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Billet de blog 23 mai 2022

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Voter NUPES. Quoique…

Jean Luc Mélenchon a su transformer l’échec du premier tour de la présidentielle en dynamique unitaire pour le premier tour des législatives. La création de la NUPES, la nouvelle union de la gauche, répond aux souhaits d’unité d’une bonne partie des classes populaires. Donc votons pour les candidats NUPES

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qui portent le programme « partagé » de 650 mesures unitaires, avec ses nuances, les désaccords, « soumis à la sagesse de l’assemblée » à venir (sur l’Europe, le nucléaire etc.)

Mais qu’est ce qui, au-delà de la satisfaction d’avoir des candidats unitaires, fait encore hésiter ?

La sociologie des candidat(e)s : pour l’essentiel les candidat(e)s choisis par la Nupes sont membres de la petite bourgeoisie, en particulier intellectuelle : professeurs, cadres du secteur social, fonctionnaires, etc. des candidats pour la plupart issus de la classe moyenne qui ne constitue que 29% de la société. Par exemple peu de représentants des gilets jaunes, dernier grand mouvement des classes populaires qui forment 70% de la société (en gros ceux qui gagnent moins de 2500 € par mois).  Il est normal que les bouleversements sociaux s’expriment au départ avec des candidats qui ont les moyens financiers et culturels de s’exprimer. Il s’agit d’autant moins de le leur reprocher que cette classe moyenne fait partie des 99% qu’il faudra unir pour surmonter la malfaisance des 1%. Simplement cela exprime l’état de la lutte des classes : aspirations à des changements mais pas encore de réelle mobilisation ouvrière.

L’unité s’est faite au sommet par accords des appareils politiques LFI, EELV, PCF et PS. Tant mieux, mais cela n’est pas appuyé par une puissante mobilisation unitaire à la base. Les sentiments de mise à l’écart, exprimés le 8 Mai dernier par « l’assemblée des quartiers » réunie à Stains, dans le 9.3. Reflètent ça. Comme la grande abstention anticipée en Juin prochain à peu près semblable à celle des législatives de 2017 qui dépassait 50%. Peut-on néanmoins espérer que l’élection d’une majorité NUPES déclenche cette mobilisation populaire comme l’avait fait l’élection du Front Populaire en 1936 ? Tout d’abord le rapport des forces électorales n’est pas le même : En 1936 la gauche l’emporte par 57% contre 43% pour la droite. Le premier tour de la présidentielle 2022 a donné 32% à gauche contre 68% à droite. Si proposer « d’élire Jean Luc Mélenchon premier ministre » était une excellente manœuvre tactique pour mobiliser, la probabilité d’une NUPES majoritaire à l’Assemblée est faible. Il ne faudrait pas que ce relatif échec déçoive et démobilise. Même un succès ne serait de toutes façons vraisemblablement pas le déclencheur d’une mobilisation sans laquelle pourtant rien ne changera vraiment. De plus n’oublions pas que cette assemblée du Front Populaire de 1936 est la même qui vote à une très large majorité les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Pourquoi cette assemblée a-t-elle failli ? Essentiellement parce qu’elle n’a pas préparé le pays a la lutte essentielle qui se dessinait déjà, la lutte contre le nazisme et le fascisme. Mussolini et Hitler étaient déjà en place. Toutes proportions gardées le « programme partagé » d’aujourd’hui recèle également des faiblesses pouvant miner l’espoir suscité par la NUPES.

Le programme partagé : Les 650 mesures du programme ne peuvent dans l’ensemble qu’être approuvées. Elles sont très détaillées : de la gestion des « lignes à haute tension » dès la page 4, à « l’éradication des punaises de lit » page 20. L’ensemble laisse penser que le système actuel peut grandement être amélioré. Au fond amélioré tel qu’il est. Beaucoup de mesures relèvent plus d’un programme syndical que d’un programme politique. C’est pourquoi ce programme qui se veut concret passe à côté de beaucoup des réalités politiques d’aujourd’hui. L’invasion de l’Ukraine ? sur 45 pages, une seule phrase lui est consacrée. C’est pourtant la 4ème préoccupation principale des français après le pouvoir d’achat, l’environnement, le système de santé, et avant les retraites (Sondage Ipsos Le Monde du 23 Mai). L’immigration, 6ème préoccupation des français, question pourtant décisive pour récupérer la fraction du peuple qui se fourvoie chez Le Pen ? Presque rien : en page 29 le droit de vote aux élections locales pour les étrangers est demandé. Mais cela laisse à penser que ces étrangers sont quand même un peu dangereux pour qu’on ne leur accorde pas tous les droits ! L’église catholique a reconnu 330 000 cas de crimes et a couvert des milliers de criminels : pas un mot n’en est dit. Pas plus que sur les relations entre le terrorisme et l’islam à travers la promotion du djihad. La malfaisance des religions qui divisent les travailleurs dans le monde n’est pas pointée. Les multinationales qui structurent la production capitaliste qu’elles soient étrangères ou françaises sont présentées comme pouvant être régulées tranquillement au lieu de révéler leur potentiel de conflits. La dette ? c’est simple : on emprunte à la BCE, la Banque Centrale Européenne. A taux zéro, mais peu importe au fond puisque de toutes façons on ne rembourse pas ! Il faut réaliser à quel point cette position divise le peuple : beaucoup de gens, à juste titre, ont du mal à croire qu’on peut emprunter à l’infini sans rembourser et sans conséquences, ce qui les font, en contre coup, soutenir des candidats de droite qui leur semblent plus réalistes. La préparation par les pays occidentaux d’une guerre contre la Chine ? rien. Ici et là le programme laisse transparaitre des relents de chauvinisme : sur le rôle des outremers, sur la défense de l’espace maritime français, sur le fait d’« organiser un débat suivi d’un vote au Parlement sur les objectifs et l’action de l’armée française au Sahel et au Mali » page 44, sur le fait  de  « Subordonner l’exportation des armements aux principes du droit international » page 41. Comme si le droit international n’était pas fait justement pour rendre légal les ventes d’armes dont la France est le 3ème exportateur ! 

 Un déni de réalité : Les faits politiques majeurs, guerre en Europe, expansion des religions, terrorisme, crises économiques jusqu’à un chômage massif et des émeutes de la faim, immigrations, crispation et hostilité à l’égard des pays du Sud et de la Chine en particulier, beaucoup de questions qui vont marquer les mois et les années à venir sont mises sous le tapis. Les réalités essentielles niées viendront fracasser nombre des 650 mesures, comme les gilets jaunes ont fracassé la taxe carbone, qui paraissait pourtant au départ elle aussi une mesure sensée. Le programme de la Nupes campe bien souvent à côté de la réalité du monde. Il pèche surtout par ce qu’il n’aborde pas. Comme l’assemblée du Front Populaire de 36 il ne prépare pas les travailleurs aux difficultés à venir. 

Il ne s’agit pas de préparer en 2022 ce qu’il aurait fallu faire en 1936 ! la lutte contre le fascisme, et être ainsi en retard d’une guerre ! Les bouleversements qu’entrainent les différentes crises capitalistes appellent à le dépasser, à aller vers le communisme et non à rallier la bourgeoisie, une fois de plus et à contretemps, pour faire pièce à une soi-disant menace fasciste : il n’y a aucune excuse à rallier le président des riches pour éviter Marine Le Pen. Aujourd’hui ce n’est pas la lutte anti fasciste et le rétablissement du pouvoir de la bourgeoisie française qui est l’horizon, mais le remplacement de cette bourgeoisie.

Le programme de la Nupes n’adresse pas le fait majeur que la fragmentation du monde n’est pas la bonne réponse à la crise de la mondialisation capitaliste. Cette fragmentation qu’incarnent les différents populismes et nationalismes est une tentative de retour aux capitalismes nationaux, à leurs rivalités et à leurs guerres. Poutine en est l’archétype et il est voué à l’échec.  Pour paraphraser Lénine qui disait « En avant à travers les trusts et au-delà jusqu’au socialisme », l’alternative à la crise du capitalisme mondialisé est « En avant à travers la mondialisation et au-delà vers l’internationalisation ». Internationalisation dont les menaces climatiques et pandémiques viennent encore souligner la nécessité.

Il est vrai qu’on ne peut attendre d’une LFI qui brandit le drapeau tricolore, qui tente de faire chanter la marseillaise, symboles des conquêtes coloniales de l’impérialisme français, avec un leader qui fait référence en permanence à la révolution bourgeoise de 1789, que ce parti exprime une alternative à la hauteur des crises capitalistes à venir.

Autrement dit la Nupes ne sera pas l’organisation d’émancipation des travailleurs. Sa composition petite bourgeoise la voue à éclater et à se diviser lorsqu’elle devra affronter le réel. La composition sociologique des candidats, l’absence de vraie mobilisation, les ambiguïtés du programme indiquent qu’il ne faut pas s’attendre à ce que quelque chose de vraiment décisif sortent de ces élections. Elles ne sont pourtant pas à négliger. D’abord l’unité et la volonté d’unité à elles seules sont positives. Comme il est positif que le curseur se déplace vers la gauche : Du PS à LFI, comme en 1936 il s’était déplacé des radicaux à la SFIO, l’ancêtre du PS. Consolidons cette avancée et votons pour les candidat(e)s NUPES malgré les questionnements indiqués plus haut. C’est un moment politique, non décisif en lui-même mais où la lutte en commun fait progresser l’unité. Comme l’indiquait Marx dans le Manifeste : « Le véritable résultat de leurs luttes (aux ouvriers) est moins le succès immédiat que la solidarité croissante des travailleurs ».

Quelle serait une alternative vraiment enthousiasmante ?

Outre le fait d’affronter les réalités listées plus haut, la guerre, les crises, la dette, le terrorisme souvent à terreau religieux, les migrations etc… de mieux inclure les représentants des quartiers, des immigrés, des représentants des mouvements populaires comme les gilets jaunes ou les ubérisés, c’est aussi de resituer positivement les expériences communistes passées en en faisant un bilan objectif, dégagé de la propagande adverse. De prendre conscience que nous sommes dans le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste. Le capitalisme qui s’effondre aujourd’hui avait mis 8 siècles à s’imposer au féodalisme. Le communisme n’a qu’un siècle et demi. Ce passage est en cours comme le note même un Eric Zemmour dans son interview au Figaro du 20 Mai 2022 « Marine Le Pen… en mettant en priorité le social s’inscrit dans une philosophie politique qui s’appelle le socialisme ». Les idées avancent même à travers les discours de nos adversaires.

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