La lutte contre la progression de l’extrême droite dans les pays riches occidentaux ne fait que commencer. D’autant plus que, faute d’être sérieusement combattues, les idées du RN ont diffusé dans d’autres partis. Cette progression de l’extrême droite manifeste deux choses : la crispation de sociétés riches occidentales face à la crise du capitalisme d’un côté, de l’autre la désaffection, soulignée aussi par leur abstention, des classes populaires pour les « partis de gouvernement », ceux qui gèrent le capitalisme.
Quelles sont les faiblesses majeures du RN ? 1) Il défend le capitalisme et sera toujours dépendant de ses crises et de leurs conséquences 2) Il est nationaliste et tend à se couper des pays d’Europe comme des pays du Sud. Ces faiblesses définissent la composition des forces qui sur le long terme s’opposent à lui : l’alliance des travailleurs du Nord et du Sud. Elles annoncent déjà que même s’il arrive un jour au pouvoir le RN sera finalement battu. Ces faiblesses définissent aussi le contenu de la riposte à opposer à ses thèmes de progression.
- L’immigration :
Les travailleurs immigrés étrangers sans droits de vote sont de l’ordre de 3 millions en France. Ils seraient les premières victimes de la politique du RN. Mais en fermant les frontières, en s’attaquant aux travailleurs immigrés, le RN s’attaque aussi aux pays du Sud. Or ceux-ci 1) sont la source des richesses et des acquis que le RN prétend conserver. 2) ces pays du Sud sont constitués essentiellement de prolétaires, 3) ces pays progressent, s’émancipent et se renforcent face à l’occident.
La première tâche est de défendre les travailleurs immigrés en tant que partie intégrante de la classe ouvrière et du peuple. La gauche en éludant le thème principal de l’offensive de l’extrême droite lui a laissé le champ libre, aussi bien lors de la lutte contre la loi immigration, que lors des campagnes électorales (jetez un œil sur les professions de foi des candidats du NFP). Quel dirigeant de gauche (à part Éric Coquerel ?) a mobilisé en faveur des sans-papiers ? Annoncer l’annulation de la dernière loi contre l’immigration sans mener le travail idéologique expliquant le rôle positif des travailleurs immigrés, sans présenter cette annulation avant tout comme l’annulation d’une loi anti ouvrière, risque d’être contreproductif.
- Le pouvoir d’achat :
Le RN a rassemblé 22% des inscrits au premier tour. Outre les policiers, les boutiquiers et une fraction des cadres, la moitié de leurs électeurs étaient des ouvriers et des employés. Soient 10% des inscrits qu’ont assimilera ici aux actifs. Ouvriers et employés[1] constituent 70 % des actifs en France. Donc un ouvrier sur 7, sans compter ceux qui n’ont pas le droit de vote, a voté RN (attention la gauche en a récolté encore moins !). Il y a 3 ouvriers NFP et 1 ouvrier RN parmi les nouveaux élus et plus de 80% de cadres supérieurs tous partis confondus. Partisan du capitalisme, au service de certains oligarques milliardaires comme Bolloré et Sterin (celui qui veut racheter le magazine Marianne), le RN prendrait des mesures, y compris à l’encontre des travailleurs qui ont voté pour lui. Son programme fiscal est ouvertement en faveur des plus riches. C’est « l’autre parti des riches » pour paraphraser François Ruffin. Il est clair aussi, puisque le RN est toujours partisan de la réduction des taxes patronales, qu’il serait obligé de réduire la part du budget consacré aux dépenses sociales, et en conséquence ne développerait pas les services publics. D’autant plus que partisan du capitalisme, il est obligé de se soumettre à ses contraintes, et en particulier de limiter la dette publique. La gauche, au risque de déclencher une fuite des capitaux et une augmentation des taux d’intérêts, sera confrontée à la même contrainte. Celle-ci ne pourrait être levée que par l’expropriation des grandes richesses. Pour l’instant le RN, contrairement aux nazis, n’a pas de réels réseaux dans le monde ouvrier et n’anime aucun syndicat. Soyons attentif à ce que le répit que nous donne son échec du 7 juillet, ne soit pas l’occasion pour lui de l’organiser.
- L’insécurité :
Elle aussi est une manifestation de la crise du capitalisme. Elle ne disparaitra pas quel que soit le gouvernement. La gauche est trop timide là-dessus et doit prendre en compte le fait qu’elle est une préoccupation à juste titre prioritaire de la société. Pour une bonne part cette insécurité est liée au trafic de drogue. Ce trafic est très étroitement animé par les motivations capitalistes : gagner de l’argent au plus vite. Il est imbriqué dans tous les flux financiers internationaux, paradis fiscaux etc., qui irriguent les sociétés capitalistes au point de faire de certains états des narco états. Être à l’offensive sur la question de l’insécurité permettrait de la séparer de la question de l’immigration à laquelle le RN la rattache systématiquement. Il serait alors plus facile d’expliquer que oui des immigrés sont aussi les petites mains de cette activité, mais comme ils le sont dans le bâtiment ou à l’hôpital. Découpler l’insécurité des questions d’immigration est primordial. Exemple : ce point 3 est volontairement séparé du point1 !
- Les luttes écologiques
Elles sont au minimum négligées par un RN partisan de la croissance capitaliste débridée et carburant aux énergies fossiles. Or de plus en plus les conséquences écologiques du réchauffement climatique, au moins en partie dues aux conséquences du type de développement capitaliste, nous impacteront tous. Le mois de juin 2024 est le 13ème mois d’affilée à battre les records de température dans le monde. On le perçoit largement déjà avec les différents événements météo extrêmes. Les revendications populaires que susciteront ces événements seront l’occasion de ringardiser les positions du RN. Elles doivent donner aussi l’occasion de faire l’alliance avec les pays du Sud, lors des différentes COP par exemple.
- La démocratie
Dans sa démagogie et sa tentative de coller aux mouvement sociaux, tels que les gilets jaunes ou le mouvement contre la réforme des retraites, le RN s’est avancé à soutenir des démarches démocratiques comme le RIC, le Referendum d’Initiative Citoyenne. Il y aura bien des occasions de le lui rappeler.
Des dérapages, surtout d’un RN frustré de son échec, sont toujours possibles comme l’a rappelé aux États-Unis l’assaut sur le capitole à Washington. Le RN prétendra lui aussi s’être fait voler le résultat des élections. Il continuera à s’en prendre aux contrepouvoirs démocratiques, le conseil constitutionnel, le conseil d’état, le parlement, la justice, les centres de culture etc. afin de préparer sa prochaine offensive en s’appuyant essentiellement sur la police et l’armée.
Pour ces raisons aussi le RN continuera à susciter des condamnations à la fois sur le plan moral (contre le racisme etc.), et du point de vue historique, (Pétain etc.). C’est essentiellement la lutte qu’ont mené jusqu’à présent les organisations de gauche. C’est positif. Cependant le mouvement ouvrier ne peut pas se mettre à sa remorque. D’une part une petite partie de cette moyenne bourgeoisie démocratique risquerait de se rallier au RN s’il arrivait au pouvoir. Mais surtout laisser la direction de la lutte à la majorité, même honnête et sincère de ce mouvement conduirait à l’impasse : Après le fameux « barrage au fascisme » quoi ? Les idéologues et dirigeants de ce courant veulent revenir à un capitalisme démocratique. Or ce capitalisme démocratique n’a pu se mettre en place que grâce aux superprofits tirés de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme. Et ça c’est bientôt fini. La poussée du RN n’est pas isolée, comme le prouvent ses émules, Poutine, Orban, Trump, Netanyahou, Meloni, Farage etc. Le passage du capitalisme démocratique à l’illibéralisme est la conséquence de la crise capitaliste, la crispation sur les avantages acquis face aux pays du Sud. On ne conservera pas ces avantages. On ne reviendra pas vers un soi-disant « âge d’or » démocratique. On ne reviendra pas au siècle des lumières comme le pense certains[2]. L’histoire avance et ne se répète pas. Ceux qui souffriraient d’une politique RN, en premier lieu les classes populaires, ont souffert aussi des régimes capitalistes précédents. C’est pourquoi le mouvement ouvrier ne devra pas laisser la bourgeoisie démocratique diriger la lutte contre le RN et devra privilégier l’alliance avec les prolétaires des pays du Sud.
- L’Ukraine et la Palestine
Le RN est bien plus l’héritier des combats perdus du colonialisme français, Dien Bien Phu, l’Algérie française, l’OAS, que ceux, perdus eux aussi, des Waffen-SS de la seconde guerre mondiale. Ces derniers, sont morts, les premiers sont toujours là. Cette nostalgie du « temps béni des colonies » explique la connivence du RN avec l’impérialisme grand russe et le colonialisme israélien. Elle explique sa réticence à soutenir l’Ukraine et ses attaques contre la Palestine. Le RN a troqué l’antisémitisme contre le soutien à Israël car c’est la même politique impérialiste et raciste. Il prend exemple sur Israël qui se cache derrière la shoah pour mener sa politique colonialiste d’apartheid et de génocide. Voir le billet : Si ! Marine Le Pen avait toute sa place dans la manif pro Israël du 12 Novembre.
Israël est aujourd’hui à la fois le modèle et le futur où nous conduit le RN : une citadelle blanche privilégiée et militarisée au milieu d’un monde bigarré et exploité. Citadelle soumise fatalement aux explosions des opprimés tel que le 7 octobre l’a montré. C’est une impasse pleine de souffrances. Le soutien aux agresseurs russes et israéliens révèle la connivence du RN avec les fauteurs de guerre et de troubles dans le monde. Il va ainsi à l’encontre de la volonté de vivre en paix de la majorité de la population en France.
La gauche n’a pas encore été capable de défendre conjointement les deux résistances d’Ukraine et de Palestine. Les uns, Mélenchon et ses amis, sont absents sur l’Ukraine, les autres Glucksmann et les siens sont absents sur la Palestine.
Une façon offensive de contrer les calomnies du RN à l’égard du soi-disant antisémitisme de la gauche est de proposer d’accueillir favorablement les Israéliens juifs en France, comme nous avons accueilli les rapatriés pieds noirs d’Algérie.
- L’Europe
Comme le dit Jean-Louis Bourlanges, l’ancien président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, « Le RN c’est le Frexit en pièces détachées ». Le RN a déjà été obligé de reculer sur la sortie de l’Europe car tous les européens, même les Anglais aujourd’hui, voient à juste titre dans l’Europe la volonté de dépasser les conflits passés et un outil de paix. Dans ce domaine aussi la politique nationaliste chauvine du RN entrainerait des rivalités avec les pays voisins qui iraient à l’encontre de la volonté populaire et du désir de paix. L’adhésion du RN au groupe « Les patriotes » de Viktor Orban, est révélateur de l’agenda caché du RN pour s’attaquer à l’Europe : Il a attendu le lendemain des législatives, avant de rejoindre le groupe et que Jordan Bardella se propulse à sa tête.
- L’alliance avec le Sud
En s’attaquant à la fraction immigrée de la classe ouvrière, mais aussi en fermant les frontières, en particulier avec les pays du Sud, le RN couperait la France des fournisseurs principaux de richesse : les prolétaires du Sud, aujourd’hui largement majoritaires dans le monde. C’est eux qui créent la richesse dont bénéficie en partie la population française : par le prix bas des produits importés. Se couper de la plus-value extorquée aux prolétaires des pays du Sud est inévitable et sain, mais aura des effets boomerang sur le pouvoir d’achat des travailleurs en France. Progressivement et douloureusement se met ainsi en place une base économique objective pour l’unité entre travailleurs du Nord et du Sud dont la fraction immigrée des travailleurs est le trait d’union. En s’attaquant à eux, comme en s’attaquant aux pays du Sud, le RN ne fait que retarder la convergence inéluctable des niveaux de vie entre le Sud et le Nord. Il retarde ainsi la seule façon de réguler les flux d’immigration qu’il prétend par ailleurs combattre.
L’alliance avec les pays du Sud exige au minimum de ne pas participer à des coalitions contre eux, comme celle qui agressa l’Irak ou celle que les États Unis préparent contre la Chine et que semble soutenir malheureusement une partie de la gauche (Glucksmann).
- À éviter :
Outre le fait de mettre la lutte contre l’extrême droite à la remorque de la bourgeoisie démocratique, il faut éviter de se complaire dans les échecs du passé, les « No Pasaran », les « Front populaire » qui ont fini par voter les pleins pouvoirs à Hitler… Face à une politique qui ne serait que la dernière en date des politiques capitalistes, l’enjeu n’est pas la lutte d’une organisation antifas contre une organisation fasciste. Il faut éviter les gesticulations anti fascistes isolées et désordonnées. Dire qu’il est contreproductif d’évoquer les crimes nazis à tout bout de champs, ne signifie pas que la politique que suivrait le RN ne serait pas redoutable. La politique militariste génocidaire israélienne en donne une idée. Mais il s’agit de ne pas persévérer dans une stratégie qui a échoué et n’a pas empêché le RN de progresser. C’est le peuple entier qu’il faut mobiliser. Il s’agit de rassembler les 99% contre la politique des 1% que représente le RN. C’est une sorte de guerre du peuple qu’il faut préparer. Une des leçons que le mouvement ouvrier a tiré de l’expérience victorieuse de guerre du peuple, dans les luttes anti coloniales en particulier, est qu’il faut se battre « à l’intérieur des lignes ». Les députés RN et leurs semblables ont été élus. Contre eux Il faut mener la lutte des idées, à peine entamée aujourd’hui comme le montre la propension de la gauche à éviter les thèmes principaux de l’offensive du RN : l’immigration et l’insécurité. Il faut accumuler des forces. Il faut les couper de leurs soutiens. Les isoler, prouver, et prouver encore, au fil de leurs décisions, à quel point ils sont irresponsables et néfastes et ainsi rassembler le plus grand nombre contre eux.
- Travailleurs unissez-vous !
Ce sont les travailleurs, immigrés comme natifs, qui subiraient le plus une politique du RN, se sont en conséquence eux aussi qui seront le socle de la lutte. La bourgeoisie démocratique qui peut sembler aujourd’hui être en pointe contre le RN ne tiendra pas la distance. Elle n’a comme perspectives que les politiques du passé. Son mépris du peuple, perceptible à l’occasion de la lutte des gilets jaunes n’a pas lieu d’être. Si une partie du peuple a des illusions et vote RN, il est très différent qu’il le fasse pour une politique cachée derrière une façade démocratique, plutôt que pour celle qui assumait son racisme et sa haine de la démocratie comme le défendait l’extrême droite dans le passé. Aujourd’hui le vote pour l’extrême droite d’une minorité importante des classes populaires, est proche des motivations de l’abstention. 40% des classes populaires s’abstiennent lors des élections contrairement aux gens les plus riches[3]. Les deux phénomènes, abstention et vote RN, manifestent un désengagement à l’égard des partis du système, et une démarche encore confuse pour trouver une alternative.
Les travailleurs seront le socle de la lutte non seulement parce que c’est eux qui subiraient principalement la politique du RN, mais aussi parce qu’ils sont les seuls à porter une alternative : la mise en commun des moyens de production, le communisme. Les seuls aussi à trouver des appuis à l’international parce qu’ils ont avec les travailleurs du monde entier un ennemi commun : les 1%. Et qu’ils ont une idéologie commune à leur disposition : l’internationalisme. Par définition les nationalistes, en rivalité avec le monde entier, ne trouveront que des alliés précaires et prêts à trahir leurs alliances. « La seule politique qu’on n’a pas encore essayé » sera bientôt celle-là, l’internationalisme.
[1] Jacques Lancier : « L’irruption des prolétaires » Éditions Manifeste ! 2018.
[2] Tel que Pierre Rosanvallon. Voir aussi Steven Pinker « Le triomphe des lumières » Éditions les Arènes 2018.
[3] Étude de Youssef Souidi et Thomas Vonderscher dans Alternatives Économiques du 6 juillet 2024. : l’abstention au 1er tour des législatives de juin 2024 augmente linéairement de 51% pour le centile le plus pauvre à 24% pour le centile le plus riche, les 1%.