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Communiste sans parti. Auteur de: "Etrangers, immigrés, bienvenue! vous aussi êtes ici chez vous", "L'Irruption des prolétaires", "Gilets Jaunes une lutte ouvrière décapante", "Réinventer le communisme"

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Billet de blog 17 février 2022

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Zemmour, Le Pen, la nuit des longs couteaux ?

Après bien d’autres « trahisons », Collard, Rivière etc. Nicolas Bay, porte-parole de la candidate Marine Le Pen est viré du Rassemblement National pour espionnage au profit d’Éric Zemmour. Toute proportion gardée, Zemmour et Le Pen s’apprêtent ils à nous rejouer la « nuit des longs couteaux » ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la nuit du 29 au 30 Juin 1934 les nazis assassinent les dirigeants des S.A., les Sections d’Assaut, leur fraction « sociale ». Wikipedia nous indique : « Cette purge permit au chancelier Adolf Hitler de briser définitivement toute velléité d'indépendance de la S.A. débarrassant ainsi le mouvement nazi de son aile populiste qui souhaitait que la révolution politique soit suivie par une révolution sociale. De ce fait, elle rassura la Reichswehr[1], les milieux conservateurs traditionnels, les grands financiers et industriels, principalement issus de la bourgeoisie prussienne. » Dans « national-socialisme », le mot « socialisme » était nécessaire pour tromper les travailleurs et leur faire croire aux préoccupations sociales de l’extrême droite, mais pour accéder au pouvoir il fallait se débarrasser du contenu, sinon du mot. Un peu plus d’un an avant cette nuit d’assassinats, le 20 février 1933, Goering organisait la fameuse réunion entre Hitler et le patronat allemand (Krupp, Thyssen, Siemens, Telefunken, Porsche etc.  Les mêmes qu’aujourd’hui) qui allait assurer la victoire des nazis lors des élections du 5 Mars suivant. Mais pour le soutenir le patronat pose des conditions à Hitler : Il lui faut se débarrasser de sa fraction sociale, les S.A.

On nous a vendu Marine Le Pen comme la représentante des classes populaires. Rappelons pourtant qu’elle s’était mise à dos les gilets jaunes par son refus de l’augmentation du smic, son refus de l’ISF, son refus de condamner les violences policières.  Ce qui explique que le mouvement qui devait « profiter à Marine Le Pen » lors des élections Européennes de 2019, l’avait au contraire fait baisser de 1,56%, son score passant de 24,86% aux élections de 2014 à 23,3% en 2019. Curieusement personne n’y a vu un effet « gilet jaune » … alors que dans le cas contraire…

L’IFOP a publié le 27 Mai 2020 une étude concernant ces élections européennes. Le RN y aurait recueilli 40% des votes ouvriers. L’étude précise que les ouvriers n’auraient voté qu’à 40%. Donc plus justement le RN aurait obtenu 16% du vote des ouvriers. De plus l’IFOP s’appuie sur les qualifications de l’Insee qui minimisent le nombre d’ouvriers. Ainsi les employé(e)s n’auraient elles voté qu’à 27% pour le RN, avec le même taux d’abstention, donc seuls 10,8% des employé(e)s auraient voté RN. La distinction ouvrier / employé(e) est comme on sait ténue, les ouvriers étant à 4/5 des hommes, les employées à 4/5 des femmes, ils forment souvent des couples. Les autres catégories composant les couches populaires ont encore moins voté RN. Enfin les immigrés, souvent ouvriers, privés du droit de vote, ne vote pas RN. Ce qui ramène le taux de vote des catégories populaires pour le RN, probablement en dessous de 10% au lieu des 40% annoncés. De plus beaucoup ne votent RN que pour sanctionner Macron. L’adhésion des ouvriers aux idées du RN n’est donc pas si forte. Le RN récolte une bien plus grande proportion de voix parmi les commerçants, policiers, militaires… les classes populaires elles, ou n’ont pas le droit de vote (les immigrés), ou s’abstiennent, ou ensuite se dispersent plus ou moins sur toutes les familles politiques.

Cependant contrairement au Rassemblement National qui s’est prétendu « ni gauche, ni droite », Zemmour, comme Marion Maréchal, veut rassembler toutes les droites, tous les représentants des classes dirigeantes. Lancé par le milliardaire Bolloré, il n’a pas de problème financier, quand Marine Le Pen est obligée de s’adresser à une obscure banque hongroise pour financer sa campagne. Nicolas Bay ne dit-il pas en rejoignant Zemmour : « On reconstruit avec un parti structuré qui a des militants et de l’argent ». (Le Monde du 17 Février 2022) ? Cela fait un moment que vis-à-vis de Marine Le Pen on entend cette petite musique d’incompétence sur le plan économique, surtout face à un représentant expérimenté de la finance comme Emmanuel Macron. Même si, comme elle le dit, Zemmour a récupéré « quelques nazis » écartés par elle du Rassemblement National, il apparait cependant plus proche et plus intégré à l’establishment financier traditionnel. Se débarrasser des (vagues) oripeaux sociaux du Rassemblement National permettrait il à cette extrême droite d’être adoubée par une fraction plus significative des financiers, que le seul Bolloré ?

Ne sous estimons pas cette contradiction de l’extrême droite. D’un côté prétendre mobiliser le peuple, plus de 50 % des votants, mais d’un autre coté être obligé pour accéder au pouvoir d’être adoubé par une fraction décisive des dirigeants capitalistes, les 1%, puisque l’extrême droite ne remet jamais en cause leur pouvoir. Dans le passé comme on l’a vu cette contradiction n’a pas toujours été résolue pacifiquement.

Mais le contexte a changé depuis les premiers succès nazis, sur le plan international comme sur le plan national. L’extrême droite n’a aujourd’hui aucun avenir face au capitalisme mondialisé que représentent dans les élections à venir Macron et Pécresse. Contrairement au nazisme elle est sur la défensive : fermeture des frontières et non expansionnisme à l’étranger. La richesse, les avantages, le modèle social français sont en grande partie assurés par les surprofits impérialistes, c’est-à-dire par l’exploitation des travailleurs du Sud, que ce soit à l’extérieur (les entreprises françaises emploient plus de 6 millions de personnes à l’étranger) ou en France avec des travailleurs immigrés sous-payés. Ces surprofits sont assurés par la politique de Macron, comme ils l’étaient par les politiques de Hollande ou de Sarkozy avant lui. L’extrême droite française d’aujourd’hui n’a pas comme Hitler la capacité d’acheter les travailleurs en leur partageant les biens des juifs, ceux des rapines à l’occasion des guerres successives, ceux du Lebensraum, les territoires de l’Est qu’Hitler prétendait annexer. L’extrême droite, principalement en raison de l’émancipation des pays du Sud, et quel que soit sa nostalgie des colonies, n’a pas, compte tenu de son respect pour les richesses détenues par les 1%, de sources de richesses autres à proposer aux classes populaires « nationales ». Elle n’a pas de politique alternative face au capitalisme mondialisé. Malgré ses rodomontades Trump n’a pas pu réellement bloquer l’immigration. Les GAFAM en ont trop besoin et les Etats Unis ne peuvent se passer d’eux. Il n’a pas pu construire son mur. C’est pourquoi aussi le patronat allemand et Merkel ont intégré sans problème plus d’un million d’immigrés en 2015 malgré les « populistes » de l’AFD. Fermer les frontières, expulser d’une façon ou d’une autre les immigrés, serait se tirer une balle dans le pied, et appauvrir immédiatement la France et les français. Le contrecoup serait immédiat pour une extrême droite qui serait arrivée au pouvoir. C’est pourquoi aussi Marine Le Pen contrairement à ce qu’on essaie de nous faire croire n’avait pas particulièrement raté son débat avec Macron en 2017 : Elle ne pouvait qu’être mauvaise. Zemmour l’est tout autant qu’elle sur le plan économique. C’est pourquoi aussi l’adversaire le plus redoutable n’est pas cette extrême droite empêtrée dans ses contradictions et ses divisions, mais le système capitaliste mondialisé lui-même, auquel l’extrême droite fait semblant parfois de s’opposer, mais dont elle serait également l’agent servile si elle arrivait au pouvoir. Il est cependant intéressant de constater que l’extrême droite se divise avant même d’être proche d’arriver au pouvoir. Elle le fait sur une contradiction de fond : prétendre mobiliser le peuple d’un côté et devoir être adoubée par les 1% de l’autre, puisqu’elle ne remet pas en cause le système capitaliste. La multiplicité des divisions des différents partisans du système capitaliste est une manifestation de son incohérence et de ses contradictions, sans qu’apparaisse encore une alternative crédible et réaliste à lui opposer. L’axe ne peut en être que l’unité des travailleurs du Nord et du Sud dont les immigrés sont un détachement au Nord, l’internationalisme.

[1] - L’armée allemande qui deviendra en 1935 la Wehrmacht, l’armée nazie.

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