Bien sûr on peut qualifier Trump de fasciste mais si toutes les politiques répressives sont qualifiées de fascistes cela empêche de percevoir les spécificités de la période actuelle et le type de luttes à leur opposer. En raison de la répression de la Commune de Paris le leader des versaillais Adolphe Thiers était fasciste ? Le fascisme précèderait le fascisme ? celui des années 30 ? Les gouvernements de la 4ème république seraient fascistes, compte tenu des centaines de milliers de morts des guerres d’Indochine et d’Algérie ? Il est important de caractériser précisément le phénomène pour ne pas se tromper sur la façon de le combattre. Parmi tous les régimes meurtriers dont le système capitaliste a fait l’usage au cours de son développement, le fascisme se caractérise comme 1) la réponse à une crise majeure du capitalisme 2) la capacité à mobiliser une fraction importante des travailleurs pour appuyer cette réponse. 3) mener à une guerre mondiale.
Il y a des similitudes entre Trump et le fascisme, mais aussi des différences importantes.
Réunions d’oligarques
Trump a été élu, comme Hitler certes ! mais cela ne suffit pas tout à fait à caractériser un fasciste ! De plus il ne faut pas exagérer le soutien dont il a bénéficié lors de son élection : 49,8 % des 63% de votants, soit moins de 32% des électeurs. Il faut encore moins exagérer le soutien qu’il a obtenu dans les classes populaires : le revenu moyen des électeurs de Trump est supérieur à celui des électeurs démocrates. Trump ne rallie qu’une petite fraction de la classe ouvrière. D’autant plus qu’aux États-Unis, comme en France, une proportion importante des ouvriers, les immigrés, n’ont pas le droit de vote. Hitler avait fait mieux que Trump : 44% des 89% de votants soit 39% des électeurs aux élections de mars 1933. Les dernières !
Dans les deux cas on a assisté, au ralliement tardif, soudain, dans l’urgence, de la fraction dominante du patronat à une proposition politique qui se présente comme antisystème. Pour Hitler c’est la fameuse réunion du 20 février 1933 organisée par Goering à Berlin où 25 patrons allemands, ceux de Krupp, Thyssen, Siemens, Telefunken etc. assurent sa victoire aux élections du mois suivant.
La cérémonie d’investiture de Trump le 20 janvier avec les milliardaires de la Tech au premier rang fait écho à la réunion de Berlin. Avec la différence cependant que cette dernière n’était pas publique. Le parti nazi est resté en apparence indépendant des dirigeants capitalistes, ce qui permettra à nombre d’entre eux de sauver leur tête et leurs capitaux en 1945. Trump lui a nommé 13 milliardaires dans son administration. On a vu l’homme le plus riche du monde se pavaner en teeshirt et casquette dans le bureau ovale. Le capitalisme anglo-saxon est nu, en première ligne, sans fusible à faire sauter à sa place. Même si on perçoit que Bill Gates, Warren Buffet, Larry Summers, les parrains traditionnels du capitalisme anglo-saxon sont moins enthousiastes que les patrons des Bigtechs pour Trump, ils s’expriment peu et ne constituent visiblement pas une force alternative crédible au capitalisme dominant que sont les 7 magnifiques (Tesla, Apple, Amazon, Alphabet, Microsoft, Meta et Nvidia). Tim Cook d’Apple, Mark Zuckerberg de Meta et Elon Musk lui-même n’étaient pas très fans de Trump il y a peu et l’ont rallié très récemment. Zuckerberg lui, dès l’élection de Trump, a remplacé Nick Clegg à la direction internationale de Meta par Joel Kaplan un trumpiste. Trump a finalement reçu aussi l’appui des financiers comme Jamie Dimon patron de JP Morgan Chase, la plus grande banque mondiale, et Larry Fink, le patron de Blackrock, le plus gros fonds d’investissement au monde (deux fois le PIB français). Ce dernier vient, sur l’injonction de Trump, de racheter les ports du canal de Panama à une compagnie chinoise.
Ces deux réunions, celle du 20 février 1933 à Berlin, celle du 20 janvier 2025 à Washington, en rappellent une autre, celle de février 2003 au Kremlin dont il y a aussi quelques images[1], celle où Poutine convoque, réorganise et s’impose comme le parrain du clan des oligarques russes.
Le ralliement des travailleurs
Dans les deux cas, en Allemagne en 1933, aux États-Unis en 2024, alors qu’ils sont adoubés, choisis par le patronat dominant, les deux candidats se font élire sur une politique soi-disant antisystème. Pour obtenir l’appui d’une fraction des travailleurs il a fallu aux nazis s’appeler « socialiste », assaisonner leur propagande raciste et nationaliste de revendications sociales propre à embrouiller les travailleurs. Mais les délires verbaux racistes et nationalistes n’auraient pas suffi à consolider leur pouvoir. Il fallait acheter l’approbation des travailleurs. Puisqu’il n’était pas question de toucher aux fortunes des commanditaires, le grand patronat, ce fut dans l’immédiat les spoliations des biens juifs, puis les richesses tirées des pays conquis au nom du Lebensraum, l’espace vital. Richesses extorquées qui exigeaient des guerres de conquête permanentes. Trump dénonce lui aussi le système, Washington » et « l’état profond », lui aussi fait appel au nationalisme, au racisme et à la haine de l‘étranger. Mais lui aussi il va lui falloir fournir du concret à la fraction des travailleurs dont il a obtenu le support, d’où son obligation en quelque sorte de s’emparer des richesses de l’Ukraine, du Panama, du Canada ou du Groenland, de taxer tout ce qu’il peut et d’installer des droits de douane partout : Canada, Mexique, Chine, Europe…
Poutine lui aussi obtient l’appui d’une fraction, et la passivité de beaucoup, à son pouvoir d’oligarques avec le projet expansionniste de reconstitution de l’empire des tsars, la Grande Russie. C’est ce projet « d’état civilisation russe » qui justifie les invasions de l’Ukraine de 2014 et 2022, après celle de la Géorgie en 2008. C’est aussi ce qui légitime les craintes des pays baltes et autres qui eux aussi dans le passé tsariste ont fait partie de la Grande Russie, cette « prison des peuples » selon Lénine.
On trouverait bien d’autres points communs dans le fatras des idées véhiculées par Hitler, Trump et Poutine. L’utilisation de la religion par exemple. La première réunion du cabinet de Trump s’est ouverte sur une prière imposée à tous les participants. « Je crois agir selon l’esprit du tout-puissant, notre créateur, car en me défendant contre le juif, je combats pour défendre l’œuvre du seigneur » écrivait quant à lui Adolf Hitler dans « Mein Kampf ». On sait à quel point Poutine également mobilise la religion pour justifier ses expansions impérialistes. L’irrationnel conforte toutes ces politiques parce qu’il faut en effet ingurgiter une sacrée dose d’irrationnel pour avaler que la politique des oligarques est antisystème ! Avec la religion, Trump soutient le complotisme, l’attaque contre les vaccins, la promotion des « faits alternatifs », le rejet de la science. « L’Amérique est une sorte de dépotoir pour fanatiques religieux » nous dit l’historien des sciences américain Robert Proctor[2]. Le DOGE de Musk licencie des dizaines de milliers de scientifiques, en particulier ceux dont les projets sont siglés DEI, Diversité, Équité, Inclusion plus ceux de la météo ! Normal d’une certaine façon car la science est sans frontières. On pense à l’eugénisme prônée par les nazis contre les connaissances scientifiques. La science est d’ailleurs qualifiée de « néo marxiste » par les trumpistes. Pour une fois il y a un peu de vrai là-dedans, même si c’est l’inverse : c’est le marxisme qui vise à être basé sur la science. Thomas Friedman, l’un des éditorialistes du New York Times, écrit que face à Trump « la loi de la gravité s’imposera ». C’est la version sophistiquée de la phrase de Lénine « Les faits sont têtus », c’est le NYT tout de même ! Trump, nous dit Friedman, ne peut pas expulser 2,2 millions de Palestiniens de Gaza, il ne peut pas déporter 11 millions de migrants. Hitler non plus ne pouvait pas tuer tous les juifs dans les années 40. Poutine ne pouvait pas prendre l’Ukraine en trois jours. Mais ils essaient, et leurs tentatives suffisent pour être des catastrophes.
Il est quand même étonnant de constater que dans des circonstances à priori différentes, comme l’Allemagne des années 30, la Russie ou les États-Unis de l’an 2025, des symboles nazis ressurgissent comme les saluts nazis d’Elon Musk et Steve Bannon, deux des principaux animateurs du trumpisme. Le salut de Bannon lors du CPAC, le congrès de l’extrême droite américaine, a empêché l’intervention de Jordan Bardella, qui a eu du mal à assumer le geste… mais pas les idées, car sans le geste il intervenait ! En Russie ce sont les références explicites du pouvoir au juriste et idéologue nazi Karl Schmidt, la re nomination du groupe Wagner en « Africa Corps », référence au quartier général du maréchal nazi Rommel… Tout un fond idéologique commun est partagé par les 3 leaders, nationalisme, machisme, racisme blanc, « indo-européen », qui remonte à loin. C’est Brejnev fier de raconter avoir mis en garde Nixon dans l’hypothèse d’un conflit nucléaire : « après cela les blancs auront disparu il ne resterait que les noirs et les jaunes [3]». On imagine qu’Hitler aurait souscrit à l’anti wokisme de Trump et Poutine.
Remise en cause de l’état de droit
Une fois démocratiquement élus la caractéristique commune de Trump et des fascistes est de s’en prendre, à l’intérieur, à l’état de droit et aux principes démocratiques, à l’extérieur, aux traités, conventions et frontières internationales. Les Proud boys, Oath Keepers, QAnon et autres groupes d’extrême droite qui ont envahi le Capitole en janvier 2021 ne tiennent pas encore les rues comme les « chemises brunes » le faisaient en Allemagne, mais ils ont tous été absous par Trump des condamnations que leur avaient infligés les tribunaux pour la tentative de la prise du Capitole. La diffusion des armes aux États-Unis ouvrent des perspectives inquiétantes. Le Guardian, le quotidien anglais rapporte que l’avocat des membres du FBI licenciés par Elon Musk font l’objet, eux et leurs familles, de harcèlement et de menaces de mort sur les réseaux sociaux de Trump et de Musk. Alerté, Trump aurait simplement répondu « Ce n’est pas ma faute si quelque chose arrive à ces personnes ». On soupçonne que le revirement de nombreux élus républicains qu’on savait hostiles à certaines des nominations voulues par Trump est dû à ce type de menaces. La protection d’Anthony Fauci, le monsieur Covid américain, favorable aux vaccins et lui aussi menacé de mort, a été levée dès le premier jour de fonction de la nouvelle administration. L’idée de surmonter l’impossibilité d’un 3ème mandat présidentiel de Trump est dans l’air. Son alter ego Poutine a organisé son maintien indéfini au pouvoir. On sait aussi comment Poutine fait la même utilisation que les nazis des groupes criminels pour assassiner ses opposants, Nemtsov, Navalny etc. En 2003 la fameuse réunion de prise de contrôle des oligarques par Poutine avait été précédée par des menaces physiques directes contre eux, ce que relate aussi le documentaire d’Arte cité plus haut. Chacun a pu constater en direct les méthodes de mafieux lors du chantage sur Zelenski. Un fameux moment de télé comme dit Trump ! Le Parrain en live ! La remise en cause de l’état de droit trouve son expression internationale dans le non-respect des frontières, de l’Ukraine au Canada.
Le fascisme un produit de la crise capitaliste
De même que la grande crise de 1929 est à l’origine de l’accession d’Hitler au pouvoir dans les années 30, l’accession de Trump à la présidence de États-Unis, est la conséquence de la profonde crise du capitalisme occidental depuis 2008, initiée par la faillite de Lehman Brothers. Le néolibéralisme a retrouvé tout à coup la nécessité de l’état pour renflouer massivement les banques privées capitalistes avec l’argent public. Ce renforcement du rôle de l’état s’est encore aggravé avec la crise du covid en 2020, et aura pavé le chemin de Trump2. La réorganisation à l’échelle mondiale des circuits de production, la relative désindustrialisation en occident, les inégalités accrues au profit des 1%, la réduction des services publics, le frein à l’élévation dans l’échelle sociale, ont dégradé les conditions de revenus et de vie pour les travailleurs dans les pays occidentaux. Le slogan même de Trump, MAGA, « Make America Great Again » recèle cette vérité que les États-Unis ont perdu de leur puissance. Ils faisaient 50% du PIB mondial en 1945, 15% aujourd’hui, avec 4% de la population mondiale. Lors de la crise des années 30 qui propulse le fascisme au pouvoir, le capital s’effraie de la menace communiste : le camp socialiste avec l’URSS a une grande aura dans le monde du travail et de nombreux partis communistes puissants proposent une alternative socialiste à la crise. C’est pour l’éviter que le patronat se rallie au fascisme. Mais lorsqu’Elon Musk déclare que « La Sécurité sociale est le plus grand schéma de Ponzi[4] de tous les temps » on pressent que le caractère social de la politique de Trump va très vite avoir des limites. Les solutions à la Trump sont avant tout des manifestations de la crise et des faiblesses du système, ainsi qu’une tentative rugueuse d’en garder le contrôle. Lorsque son attrait et son « soft power » disparaissent, lorsqu’il est en position de faiblesse, le capitalisme fait appel à la force et à la dictature, mais de fait, c’est la manifestation qu’il est moins puissant. C’est l’annonce que la classe bourgeoise craint le communisme… mais les travailleurs ne le savent pas encore !
Pour éviter la remise en cause du système, pour maintenir la richesse et le pouvoir des milliardaires sans entrainer de révolte, il faut que Trump achète la paix sociale. Outre la prédation pure, Ukraine, Groenland, Canada, Panama, il utilise essentiellement les droits de douane pour capter rapidement de la richesse supplémentaire. Ces droits de douane il est vrai semblent inégaux au détriment des États-Unis, mais ce fait est la contrepartie du rôle dominant et captateur de la finance américaine, du rôle du dollar comme monnaie internationale et du financement du déficit américain de 35 000 milliards de $. Cette escalade des droits de douane va à l’encontre de l’autre contrainte : il faut contenir le niveau des prix, afin d’au moins maintenir, sinon augmenter le niveau de vie, et ne pas alimenter une colère déjà attisée par l’augmentation du prix des œufs. Cet objectif d’inflation basse est recherché en particulier en contrôlant à la baisse le prix du pétrole. Ce dernier prix est critique, à la fois parce qu’il est directement perceptible par les utilisateurs, et parce que le pétrole reste majeur dans l’ensemble du système productif américain et capitaliste. Ce prix du pétole bas est une des raisons de l’accord recherché avec la Russie. Mais l’augmentation des droits de douane risquent à l’inverse de gonfler l’inflation.
Un capitalisme différent
C’est incohérent ? contradictoire ? oui. Comme les aventures guerrières d’Hitler étaient vouées à l’échec, comme l’invasion de l’Ukraine par Poutine était incohérente. Mais en même temps ces dirigeants doivent trouver des solutions à la contradiction fondamentale : alors que le système est en crise, accroitre les richesses des oligarques sans entrainer de révolte sociale. Ces objectifs contradictoires peuvent expliquer que Trump soit déjà passé en un mois de présidence, de 56% d’opinions favorables à 44%. La plus basse cote d’un président américain après un mois de mandat, plus bas que la cote de Zelenski ! 56% d’opinions favorables dans les sondages c’est quand il récoltait 32% des votants, on devine où il en est avec les 44% d’aujourd’hui ! À l’international le soft power américain en prend un coup que reflètent les campagnes de boycott de produits américains, Tesla et autres dans de nombreux pays. Les atlantistes disparaissent. Même Friedrich Merz le prochain chancelier allemand conservateur se détache des États-Unis.
La mondialisation capitaliste a interpénétré les économies nationales beaucoup plus que dans les années 30. Un produit comme l’iPhone d’Apple nécessite près d’un millier de sous-traitants venant de 50 pays du monde. Des éléments de production font parfois plusieurs allers retours avec le Canada et le Mexique. Tesla produit en Chine. Les 7 Magnifiques compagnies qui entrainent le capitalisme américain font 50% de leur chiffre d’affaires à l’extérieur des États-Unis. La moitié de la consommation des États-Unis provient de l’étranger. Les mesures anti chinoises prises lors du gouvernement Trump1, poursuivies par Biden, ont réduit le commerce entre les deux nations de 2,5% seulement. Et encore les importations accrues provenant du Mexique et du Vietnam sur la même période masquaient probablement une augmentation du commerce avec des entreprises chinoises. Les Bigtechs gèrent aussi les câbles sous-marins internationaux, les réseaux de satellites qui assurent les communications internationales. Ces communications qui permettent l’organisation de la production en sous-traitants multiples, et gèrent le flux du commerce international à base de porte-conteneurs. Ces grandes compagnies ont des prérogatives d’état. Zuckerberg le patron de Meta déclare « A bien des égards Facebook ressemble davantage à un gouvernement qu’à une entreprise traditionnelle[5] ». Peter Thiel le fondateur de Paypal à coté de Musk, le gourou du transhumanisme, le mentor du vice-président JD Vance, déclare que « La capacité à transférer de l’argent de manière fluide et l’érosion de la notion d’État-nation sont indissociables [6]». L’activité mondiale de ces compagnies rentre en conflit avec la glorification d’un repli nationaliste. Le but qui est de concentrer la richesse produite par le travail de 3,5 milliards d’actifs dans le monde est à l’étroit à l’intérieur d’un seul état, aussi puissant soit-il. Les économies actuelles sont moins autarciques que ne l’étaient les puissances de l’axe nazi ce qui entraine que la crise du capitalisme se propage à tout le système. Les orientations illibérales de Trump et de ses émules bouscule le capitalisme encore plus en profondeur, elles préparent des lendemains encore plus difficiles, ce que les marchés boursiers eux-mêmes semblent percevoir. Ces derniers manquent d’enthousiasme alors même que Trump leur annonce des baisses d’impôts mirobolantes. Le fascisme de Trump parait miné par des contradictions plus profondes que celui des années 30. Le conflit entre Musk et Bannon, tous deux adeptes du salut nazi, est déjà sur la place publique et est déclaré « insurmontable » par Bannon lui-même[7]. Surtout, contrairement aux années 30, il ne subsiste pas à côté du capitalisme illibéral, une version démocratique d’un capitalisme concurrentiel. Le capitalisme monopoliste, mondialisé, financier d’aujourd’hui tend partout vers l’illibéralisme et contrairement à celui des années 30 n’a pas de version de rechange. Au-delà de leurs styles différents, Biden n’a remis en cause aucune des décisions de Trump1 lorsqu’il l’a remplacé à la Maison blanche en 2021, depuis le mur anti-migrants à la frontière mexicaine, jusqu’aux tarifs douaniers contre la Chine, en passant par la poursuite de l’entreprise coloniale israélienne. Trump n’est visiblement pas un accident de parcours.
Une situation internationale très différente
Plus important encore dans les années 30 le fascisme émerge en Allemagne, Italie, Japon dans des pays capitalistes qui ne sont PAS les pays dominants. Les empires coloniaux anglais, français, américains avec leurs marines et leurs réseaux bancaires et financiers dominent alors le monde. C’est même la raison pour laquelle l’Allemagne et l’Italie, frustrées de colonies, sont particulièrement belliqueuses pour prendre leur part dans ce dépeçage. Ces pays ont une moindre possibilité de calmer les révoltes ouvrières par les surprofits tirés des colonies et sont les outsiders du capitalisme international. C’est le risque d’une révolution ouvrière qui propulse les fascistes au pouvoir comme derniers recours du capitalisme. Aujourd’hui c’est au cœur même du pays leader du capitalisme mondial qu’on se pose la question : bascule-t-il dans le fascisme ? Or les États-Unis ont déjà subi des défaites majeures, au Vietnam, en Afghanistan, en Irak. Ils constatent que leur colonie d’Israël est de plus en plus isolée dans le monde. Ils peuvent constater aussi à quel point leurs homologues russes rencontrent des difficultés à s’emparer de l’Ukraine. Ce fascisme actuel, miné de contradictions est déjà affaibli et isolé.
La thèse des 3 mondes
Le vote du 23 février 2025 à l’ONU sur la résolution pour « Promouvoir une paix globale, juste et durable en Ukraine », présentée par des pays européens et adoptée par 93 pays est symbolique. Il souligne l’isolement à la fois des États-Unis et de la Russie qui ont voté ensemble contre la résolution. Seuls 16 autres pays les ont suivis et ont voté contre : leurs « clients » respectifs, Israël, les Iles Marshall… pour les Etats-Unis, la Hongrie, la Corée du Nord, le Belarus… pour la Russie. 65 pays, surtout ceux du Sud se sont abstenus.
Ce vote est une bonne illustration de ce qu’au milieu des années 70, à la fin des 30 glorieuses, Mao Zedong définissait comme « La thèse des 3 mondes[8] ». Mao Zedong prend acte que la dégénérescence de l’URSS dissous le camp socialiste. Il considère qu’un « premier monde » est constitué des superpuissances, États-Unis et Russie qui sont le danger principal pour tous les peuples. Aujourd’hui encore, en Ukraine comme en Palestine leurs agissements apparaissent comme le danger principal. Même si leurs dirigeants ont une idéologie commune, même s’ils s’accordent pour dépecer l’Ukraine et le Canada, ils restent rivaux, ils n’ont pas entre eux le pacte des pays de l’axe nazi. Comme les mafieux ils s’entendent pour la rapine et se disputent pour le partage. Leurs relations sont minées par des contradictions de fond. Par exemple si Trump a besoin d’un prix du pétrole bas, Poutine a besoin d’un prix élevé, gaz et pétrole assurant 60% des exportations russes et 50% des recettes budgétaires. États-Unis et Russie restent les deux puissances rivales les plus militarisées de la planète, les plus agressives, avec l’essentiel de l’arsenal nucléaire mondial qui fait peser une menace permanente sur le monde.
Les pays du Sud
Pour Mao la Chine elle se fondait dans le « tiers monde » de l’époque, qui représentait les 3/4 de la population mondiale, une population alors encore essentiellement paysanne. Disant cela Mao n’a peut-être pas perçu tout de suite que dans un monde structuré par le capitalisme, tiers-monde compris, cela voulait dire d’une façon ou une autre faire partie du système capitaliste. Ce qui sera acté avec l’entrée de la Chine dans l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001. Au-delà de leurs organisations propres comme les Brics, les pays du Sud sont majoritaires dans toutes les organisations internationales, de l’ONU à l’OMC en passant par l’OMS et les tribunaux internationaux. Ils constituent 85% de la population mondiale.
Le regret que le monde soit devenu multi polaire, le regret des « 80 ans de paix depuis 1945 », célébré par de nombreux commentateurs ces jours-ci, est l’expression d’une inconscience et d’un égocentrisme incompréhensible pour le reste du monde. En particulier les 30 années glorieuses de 1945/1975 ont été 30 calamiteuses pour les pays du Sud, avec entre autres les guerres d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam, du Cameroun, etc. suivies de celles d’Afghanistan, d’Irak, de Palestine, d’Ukraine et des dizaines d’autres. Ces regrets n’ont donc pas lieu d’être. Il est caractéristique qu’un sondage dans tous les pays du monde à la veille des élections américaines indiquait que seuls les européens et les Coréens du sud voyaient en Trump un candidat pire que Biden. Si nous percevons le tremblement du capitalisme international comme inquiétant et comme apportant le chaos il est moins inquiétant qu’il n’y parait. C’est la fin d’une hégémonie et cette fin était inévitable. Il serait paradoxal d’avoir pronostiqué la crise du capitalisme depuis longtemps et de s’inquiéter quand elle se manifeste !
Si ces pays du Sud peuvent parfois décevoir, comme l’abstention sur la résolution sur l’intégrité de l’Ukraine ci-dessus, s’ils peuvent continuer malgré l’agression à commercer avec la Russie, ils font pire : ils continuent aussi à commercer avec les Etats-Unis ! La Chine par exemple commerce bien plus avec les États-Unis qu’avec la Russie ! Dans le monde capitaliste mondialisé ces relations économiques croisées sont inévitables et les pays du Sud tentent de s’en sortir nécessairement en jouant sur les contradictions entre les superpuissances.
L’Europe n’est pas l’alternative
Enfin « le second monde » selon Mao était constitué des pays capitalistes de second rang comme les pays européens, le Canada ou le Japon. N’en ayant plus les moyens, ces pays sont moins agressifs que les super puissances à l’égard des pays du Sud. Ils s’opposent même parfois au « premier monde » comme la France lors de la guerre d’Irak de 2003 ou comme le vote de l’ONU du 23 février l’illustre. Mais lorsque Macron, lors de son intervention solennelle du 5 mars appelle à la mobilisation, mais exclu d’emblée les impôts de l’effort à faire, le message envoyé à la finance internationale et anglo-saxonne est clair : on vous est soumis, venez investir chez nous. C’est toute l’ambiguïté de la position des pays du second monde. Bernard Arnault, le patron de LVMH était présent lors de l’inauguration de Trump. Rodolphe Saadé le patron de CMA CGM a annoncé 20 milliards d’euros d’investissements aux Etats-Unis à partir du bureau ovale. Peugeot et Citroën sont devenus Stellantis et américains. Renault présente ses nouvelles voitures comme des voitures Google … Certes la France est le 2ème exportateur d’armes mais c’est un quart des exportations du premier : les États-Unis. Surtout, partout en Europe, qu’elle soit vassalisée ou non par le capitalisme anglo-saxon, les mêmes causes produisent les mêmes effets, le capitalisme tend aux monopoles. On ne reviendra pas au capitalisme concurrentiel d’antan. Comme dit Peter Thiel « La concurrence c’est pour les loosers ». C’est pourquoi les forces illibérales sont à l’œuvre aussi en Europe, toujours en raison de la crise capitaliste et toujours pour contrer l’alternative socialiste. Elles sont polarisées par les superpuissances, par Trump et Poutine. Que l’Europe puisse émerger comme une force alternative aux superpuissances est douteux et une Europe qui émergerait elle aussi comme superpuissance privilégiée, impérialiste et militarisée n’a rien de souhaitable pour le monde.
À nouveau fascisme, nouvelle alliance
Il ne faudrait pas que l’utilisation du mot fasciste nous conduise à établir le même type d’alliance que dans les années 30, l’alliance avec une bourgeoisie démocratique, voter Chirac ou Macron pour éviter Le Pen. Qualifier les dirigeants du RN de fascistes n’est pas le plus efficace. Bardella pourra toujours se glorifier d’avoir refusé de faire le salut fasciste. Qualifier Marine Le Pen, la Trump française, « d’autre candidate des riches » comme l’a fait François Ruffin est plus juste. La qualifier de paravent des oligarques Bolloré et Stérin est plus juste.
Contrairement aux années 30, il n’y a pas aujourd’hui pour abattre le capitalisme illibéral sinon fasciste, de camp socialiste susceptible de s’unir à une fraction impérialiste démocratique. Celle-ci est inexistante. En revanche les pays du Sud eux émergent face aux superpuissances. L’alliance stratégique à mettre en œuvre est celle entre les travailleurs du Nord avec les pays du Sud. Cette alliance ne peut être que différente de celle du front anti fasciste des années 30, différente aussi de celle qu’envisageait Mao dans les années 70, car le tiers monde aujourd’hui c’est le Sud global. Derrière la terminologie différente il y a un changement majeur qui est que les pays du Sud ne sont plus des pays de paysans, mais des pays où la classe ouvrière est majoritaire pratiquement partout, même si ces pays sont dirigés par leurs bourgeoisies locales. Ces bourgeoisies sont toujours susceptibles de rentrer en rivalité les unes avec les autres, sans parler de leur lutte pour maintenir leurs privilèges contre leurs travailleurs nationaux. La base solide d’une alliance avec le Sud c’est l’unité des travailleurs du Nord et du Sud. C’est pourquoi entre autres, faute d’alternative, le contenu social de l’alliance, son but, ne peut être que le socialisme.
Le programme anti fasciste ? le communisme démocratique !
Les firmes et les familles actionnaires du capitalisme allemand sont restées les mêmes, avant, pendant, après Hitler, et jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui où les milliardaires montent en première ligne, aux États-Unis comme en Russie et en France. Ces oligarques ont une base sociale très restreinte, sont isolés sur le plan international et divisés entre eux. Les trois aspirations des travailleurs dans le monde aujourd’hui : éviter la guerre, prendre soin de la planète, réduire les inégalités, sont l’inverse exact de ce que Trump et Poutine mettent en œuvre.
Trump et Poutine sont soutenus par l’extrême droite, les fascistes d’aujourd’hui. Le slogan « Ni Trump, ni Poutine », est juste à condition de ne pas y ajouter en sourdine, comme le fait une fraction de la gauche vis-à-vis de l’Ukraine « ni résistance » à leurs exactions. L’alternative à Trump et Poutine, la satisfaction des aspirations des travailleurs c’est un programme « des communs », un programme socialiste. Ce programme socialiste est le seul garant que, en sus des revendications d’égalité et de la mise en commun des moyens de production, certains acquis du capitalisme démocratique, comme la démarche scientifique, les libertés individuelles, l’état de droit, le respect de la majorité et de la minorité, l’égalité homme / femme, le wokisme, le respect des contrats, des traités internationaux soient préservés. Le communisme est le socle de défense des droits démocratiques dont le capitalisme quand il était démocratique a juste donné un avant-gout. La révolution communiste démocratique est ce qu’il y a de plus réaliste à opposer au glissement du capitalisme illibéral vers le fascisme et la guerre.
[1] Documentaire Arte Oligarques, le gang de Poutine, de Marc Roche et Jérôme Fritel.
[2] Le scientifique qui a mené la lutte contre l’industrie du tabac. Le quotidien Le Monde du 10 mars 2025.
[3] Le politiste bulgare Ivan Krastev, quotidien Le Monde du 28 février.
[4] Une arnaque financière.
[5] Cité par Arnaud Orain, Le monde confisqué, Flammarion 2025.
[6] Cité par Frédéric Filloux https://www.episodiqu.es/p/dans-la-tete-des-oligarques-technoides
[7] S’attend-il à ce que Musk lui fasse jouer le rôle de Röhm, le leader des SA, la fraction « sociale » des nazis, liquidé en juin 1934 lors de « la nuit des longs couteaux » par les nazis pour donner des gages au patronat allemand ?
[8] Jacques Lancier, La thèse des Trois mondes une thèse marxiste-léniniste, Éditions Drapeau rouge Rennes 1977.