de ce dernier le font sur une base capitaliste nationale. Les capitalismes nationaux les plus puissants peuvent croire leur jour venu. Or le capitalisme c’est toujours la guerre. C’est le cas de l’impérialisme russe qu’on voit à l’œuvre ces jours-ci ; mais c’est le cas aussi à des degrés divers de l’impérialisme européen ; On voit l’émancipation du capitalisme allemand (autour du gazoduc Nord Stream 2), de la France (dépitée par la constitution de l’Aukus dans le pacifique), du Japon, de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, d’Israël etc. Avec le Brexit, la Grande Bretagne, étroitement liée financièrement aux Etats unis reste dans le giron américain. L’impérialisme Anglo saxon reste le plus puissant à la fois économiquement et militairement. C’est lui qui maintient les rapports de domination de la mondialisation capitaliste pour ne pas payer correctement les travailleurs du Sud, c’est lui qui contrôle le système financier mondial, c’est lui qui dirige les plus grands regroupements militaires, Otan, Aukus etc. C’est lui qui a mené ces dernières décennies le plus de guerres, c’est lui qui maintient un blocus terrible sur Cuba (depuis 1962 !), l’Iran, le Venezuela, et Gaza avec l’aide d’Israël. Les Etats Unis consacrent, comme la Russie, 4% de leur budget à la guerre (La Chine comme la France 1,9%) ; Les États Unis n’acceptent pas que leur puissance économique soit remise en cause par l’émergence des pays du Sud, comme la Chine. Alors qu’il est normal, juste et sain qu’un pays 4 fois plus peuplé qu’eux, ait une économie plus importante.
Pas de menace fasciste. Que Poutine soit aujourd’hui l’agresseur de l’Ukraine en fait-il pour autant le seul ennemi des travailleurs dans le monde ? Malheureusement non. C’est ce que reflète la position des pays lors du vote à l’ONU. Il est réaliste de penser que Poutine se « contentera » d’agressions et d’annexions d’anciens territoires de la Russie impérialiste tsariste. D’autant plus que la résistance Ukrainienne menée par le président Zelensky, calmera ses appétits. Il n’a ni les capacités, ni « besoin » de territoires, ni un projet pour le monde, ni des alliés pour créer un axe tel que celui constitué par l’Allemagne, l’Italie et le Japon dans les années 30. L’assimilation de Poutine à Hitler n’est pas réaliste. Les comparaisons historiques telles que traiter de « munichois » ceux qui sont réticents à livrer des armes à l’Ukraine, en référence aux accords de Munich de 1938, comme au refus des démocraties (à l’exception de l’URSS) d’armer la République Espagnole de 1936, ne sont pas pertinentes. Mais si Poutine n’est pas Hitler, Biden ou Trump non plus. Le danger aujourd’hui n’est pas un Hitler mais celui d’une généralisation des conflits entre oligarques de différentes nationalités, sous couvert de nationalisme, de religion, et parfois même de « démocratie » comme on l‘a vu avec Bush en Irak. Les guerres actuelles sont les convulsions de la crise généralisée du système capitaliste, ce qui implique de leur opposer un tout autre modèle de société. S’il faut faire une comparaison historique nous sommes plus au début de la guerre de 14, qu’à celle de 40. C’est-à-dire que l’issue en est plus la révolution pour le socialisme que la ré instauration d’un modèle capitaliste mondialisé sous prétexte de lutter contre le fascisme.
Poutine contre Lénine. Ce n’est pas par hasard si dans son discours du 22 Février 2022 pour entamer l’agression contre l’Ukraine et tenter de la justifier, Poutine s’en est pris longuement à Lénine : « L’Ukraine peut être appelée à juste titre "Ukraine de Vladimir Lénine". Il en est l'auteur et l'architecte ». Poutine reproche surtout à Lénine les « conditions humiliantes du traité de Brest Litovsk ». Poutine indique ainsi clairement que ce n’est pas le périmètre de l’URSS qu’il veut rétablir, mais celui de l’empire tsariste.
Le traité de Brest Litovsk du 3 Mars 1918 que Lénine et Staline imposent contre l’avis de Trotski, chef de la délégation soviétique, n’est humiliant que dans la perspective nationaliste impérialiste russe. Il est vrai qu’entre autre le traité amputait l’empire tsariste de l’Ukraine. Mais dans la perspective des travailleurs ce traité aura été la condition pour sauver la révolution. Et ce fut un fabuleux acquis pour les travailleurs du monde entier. La révolution russe, 2ème tentative de révolution des prolétaires après celle de la Commune de Paris de 1871, aura été de 1917 aux années 50 la force principale de la lutte contre le nazisme, l’aide décisive aux pays du Sud pour s’émanciper de la soumission coloniale, la « menace » qui aura permis les acquis sociaux, Sécurité Sociale etc. pour les travailleurs des pays développés.
Il a fallu à Lénine une clairvoyance et un engagement sans faille au service des prolétaires pour passer outre les sentiments nationalistes, accepter d’amputer le territoire national et ainsi sauver la révolution prolétarienne. A comparer aux crimes de Poutine pour gagner quelques kilomètres carrés.
Si Poutine, pour préparer son agression, passe du temps à critiquer le Lénine d’il y a plus d’un siècle, c’est que Lénine nous indique la voie, celle-là même que les courageux manifestants russes nous montrent aujourd’hui : s’opposer à tous les impérialismes et en particulier au sien ! Nous avons trop tendance à minimiser le rôle de notre propre impérialisme, à ne pas réaliser que notre pays bien souvent fait partie de « l’axe du mal ». Nous devons nous rappeler que nous sommes des démocraties assises sur l’esclavage, le colonialisme, l’impérialisme. Les entreprises françaises sont, avec 160 000 salariés, le premier employeur étranger en Russie. La France a rejoint le commandement unifié de l’Otan en 2009 par la volonté de Sarkozy, contrairement à la politique de De Gaulle et Mitterrand. Nos principaux médias sont la propriété d’une dizaine d’oligarques français. Nous baignons dans la propagande anti chinoise, plus encore qu’anti russe. Sans parler des va t en guerre Hidalgo et Jadot, partisans de l’Otan et des assassinats « ciblés », Mélenchon le leader de la gauche, a trop souvent tendance à oublier l’impérialisme français dans ses dénonciations du capitalisme allemand et des impérialismes américains, européens voire chinois.
Quelles sont les solutions ? Avec l’agression russe contre l’Ukraine on assiste à l’un des soubresauts de la crise capitaliste. Malheureusement ce ne sera pas le seul et peut être pas le pire. La voie capitaliste prise par la Russie dans les années 50 a mené à la guerre. L’intérêt des travailleurs est de considérer ces conflits d’oligarques, ce monde multipolaire, sans se laisser entrainer dans des divisions nationales ou religieuses, et en étant conscient que tout regroupement autour d’une nation ou d’une religion se fait dans l’intérêt exclusif des capitalistes de cette nation.
Le capitalisme offre deux voies : Celle du capitalisme mondialisé, toujours prompt à crier au danger fasciste pour justifier les inégalités existantes et nous faire voter Chirac ou Macron pour éviter Le Pen, voter Biden pour éviter Poutine. L’autre, celle des populistes, nous fait revenir vers un passé fantasmé, glorifiant la nation et la religion. Poutine en est sa quintessence, Zemmour et Le Pen ses expressions en France.
Ces orientations relèvent toutes deux du passé : On ne reviendra pas en arrière, on ne reviendra pas au siècle des lumières, le 18ème siècle comme le voudraient les mondialistes « éclairés ». On ne reviendra pas à un capitalisme concurrentiel non monopoliste, on ne reviendra pas à une France, ni même à une Europe autarcique totalement autonome sur le plan économique. L’Europe ne se passera pas du gaz russe comme elle ne se passe pas du pétrole d’Arabie Saoudite, pays tout autant dictatorial et meurtrier que la Russie (au Yemen, à Bahrein). Malgré la guerre commerciale (et malgré le Covid !) les échanges aussi bien commerciaux que d’investissements n’ont jamais été aussi élevés entre les Etats Unis et la Chine qu’en 2021 ! Les intérêts du capitalisme mondialisé sont imbriqués.
Les forces productives que le capitalisme mondialisé a libéré ont donné des résultats formidables et ont sorti l’espèce humaine de la pauvreté et des calamités des campagnes. Mais cette forme de structure économique et sociale est aujourd’hui dans l’impasse dans tous les domaines : l’écologie, les inégalités, les crises économiques, les rivalités guerrières... On ne reviendra pas à un capitalisme rêvé par les uns et par les autres. Capitalisme qui n’a jamais été pacifique. La compléxité même des conflits nationaux exige de trouver des solutions dépassant le cadre des nations et des religions, exige des solutions internationalistes pouvant s’exprimer éventuellement à la fois dans des structures plus petites, les russophones d’Ukraine ? la Catalogne ? l’Écosse ? les peuples de l’ex Yougoslavie ? la Cisjordanie ? Gaza ? La Judée ? et des structures englobantes plus grandes comme l’Europe ou la Palestine. L’Internationalisme est l’une des composantes utiles du socialisme. Si l’horizon ne peut être que le communisme réinventé il faudra malheureusement pour s’en convaincre probablement expérimenter certaines des politiques proposées aujourd’hui qui se révéleront des impasses.
Face à la guerre russe en Ukraine, la position des pays du Sud est une bonne indication pour tous les travailleurs dans le monde : tout en sachant que l’Ukraine avait aussi ses oligarques, dénonciation de l’agression russe, cessation des actes de guerre, manifestations pour la paix, manifestations de solidarité comme celle des dockers anglais refusant de décharger du gaz russe, respect des frontières existantes (à moins d’accord pacifique pour les modifier), aide humanitaire à l’Ukraine, retrait de tous les blocs militaires, non à une guerre mondiale. Au-delà il est très difficile aux travailleurs, éloignés du pouvoir, soumis aux propagandes des oligarques de tous les pays qui y contrôlent la plupart des médias, d’anticiper les effets des différentes mesures prises à l’encontre de l’agresseur russe. N’ayant pas le pouvoir, les travailleurs peuvent difficilement prévoir les conséquences des sanctions économiques, et encore moins celles d’une intervention militaire.