L’application de cette loi aggravera dans l’immédiat la situation des travailleurs immigrés, et à terme celle de l’ensemble des travailleurs, en imposant une norme minimum dégradée des conditions de travail qui finira de proche en proche par impacter tout le monde, mais la réalité finira par s’imposer. La réalité est que la richesse des 1% vient de l’exploitation des travailleurs, en particulier des travailleurs les plus mal payés, les immigrés. Comme Orban en Hongrie, Melloni en Italie qui les font venir par centaines de milliers, les 1% français, y compris s’ils ont comme représentants Le Pen ou Bardella, feront appel aux travailleurs immigrés pour les exploiter et trouveront les compromis qu’il faut pour cela. Ce qui engendrera d’autres luttes.
La vraie défaite n’est pas là. La vraie défaite est que le combat n’a pas réellement été mené par la gauche. Les sondages sur la question tendent à montrer que l’unité ouvrière a reculé à cette occasion. Depuis deux ans que cette loi est annoncée [1] la gauche n’en a jamais fait un axe de lutte. Elle a fait l’autruche. Sa position a toujours été « Moins on parle de l’immigration mieux c’est ». Elle a évité les débats et pas qu’à l’Assemblée nationale. Elle a attendu que l’extrême droite mène l’offensive pour y répondre mollement sur la défensive. La bataille des idées ce n’est pas face à Macron qui n’en a pas que Marine Le Pen l’a emporté, c’est face à la gauche.
Au mieux, n’arrivant plus à totalement éviter le débat, acculée, la gauche a avancé les arguments moraux de la bourgeoisie de gauche : « le racisme c’est pas bien », ou pire, « l’extrême droite c’est pas bien », croyant en dénonçant une étiquette, mener un combat, au lieu de se battre sur l’unité de classe natifs immigrés, au lieu de contrer un à un les arguments de cette extrême droite. Rappeler que les immigrés sont essentiellement des ouvriers et des employés comme les confinements venaient pourtant encore de le re confirmer; Que s’attaquer à eux c’est s’attaquer à la classe ouvrière dans son ensemble, c’est vouloir la diviser, forcément au profit des 1% ; Qu’il est normal que les immigrés coûtent à la Sécu puisqu’ils font les travaux les plus pénibles qui les blessent ou les rendent malades ; Que c’est normal qu’ils peuplent les prisons puisqu’ils sont précarisés et mis hors la loi ; Que lorsqu’un immigré commet un délit les médias généralisent à tous les immigrés, mais lorsqu’il s’agit d’un natif non ; Que si les médias alimentent ce matraquage anti immigrés ce n’est pas un hasard alors qu’ils appartiennent pour la plupart aux 1% : il s’agit toujours de diviser les « petits » ; Que cette immigration souvent voulue ni par les migrants ni par les natifs, est indispensable à la gestion du capitalisme. Si on a ce dernier on aura l’autre…
L’échec n’est pas d’avoir perdu cette lutte, c’est de ne pas l’avoir menée. Ne pas avoir mené le combat idéologique, ne pas avoir mobilisé, ni même tenté réellement de le faire. D’avoir fait semblant, d’avoir envoyé des délégations squelettiques à des protestations où il y a finalement moins de participants que d’organisations signataires. D’avoir laissé les sans-papiers en première ligne.
L’échec n’est pas dans le passage de la loi elle-même, elle en connaitra d’autres. L’échec est dans le fait qu’à l’issue de cette phase, les sondages indiquent une division accrue de la classe ouvrière entre natifs et immigrés. L’échec est que la lutte contre cette loi n’a pas été l’occasion de consolider l’unité sur des bases solides, celle de l’unité des travailleurs natifs et immigrés, trait d'union aussi avec les pays du Sud, et ainsi de préparer les luttes de demain.
Au moment même où la politique à l’israélienne se révèle une impasse criminelle - ce n’est pas un hasard si tous les tenants de la loi immigration sont aussi des soutiens de l’état terroriste israélien – on a laissé la victoire idéologique, au moins auprès de la fraction native de la classe ouvrière, à ceux qui laissent croire que le repli sur les intérêts de l’impérialisme français, la préférence nationale, une politique à l’israélienne, est une solution.
Pour que cet échec ne soit pas inutile tirons en au moins les leçons.
[1] C’est pourquoi le livre « Etrangers, immigrés bienvenue ! Vous aussi êtes ici chez vous » Jacques Lancier L’harmattan est sorti en février 2023.