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Billet de blog 19 février 2024

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Israël, le risque existentiel

Contrairement à ce qu’affirment beaucoup d’observateurs le but politique de Netanyahou et des dirigeants israéliens dans l’écrasement de Gaza est très clair. Mais pour ne pas choquer l’opinion internationale ils ne peuvent pas toujours l’ exprimer: terroriser les palestiniens pour les chasser. Ils sont ainsi dans le droit fil du projet sioniste depuis le début.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jean Pierre Filiu publie au Seuil « Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné »,  livre très argumenté sur l’historique du conflit. Son plan est original : il n’est chronologique qu’à l’intérieur des 6 chapitres, 3 côté israélien : le rôle du sionisme chrétien, l’apparent pluralisme du projet sioniste, la politique du fait accompli, et 3 du côté palestinien : l’illusion arabe, les divisions, le « deux poids deux mesures ». De ce fait les mêmes événements sont abordés plusieurs fois sous des angles différents. L’effet répétition vient éclairer la succession des événements et les sort de la confusion.

LE SIONISME, UN PROJET COLONIALISTE CHRÉTIEN CLASSIQUE

En montrant comment historiquement le projet sioniste émerge d’abord dans les sphères chrétiennes et non juives, le livre confirme que le sionisme n’est au fond qu’une variante de tous les discours missionnaires qui ont accompagné les entreprises colonialistes dès le  16ème siècle. La naissance et l’ancrage du sionisme dans les églises protestantes explique pourquoi aujourd’hui encore ces églises, surtout développées aux États-Unis, sont, plus même que la diaspora juive, le principal soutien de l’état d’Israël. Sous domination de l’empire ottoman une minorité juive est bien présente en Palestine, le vieux Yichouv, qui au départ est hostile au sionisme.  Cette minorité juive constitue 1% de la population à côté d’autres minorités , chrétiennes, druzes, bédouines etc. et une majorité arabe musulmane de plus de 60%. La Grande Bretagne va utiliser le sionisme chrétien, puis juif, pour renforcer cette minorité à partir de l’émigration européenne. Elle  utilise cette présence minoritaire juive comme  levier pour déstabiliser l’empire ottoman.  C’est la déclaration Balfour de 1917.  Comme le résumera l’écrivain juif d’origine hongroise Arthur Koestler « Une nation a solennellement promis à une deuxième le territoire d’une troisième ». L’empire ottoman s’écroule avant et surtout à l’issue de la première guerre mondiale et est remplacé par les différents états nations, Grèce, Turquie, et les états arabes, Égypte, Jordanie etc. la France garde le protectorat sur la Syrie et le Liban, la Grande Bretagne sur l’Égypte, l’Irak et la Palestine. Après la seconde guerre mondiale les États-Unis remplacent la Grand Bretagne et la France comme leader de la finance occidentale et maintiennent à bout de bras, financiers et militaires, l’état d’Israël comme colonie occidentale en terres arabes. Malgré l’émigration favorisée par la Grande Bretagne la population juive, le nouveau Yichouv,  n’est encore que de 30% en Palestine lors du partage du pays par l’ONU en 1947, partage approuvé par l’Urss, encore une erreur de Staline !  C’est pourquoi l’état d’Israël n’est proclamé par Ben Gourion en 1948 qu’à l’issue des guerres et des attentats terroristes, menées par les organisations sionistes, Lehi, Irgoun, Haganah, y compris l’assassinat du représentant de l’ONU Bernadotte à Jérusalem en septembre 1948. Israël s’arroge 77% du territoire. C’est la Nakba,  l’expulsion et l’assassinat de la population palestinienne. Aujourd’hui le carnage de Gaza  par Tsahal, héritière des organisations terroristes précédentes, en est le prolongement logique. Les deux exactions, celle de 1948 comme celle de 2023, et toutes les autres entre temps (sauf l’expédition de Suez de 56) sont appuyées par les États-Unis dont Israël apparait plus que jamais comme une excroissance, avec toujours en particulier le soutien des églises évangélistes.

APPUYÉ SUR L’ANTISÉMITISME ET LA SOCIALE DÉMOCRATIE

Le renforcement de l’émigration par la Grande  Bretagne puis les États unis pour installer l’état d’Israël s’est appuyé sur l’antisémitisme, les pogroms dans les pays de l’Europe de l’Est, les accords d’Haavara signés en 1933 entre la fédération sioniste d’Allemagne, l’Anglo Palestine Bank, et les nazis, et bien sur l’utilisation politique et cynique de la shoah. Cet anti sémitisme sous-jacent à la création d’Israël continue à être le fondement à son soutien : ainsi les enregistrements de l’ancien président des États-Unis Richard Nixon ont révélé cet échange avec Billy Graham le leader des évangélistes, principal soutien d’Israël à l’époque (son fils, Franklin a repris le flambeau aujourd’hui). Billy Graham : «  Les juifs savent mon amitié pour Israël et tout cela. Mais ils ne savent rien de ce que je pense vraiment » Richard Nixon : « Tu ne dois pas les laisser savoir ».

Le projet sioniste est aussi soutenu par la sociale démocratie internationale jamais en reste pour rivaliser avec les chrétiens dans le soutien aux entreprises coloniales, entre autres quand elles s’appellent kibboutz. Le président du conseil socialiste français Guy Mollet lance avec Israël et la Grande Bretagne une offensive contre l’Égypte de Nasser en 1956 à Suez. Les travaillistes, Ben Gourion, Golda Meir etc. dirigent les premiers gouvernements israéliens. En mars 2023 le ministre de Netanyahou, Smotrich crée un tollé en reprenant simplement la phrase de Golda Meir de juin 1969 « Les palestiniens n’existent pas ». Il est qualifié pour ça de suprémaciste d’extrême droite.

Le livre de Filiu relate aussi comment depuis le début, la diversité affichée des positions sionistes permet de faire passer la position colonialiste terroriste centrale comme « modérée ». C’est ainsi qu’aujourd’hui le criminel de guerre Netanyahou passe pour un  modéré à coté de ses ministres Smotrich ou Golant le ministre de la défense (celui qui déclare « ce sont des animaux » en parlant des palestiniens). De même la politique du fait accompli et le maintien d’un flou sur les buts poursuivis sont des constantes de l’action israélienne. Par exemple on prétend protéger les populations civiles en leur demandant d’évacuer au Sud puis on bombarde le Sud. C’est pourquoi aussi aucun but politique n’est affiché dans l’écrasement de Gaza. Comment assumer de dire qu’il s’agit de terroriser les populations civiles ? 

DU CÔTÉ PALESTINIEN

le livre de Filiu indique comment la résistance palestinienne met du temps à se concevoir en résistance nationale indépendante. Elle reste prisonnière d’une illusion panarabe qui ne correspond pas à l’état du développement de l’organisation capitaliste. Les nations arabes, Jordanie, Égypte, Irak, Syrie, Liban etc.  émergent elles-mêmes parfois difficilement de la dissolution de l’empire ottoman qui était l’archétype d’une organisation encore féodale. Comme la plupart des états nations dans le monde ces états nations sont récents.  Ils répondent aux nécessités économiques de l’organisation capitaliste qui s’est imposée dans le monde entier. Ce développement capitaliste apporte aussi avec lui  certaines formes démocratiques, qui à la fois nécessitent et permettent l’émancipation nationale. La résistance palestinienne met du temps à se dégager des structures féodales, la hamoula, ce dont témoigne aussi  le poids de la religion dans sa lutte actuelle et les conceptions panarabes qui y sont liées. D’où le retard à se concevoir comme état nation.

Le deuxième point soulevé concerne le factionnalisme des palestiniens. La raison pour laquelle cette multiplicité de point de vue est une faiblesse du côté palestinien et une force du côté sioniste n’est en revanche pas abordée. Elle est pourtant riche d’enseignement. On peut émettre l’hypothèse que les sionistes, formés aux thèses démocratiques des pays européens (présentes même si elles n’étaient pas au pouvoir) en ont fait une force, les palestiniens restant englués dans les rivalités claniques et familiales. La démocratie est un atout pour les luttes. Le dernier point est le « deux poids deux mesures » de l’opinion internationale, et plus précisément de l’opinion occidentale. À côté de bien d’autres exemples, quoi de plus frappant aujourd’hui que ce « deux poids deux mesures » à l’égard des deux guerres en cours, en Palestine et en Ukraine, l’une depuis bientôt 5 mois et 77 ans, l’autre depuis 2 ans déjà?

CONCLUSION

Qu’entraine la lecture du livre sans être forcément la sienne: le projet sioniste a la même cohérence depuis le début. Il s’agit de solder la culpabilité de l’antisémitisme européen en créant une colonie occidentale en terre arabe, en terrorisant et expulsant les palestiniens  pour y installer des juifs[1] dans un état qui se veut tel et institue l’apartheid.  Puis qu’Israël en fait lui-même une question existentielle, poursuivre le terrorisme colonial ou disparaitre, la réponse est claire : Israël en tant qu’état criminel doit disparaitre, comme tous les états à terme d’ailleurs, mais lui c’est urgent ! En même temps la présence de 7 millions d’israéliens en Palestine, pour un minorité d’entre eux depuis longtemps, est une réalité.

La position de toutes les personnes de bonne volonté extérieures à la Palestine ne peut être que :

  • Réclamer un cessez le feu immédiat, le retrait des troupes occupantes, soutenir la résistance palestinienne.
  • Soutenir que toute solution, un état multi national, deux états etc… ne peut être que celle des populations concernées, palestinienne et israélienne. À l’exception du maintien du fait colonial, de nombreuses solutions existent, depuis celle de l’Afrique du Sud (un modus vivendi est trouvé entre colons et populations locales) à l’Algérie (les colons s’en vont) en passant par des solutions innovantes que les populations concernées décideraient.
  • Exclure toute prétention extérieure à imposer une solution.
  • Soutenir tout tiers, ONU etc. capable de créer les conditions pour que l’avis de toutes les populations concernées puissent s’exprimer librement.
  • Lutter réellement contre l’antisémitisme en accueillant les colons israéliens dans leurs pays d’origine afin de ne pas les acculer dos au mur, et ne pas favoriser une dérive terroriste massive jusqu’auboutiste du type de celle de l’OAS lors de la guerre d’Algérie.

[1] Les 15 millions de personnes qui se veulent juives dans le monde se répartissent pour 7 millions en Israël, 7 millions en Amérique du Nord ( États-Unis et Canada) et 450 000 en France.

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