Même si le titre comprend un point d’interrogation, il est effrayant de voir un ministre français des armées en exercice publier un livre[1] intitulé « Vers la guerre ? ». Reflet d’un monde troublé, en particulier par les deux guerres d’agression en cours en Palestine / Liban et en Ukraine, monde qui de plus ne semble offrir que des perspectives sombres, avec l’échéance de l’élection américaine à venir.
Un bon point : plus de corps expéditionnaire
Un aspect positif du livre est qu’après avoir noté les échecs des corps expéditionnaires français en Indochine et à Suez, avoir minimisé l’échec de celui d’Algérie, avoir passé sous silence l’échec récent des corps expéditionnaires en Afrique noire, le livre pointe que l’heure n’est plus à projeter des corps expéditionnaires à l’étranger. D’une part « Les guerres de conquête territoriale contre les libertés des peuples sont déjà constitutionnellement prohibées », D’autre part « L’organisation de l’armée était déficiente et déformée par des engagements en grand majorité expéditionnaires ». Il faut donc une réorientation, en particulier pour l’armée de terre : « La première révolution est que l’armée de terre fasse son « sevrage » de la dépendance exclusive à l’engagement expéditionnaire ». Il est tout à fait positif qu’une puissance impérialiste et guerrière comme la France prenne conscience que les agressions lui sont interdites aujourd’hui, et qu’elle prenne acte « de la dislocation de notre empire colonial ». C’est le résultat des combats de libération menés avec succès par les pays du Sud et le rééquilibrage du monde qui s’en suit. Le ministre, à juste titre en tire comme conséquence que les armées devraient être réorientées vers la « défense nationale ». Ce qui selon lui exige par exemple la nécessité d’une réorganisation de fond de l’armée française : « Si le régiment (environ 1000 hommes) était l’unité de base des guerres expéditionnaires, le niveau de la brigade (de 8000 hommes pour la France) est celui qui est le plus adapté pour des conflits entre grandes puissances ». Cependant cette prise de conscience de certaines impossibilités coloniales aujourd’hui ne va pas jusqu’à la mise en cause des menées impérialistes. Ainsi la vente d’armes à l’étranger est reconfirmée par le ministre comme un pilier de la « défense nationale » !
La grosse lacune
Le livre fait un panorama quasi exhaustif et très concret de l’appareil militaire français, du nucléaire à la question du service militaire, en passant par les types d’armes, les risques multi dimensionnels (espace, cyber, Intelligence Artificielle) etc. Mais alors que le livre prétend prendre en compte les enseignements de la guerre d’Ukraine il élude son enseignement principal : la mobilisation spontanée du peuple ukrainien, la révolte unanime d’un peuple, russophones comme le président Zelenski compris, contre l’agression. La débrouillardise, l’imagination, le savoir-faire, le courage, l’unité que ce peuple a révélé face à l’invasion, alors que ses alliés occidentaux n’ont cessé de proposer d’exfiltrer leur président, de ne livrer des armes qu’avec extrême réticence, de les inciter à un cessez le feu actant les gains de territoires conquis par l’agresseur. Cet aspect fondamental de mobilisation populaire échappe tout à fait au ministre. Dans la foulée sa stratégie militaire pour la France est totalement élitiste et technocratique. Le peuple en est absent. La seule ouverture qu’il fait vers « les civils » c’est vers les industriels qui peuvent participer à l’effort militaire. Même lorsqu’on croit qu’il va prendre enfin en compte le fait que la « défense nationale est globale » c’est pour poursuivre : « elle emporte avec elle une multitude d’aspects civils dont la responsabilité repose également sur différents ministères et notamment ceux de l’intérieur, de la santé, de l’environnement, des affaires étrangères ou de l’économie ». Toujours la vision « d’en haut ». Membre des différents gouvernements Macron qui auront divisé le peuple, avec la politique de « ruissellement » pour les riches, avec les agressions contre la fraction immigrée du peuple, Sébastien Lecornu, malgré sa bonne connaissance du sujet dont il a la charge, de par sa vue technocratique et élitiste passe à côté de l’essentiel pour « une défense nationale »: seules les guerres du peuple sont légitimes et finissent par trouver les ressources et les appuis pour les rendre victorieuses.
[1] Sébastien Lecornu, « Vers la guerre ? La France face au réarmement du monde » Plon 2024.