C’est vrai pour l’énergie mais aussi pour les transports par exemple où l’armateur CMA CGM a annoncé des profits supérieurs à ceux de Total. Ces profits proviennent du fait qu’une poignée de personnes seulement possède les moyens de production et cela est vrai dans tous les secteurs. Rien de spécial !
La crise de l’énergie, oblige à des concertations entre pays, oblige à imposer des prix au libre marché, des détaxes, des ristournes sur le prix de l’électricité ou de l’essence etc. Pour éviter la révolte il faut prendre en compte les besoins de déplacements ou d’énergie des plus « défavorisés ». Mais les mesures prises révèlent qu’il ne s’agit pas de « défavorisés », vivant de l’aide sociale, mais bien d’exploités dont le travail ne permet pas de vivre et de se déplacer normalement … et qui font pourtant tourner le monde.
Ce qui est nouveau c’est que de plus en plus de monde, y compris chez les dirigeants, sont amenés à considérer ces profits comme anormaux et incohérents. Partout la question se pose de s’en prendre aux profits scandaleux. En les nommant superprofits, on essaie de préserver l’ensemble des autres profits scandaleux. On fait la part du feu. Si la question se pose c’est que saute aux yeux une nouvelle fois le fait que face à une grosse difficulté 1) la réponse ne peut être que collective et 2) elle doit viser à l’égalité. Ce n’est ni plus ni moins que du communisme en marche. Et il y a bien d’autres manifestations de cette marche silencieuse car chaque nouvelle crise le révèle :
- Face au covid aussi il a fallu prendre des mesures collectives et égalitaires mêmes si, en particulier lors de la distribution des vaccins, elles se sont bien souvent réduites au monde riche.
- Même un Trump s’est senti obligé d’envoyer un chèque de 1400 $ à chaque famille américaine, mettant en œuvre lui-même une sorte de « communisme » de nécessité.
- Auparavant lors de la crise financière de 2008 déclenchée par la faillite de la banque Lehman il a fallu, même dans le domaine financier, ne pas laisser faire le marché. Les états, de concert, ont mobilisé l’argent public, le nôtre, pour sauver les banques privées « Too big too fail », trop grosses pour faire faillite. Les travailleurs grecs, au prix d’une exploitation accrue, ont renfloué ainsi les banques allemandes et françaises.
La Sécu. Communiste ?
Plus profondément cette marche inéluctable du communisme se révèle dans la part incompressible et croissante des dépenses publiques par rapport au PIB dans l’ensemble des pays occidentaux. Après la 2ème guerre mondiale vers les années 70 cette part était montée à près de 50% en raison des besoins de protection sociale, l’état providence. Dans les années 80 lors de l’offensive capitaliste menée par Reagan et Thatcher au profit des actionnaires il y a eu remise en cause des acquis sociaux, et cette part a été ramenée à moins de 40%. Mais c’était un recul limité somme toute. Cette offensive réactionnaire a été incapable de se rapprocher des moins de 10% du PIB qui prévalaient avant la 1ère guerre mondiale. A l’époque ces 10% du PIB ne couvraient que les dépenses militaires, justice etc. ce sont les prestations sociales et l’état providence qui ont essentiellement ensuite fait gonfler la part des dépenses publiques. Il y a une limite que les 1% de profiteurs devinent ne pas pouvoir imposer aux travailleurs. Nul doute qu’avec la politique du « quoiqu’il en coute » aussi bien face au covid que face à la crise de l’énergie, la part publique est repartie à la hausse. Il ne reste plus qu’à faire passer les 50% privés restants, dans la sphère publique pour passer au communisme !
Qu’est ce qui porte cette marche inéluctable au communisme ? tout simplement le développement des forces productives : le passage de l’agriculture à l’industrie et aux services partout dans le monde, l’urbanisation, le développement des communications aussi bien physiques tels que les transports maritimes et aériens, que numériques comme Internet. Et surtout l’éducation croissante qui a été nécessaire pour accompagner ces bouleversements technologiques. Pratiquement plus personne dans le monde n'ignore qu’une poignée d’oligarques s’accapare les richesses mondiales, se dispute, et mène le monde à des guerres. Tous ces développements rentrent en contradiction avec un système où une poignée de gens ont la propriété exclusive des moyens de production. Cela engendre des crises et des luttes de classes diverses, qui s’égarent parfois, mais qui essentiellement sont celles des 99% de travailleurs contre les 1% de propriétaires des moyens de production. Le prolétariat des pays les plus avancés ont acquis des droits qu’il est très difficile aux puissants de remettre en cause comme le montre leurs réactions aux diverses crises.
L’économie d’un grand soir ?
Est-ce à dire comme semblent le penser Bernard Friot ou Frederic Lordon que le socialisme serait simplement l’extension tranquille de la sécurité sociale à l’ensemble des activités humaines et que l’on peut donc faire l’économie du « Grand soir » ?
Ce serait oublier beaucoup de choses :
Si Bismarck initie la sécurité sociale dès 1880 c’est pour éviter l’exode des travailleurs allemands vers les États unis mais c’est surtout aussi pour éviter l’offensive ouvrière initiée par la Commune de Paris qu’il avait pu observer de près lors de l’invasion prussienne de la France en 1871. Si Roosevelt en reprend l’idée aux USA lors de son new deal c’est pour répondre à la grande dépression des années 30, mais aussi pour contrer les succès de la révolution d’octobre 17 en Russie. Et si Beveridge en Grande Bretagne, le PC avec Ambroise Croizat en France réussissent à imposer la sécurité sociale en 1945 c’est grâce à la peur suscitée par les succès de l’armée rouge contre le fascisme lors de la 2ème guerre mondiale. Les grands soirs ont bien eu lieu ! Ce sont eux qui nous ont donné la Sécu.
Si les 1% ont cédé pacifiquement la sécurité sociale lors du compromis avec les travailleurs dans les pays occidentaux c’était aussi contre la possibilité de mener leurs guerres incessantes contre les pays du Sud afin d’y maintenir la surexploitation impérialiste. Mais aujourd’hui l’émancipation des pays du Sud ne permet plus de faire de tel compromis sur leur dos. Les 50% restant à collectiviser seront difficiles à obtenir ! Quand ils seront au bout des concessions qu’ils sont prêts à faire, les 1% se battront de façon acharnée pour maintenir leurs privilèges. Les rivalités entre eux s’aggraveront et ils n’hésiteront pas, comme Poutine l’a fait en Ukraine, à déclencher des guerres.
Savoir que le communisme est inéluctablement en marche ne signifie donc pas qu’il s’établira en douceur. On voit que sa nécessité apparait lors de crises comme celles de l’énergie, du covid, de la finance, du climat, des guerres etc. Il nécessitera une grande mobilisation, une grande énergie, d’autres grands soirs. Or comme le disait un des anciens dirigeants du mouvement ouvrier au 20ème siècle « Une grande énergie ne nait que pour un grand but ». Avoir conscience que leurs luttes s’inscrivent dans un processus d’ensemble qui sera victorieux et mène au communisme, contribue à cette mobilisation des travailleurs. Les sacrifices comme les risques à prendre dans les luttes seront mieux compris, plus efficaces, et au final réduiront les pertes et les souffrances.
Mais pour que le projet communiste soit réellement « un grand but » il faut le dégager des erreurs qu’il a commises. Il est clair que les tentatives précédentes ont échoué. Il s’agit d’évaluer ces erreurs objectivement et sérieusement tout en les dégageant de la propagande hostile des 1%. Faire la part des blocus, des guerres, des nationalismes, des religions qui on fait dévier les expériences socialistes. En sachant relativiser ces échecs à l’échelle historique. A partir de sa naissance au 14ème siècle le capitalisme a mis 3 ou 4 siècles pour s’imposer lors des révolutions anglaises et françaises des 17 et 18ème siècle, pour finalement après 7 ou 8 siècles d’existence buter sur l’impasse d’aujourd’hui. Le projet communiste a moins de 2 siècles depuis le « Manifeste communiste » de Marx en 1847 et la Commune Paris de 1871.