Les horreurs de la politique de Marine Le Pen sont à juste titre exposées dans le détail, mais celles de Macron beaucoup moins. La conclusion, toujours la même s’impose : aucun n’est parfait mais l’une serait pire que l’autre. Or les faits sont têtus : pour l’instant les horreurs de la politique de Macron, de la politique en faveur des riches jusqu’aux dizaines de mutilés de la répression des gilets jaunes sont pires que tout ce qu’a fait Marine Le Pen. Battue en 2017 elle a respecté la sanction du vote. Elle n’a pas mobilisé les ligues factieuses. Des néo nazis s’agitent dans son ombre comme dans celle de Zemmour ? Oui ! Recenser les manifestations de « fascisme » que l’on trouve chez Marine Le Pen fort bien ! Mais à condition de rappeler aussi que c’est « sous » Macron, et non « sous » Marine Le Pen, qu’une bande d’officiers, a pu publiquement, sans être sanctionnée, annoncer son intention de préparer un putsch militaire… Les professions de foi démocratique de Marine Le Pen ne sont pas sincères ? Très certainement. Mais pas plus que celles de Macron dont le conseiller et soutien Jean Tirole, le prix Nobel français d’économie, promeut les AAI, les Autorités Administratives Indépendantes non élues: « La création d’autorités indépendantes constitue l’un des instruments qui permet à la démocratie de tempérer les excès de la tentation électoraliste … et de déléguer la prise de décision à des acteurs mieux informés que l’électorat ». Arrogant Macron ? Rappelons aussi que c’est « sous » le démocrate Macron que la majorité des médias appartient à une poignée de milliardaires.
Aujourd’hui l’ensemble du patronat français du Medef à la CPME vote Macron. Il est cocasse comme le rapporte Le Monde que les pro Macron aient demandé à Bernard Arnault le patron de LVMH de ne pas indiquer son choix pour Macron car « ce serait contre-productif ! ». Grand ou petit, le patronat vote Macron car l’organisation même du capitalisme, sa direction monopoliste aux mains de quelques oligarques et la cascade de sous-traitants qui en dépendent ne laisse pas d’autonomie aux petits, mêmes capitalistes.
Cependant parmi les oligarques les rivalités sont constantes et fondamentales. Dans leurs luttes ils sont prompts à utiliser toutes les failles : les différences entre partis politiques, opposer les énergies renouvelables aux énergies fossiles ou au nucléaire, opposer le contrôle de la dette à la défense du pouvoir d’achat, les territoires aux villes, le national à la mondialisation etc… Les partis qu’ils influencent seront capables de se battre à front renversé sur la plupart des questions. On a vu Marine Le Pen s’adapter lors de ces élections. Encore 5 ans et l’immigration, déjà relayée aujourd’hui en 5ème point de sa profession de foi, disparaitra peut-être de son programme, comme aujourd’hui la sortie de l’Euro et la sortie de l’Europe. Se rendre crédible aux yeux de la finance française l’exigera car cette dernière sait combien cette main d’œuvre immigrée lui est profitable et nécessaire.
Exagérer les différences entre les deux candidats c’est masquer et passer sous silence l’essentiel, ce qu’ils ont fondamentalement en commun : tous les deux sont des défenseurs du système capitaliste.
La farce fasciste:
Au fond il n’est pas si important ni si grave qu’Edwy Plenel et d’autres votent Macron pour faire barrage à Le Pen, comme il n’est pas si grave que d’autres encore, abusés par elle, votent Le Pen pour faire barrage à Macron. Plus grave de conséquences est la justification idéologique et politique invoquée : « faire barrage au fascisme ». Tout d’abord la grandiloquence de « Voter dans la douleur pour conjurer l’effroi » a pour effet de créer l’effroi qu’on prétend combattre. Ensuite Edwy Plenel ne peut pas avoir oublié cette idée de Karl Marx : « l’histoire du monde se produit pour ainsi dire deux fois… la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide… ». Le fascisme ne rejouera pas la même pièce. Malheureusement le véritable adversaire n’apparaitra pas sous les oripeaux facilement reconnaissables des nostalgiques du nazisme. Le faire croire c’est nous induire en erreur.
Ce qui a fait la victoire d’Hitler n’est pas essentiellement l’élection de 1933, mais la réunion organisée par Goering un mois auparavant, où il a rallié à Hitler le gotha du patronat allemand, les Krupp, Thyssen, Allianz, Porsche etc. Les mêmes sont toujours en place aujourd’hui ! Et leurs héritiers, comme l’ensemble des capitalistes occidentaux, aujourd’hui votent également Macron.
Avec Marine Le Pen ce serait terrible ? c’est très probable. Mais avec Macron aussi ! Il l’a prouvé : l’ampleur de la répression des gilets jaunes, révolte populaire limitée de 300 000 participants, mais dont la lutte juste a trouvé l’appui de 80% de la population française, ne laisse aucun doute sur ce que les possédants seront capables de faire lorsque leurs intérêts seront réellement menacés. Macron comme Le Pen, comme leurs successeurs feront demain ce que les circonstances et les intérêts de classe de leurs commanditaires leur imposeront de faire.
Brandir la peur du fascisme à chaque fois que le pouvoir des possédants se durcit c’est maintenir en permanence les travailleurs sous le joug de la bourgeoisie. Bourgeoisie qualifiée pour l’occasion de « bergerie démocratique » comme Edwy Plenel qualifie la France de Macron. Cette position convient aux cadres et autres classes moyennes qui composent l’essentiel des bureaucraties syndicales et du personnel des partis de gauche « de gouvernement », toujours prêts à trouver une bonne raison de se soumettre à leur patron.
Lorsque ceux d’en bas ne peuvent plus vivre comme avant, et que ceux d’en haut abandonnent les principes démocratiques, ce n’est pas de la fascisation Monsieur Plenel, c’est le début d’une situation révolutionnaire. Il serait plus utile, au lieu de tenter d’effrayer en mimant les scènes historiques du passé - qui ne se rejoueront pas - d’observer la situation concrète d’aujourd’hui. On noterait alors par exemple
Le glissement à gauche de la situation politique française.
La droite traditionnelle est majoritairement dirigée aujourd’hui par des anciens du parti socialiste comme Macron, Ferrand ou Castaner. Elle pratique comme tous les pays occidentaux une politique sociale-démocrate du « quoi qu’il en coute ». La nouvelle gauche des insoumis elle, a créé une dynamique qui a mobilisé la jeunesse, elle a réduit l’emprise des « partis de gouvernement capitaliste », PCF, Verts, socialistes. Il faut lui ajouter les 2/3 des abstentionnistes qui selon des études seraient de gauche, et aussi les 3 millions d’immigrés sans droit de vote…. L’extrême droite d’aujourd’hui est obligée d’affirmer être pour la République, pour la démocratie, pour la laïcité, pour la défense du pouvoir d’achat des travailleurs… L’extrême droite, loin d’être à l’offensive est sur la défensive. Sans même remonter aux ligues factieuses d’avant-guerre, la campagne de Tixier Vignancourt de 1965, dirigée par Jean Marie Le Pen, se faisait sur l’Algérie Française et sur la phrase piquée à De Gaulle : « La France de Dunkerque à Tamanrasset ». Elle faisait 5%. A peu près le score de Zemmour aujourd’hui. Un Zemmour qui loin d’être à l’offensive lui aussi, a peur d’être « remplacé », et se recroqueville sur une histoire de France tronquée.
Sur le plan international également aucun « axe » nazi ne menace. Les empires coloniaux ont disparu, les peuples et pays se sont libérés. L’empire américain lui-même voit sa part dans l’économie mondiale régresser chaque année. Les petits dictateurs envahisseurs comme Saddam Hussein ou Poutine échouent, ce qui sera une leçon pour leurs émules éventuels, même si malheureusement cette leçon coute cher aux peuples.
Alors tout va bien ? Non ! Ça peut empirer ? Oui ! L’inimaginable guerre en Ukraine nous le rappelle. On assiste aux soubresauts d’un système pour et par les oligarques qui rend la vie difficile voire insupportable à de plus en plus de monde. Encore une fois la répression démesurée de Macron contre la petite révolte des gilets jaunes ne laisse aucun doute sur la sauvagerie des possédants pour maintenir leurs privilèges. Mais la solution n’est pas d’aller se réfugier derrière une fraction d’entre eux comme le suggérerait un vote pour Macron ou pour Le Pen. Ces deux-là se confortent mutuellement. Preuve a été faite en 2017 que voter pour le représentant du capitalisme mondialisé ne peut être un barrage à l’extrême droite puisque depuis elle a progressé. Comme elle l’avait fait après le vote pour Chirac en 2002.
L’horizon des luttes ce n’est pas le « barrage », la lutte antifasciste du passé, c’est l’offensive, la révolution socialiste à venir. Car ces soubresauts sont le reflet de l’émergence d’un communisme silencieux et pour une part « déjà là ». La politique du « Quoi qu’il en coute » a été une obligation pour les oligarques afin de contenir la révolte sociale, même Trump y était obligé. Elle n’a fait qu’accentuer la nécessaire prise en compte des besoins et des ressources communes reflétée aussi bien dans les préoccupations écologiques que dans la progression continue de la part des budgets publics, même après la révolution conservatrice de Reagan et Thatcher. Bien entendu les oligarques qui se sont gavés au passage tenteront de faire payer les dettes aux travailleurs, et cela a déjà commencé avec l’inflation… C’est l’annonce des nouvelles luttes à venir. Il s’agit de la lutte de classes d’aujourd’hui pas d’une guéguerre entre organisations politiques mimant les luttes du passé.
L’erreur d‘Edwy Plenel est moins d’appeler à voter Macron que de brandir la menace du fascisme. Cette menace est aujourd’hui le principal moyen des classes possédantes pour tenter d’amener les travailleurs à voter pour le représentant du capital. Nul besoin de faire appel au fascisme, en brandir la menace suffit pour repartir volontairement sous le joug.
Le vote de raison implique de s’opposer aux deux candidats, par exemple en votant blanc. Indiquer ainsi que le véritable barrage à la montée de l’extrême droite exige une alternative radicalement différente.