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Billet de blog 23 octobre 2023

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Palestine, Ukraine, luttes décoloniales, même combat !

Le 16 Octobre 2023 le président ukrainien Volodymyr Zelensky voulait se rendre en Israël pour témoigner sa solidarité face à l’attaque du Hamas et sans doute aussi pour faire plaisir à son allié américain Jo Biden. Israël a refusé sa visite, sans doute pour faire plaisir à son allié russe Vladimir Poutine.

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L’incident illustre que le président américain a tort lorsque, à l’occasion de son « adresse à la nation » du 19 octobre, il proclame « Le Hamas et Poutine représentent des menaces différentes mais ils ont ceci en commun…». C’est  la Palestine et non Israël qui mène une lutte commune à celle de l’Ukraine.

Des luttes de décolonisation: La gauche occidentale et mondiale a des réticences à condamner le terrorisme du Hamas, sachant que le terrorisme israélien est dominant depuis 75 ans, comme elle a du mal à condamner l’agression russe en Ukraine sachant que l’impérialisme dominant dans le monde est l’impérialisme Anglo-saxon.

Les deux constats sont vrais : l’impérialisme Anglo-saxon est dominant et justement l’état d’Israël en est une des expressions. Mais cela n’implique pas d’être réticent à soutenir la résistance ukrainienne sous prétexte qu’elle reçoit le soutien militaire occidental,  ou de s’abstenir de critiquer les actes terroristes du Hamas sous prétexte qu’il s’attaque à une des manifestations de l’impérialisme occidental.

La résistance ukrainienne lutte contre la tentative de rétablir l’empire Grand russe d’avant 1917. En particulier contre ses visées coloniales sur la Crimée stratégique et sur les sites industriels du Donbass. Poutine a explicitement formulé cet objectif de Grande Russie en condamnant Lénine et les bolchéviks (et Prigogine !) pour avoir donné « un coup de poignard dans le dos » à la Grande Russie. (Discours du 21 février 2022 tentant de justifier l’agression de l’Ukraine, et du 24 juin 2023 condamnant le coup de force de Prigogine).

La résistance palestinienne combat la décision des alliés, en particulier européens et américains,  en 1948 à l’issue de la seconde guerre mondiale, de soutenir l’installation des colons israéliens en leur permettant la constitution d’un état sur le territoire de la Palestine et en en expulsant les palestiniens, la Nakba. Cela calmait la mauvaise conscience des vainqueurs de la guerre d’avoir laissé se dérouler le crime de la Shoah… mais aux dépens du peuple palestinien. Depuis 75 ans l’occupation de la Palestine par Israël est soutenu artificiellement, en particulier par les capitaux anglo-saxons.  

Les deux luttes, celle de la résistance ukrainienne à l’invasion, et celle de la résistance palestinienne à l’occupation sont des luttes de décolonisation (les dernières ?) qui semblent dater du siècle dernier et sont justes.

La position des travailleurs : Sur ces deux luttes, les commentaires et les analyses de géostratégie évaluent l’histoire, les politiques des états, les positions des organisations et de leurs  leaders, mais tiennent peu compte des souhaits et des luttes  des populations, comme du positionnement sur le terrain des différentes classes qui constituent ces populations. Faire de la géostratégie hors sol entraine à mettre en avant de façon subjective tel ou tel fait au détriment des autres, et suscite des prises de position confuses et contradictoires. Dans les 4 pays concernés la classe ouvrière, ouvriers et employés, constitue la grande majorité de la population. Même en Russie et en Ukraine, grands pays agricoles, la part des agriculteurs est inférieure à 6%. En Israël comme dans les pays occidentaux elle est inférieure à 1%, Kibboutz compris. Même si de nombreux palestiniens sont au chômage forcé se sont en grande majorité des prolétaires.   

En Ukraine il est clair que bien que les oligarques soient au pouvoir, bien qu’ils aient fait passer des lois antisociales au prétexte de l’état de guerre, bien que la résistance armée ait besoin de l’aide militaire occidentale,  les travailleurs participent à la résistance à l’agression russe et ceci, sauf méconnaissance de notre part, à travers toutes leurs organisations, en particulier syndicales. L’agression de Poutine a, autant que Lénine finalement, consolidé le sentiment national ukrainien au point que les ukrainiens russophones, 20% de la population, s’y sont ralliés. C’est même l’un d’entre eux, le président Volodymyr Zelensky qui dirige la lutte. La constitution d’une Ukraine indépendante est un ultime soubresaut de l’éclatement de l’empire Grand Russe, reste de la période féodale. Le but de la résistance ukrainienne est l’indépendance du pays dans le respect du droit international. Y compris la Crimée et le Donbass russophones qui ont voté eux-mêmes le 1er Décembre 1991, sous le gouvernement de l’URSS de l’époque, pour l’indépendance de l’Ukraine[1]. Ce qui explique que les envahisseurs russes aient été surpris par le manque de soutien à leur « opération spéciale », au point d’être rapidement contraints d’abandonner la fiction des « républiques autonomes » des oblasts occupés, et d’être obligés, faute de ressources humaines locales, d’intégrer directement les territoires occupés dans la « Grande Russie » et de nommer des administrateurs russes.

En Russie les travailleurs  sont divisés : une minorité entrainée par la propagande nationaliste et religieuse approuve l’agression, une autre minorité comme ceux qui fuient la mobilisation contrainte, s’oppose à la guerre. La majorité est apathique. Comme trop souvent dans les pays colonisateurs cette majorité de travailleurs profitant (un peu) des menées coloniales tente de vivre sa vie en fermant les yeux sur les exactions commises par ses dirigeants. L’unité recherchée des travailleurs russes et ukrainiens ne peut se faire dans ces conditions que sur la base des positions des travailleurs ukrainiens.

Au sein du peuple palestinien, toutes les forces sociales et en particulier les travailleurs soutiennent  la résistance à l’occupation. Occupation qui relève également de politiques coloniales du siècle passé. Le but de la résistance palestinienne est d’obtenir un état indépendant, peut être  multinational, permettant le retour de millions d’exilés et constituant avec la diaspora une nation de 15 millions de personnes.

En Israël : Même si c’était pour de mauvaises raisons en 1948, même si elle a été suscitée par l’antisémitisme des sociétés de l’Europe centrale, même si elle a été ensuite portée par l’impérialisme occidental, la société israélienne est aujourd’hui une réalité composée de 10 millions de personnes dont une majorité  là aussi sont des travailleurs. Les travailleurs israéliens comme les travailleurs russes  sont divisés. Une minorité adhère aux discours nationalistes et religieux qui anime les visées colonialistes. Une majorité, à la fois bénéficie du statut colonial, et en même temps mène une lutte de classe contre les représentants du capital israélien. Ils nous rappelle les travailleurs français originaires de métropole en Algérie. Les « pieds noirs » pouvaient se vouloir « de gauche » tout en menant une existence de colons. Une minorité enfin soutient la lutte du peuple palestinien, comme le parti communiste israélien qui indique dans un communiqué du 7 octobre 2023 : «  Une seule solution : s’efforcer de mettre fin à l’occupation et reconnaitre les droits légitimes du peuple palestinien et ses revendications justifiées »[2].

Une propagande colonialiste inepte : Notons que ce n’est pas parce que l’existence de la société israélienne est due à l’impérialisme qu’elle ne devrait pas être prise en compte aujourd’hui. C’est le capitalisme mondialisé qui façonne le monde , c’est lui aussi qui, par exemple, crée des contingents d’immigrés dans tous les pays. Les luttes surgissent des situations telles qu’elles sont créées par ce capitalisme mondialisé. Nombre de luttes des travailleurs israéliens aussi sont légitimes.

Ce n’est pas non plus parce qu’Israël n’existait pas il y a 75 ans qu’on peut nier son existence. Cet argument rappelle l’argument le plus inepte de la propagande colonialiste russe comme quoi « l’Ukraine ne doit pas exister car elle n’a jamais existé » ! Bien entendu concernant l’Ukraine c’est d’autant plus faux que Poutine lui-même fait remonter sa création au moins à Lénine il y a plus d’un siècle ! Mais surtout qui interdirait aux humains de constituer les communautés nouvelles de leur choix ? à la date qui leur convient? Au nom de quoi ? de quelle légitimité ?

La gauche doit soutenir les résistances ukrainienne et palestinienne,

Les deux résistances, palestinienne et ukrainienne, ont une base sociale large où la composante ouvrière est majoritaire et unie même si elle  n’a pas la direction de la lutte. Les travailleurs des pays colonisateurs, Russie et Israël sont divisés. Le principe directeur d’une politique de gauche c’est l’unité des travailleurs. Il faut donc soutenir les travailleurs des pays qui luttent contre les occupants en tentant d’y rallier les travailleurs des pays colonisateurs comme le fait le PC Israélien. Et cela même si, puisqu’elles sont des luttes de libération nationale, ces luttes sont une alliance de classes, donc avec des intérêts divers et contradictoires. Elles portent les scories du passé, elles charrient les conceptions des classes bourgeoises ou mêmes féodales telles que les influences religieuses par exemple.

Mais qu’à leur tête à un moment donné il y ait telle ou telle organisation, telle ou telle personne est secondaire. Ce sont les masses qui font l’histoire. Les résistances, les luttes de libération nationales, les révolutions, lorsqu’elles mettent en branle des forces sociales opprimées importantes ont leur développement propre. La révolution française commence par être dirigée par les nobles La Fayette et Mirabeau, avant de l’être par Robespierre et Saint Just. La révolution russe est d’abord dirigée par le bourgeois Kerenski avant de l’être par Lénine.          

Le soutien à la cause palestinienne n’oblige pas plus à approuver le Hamas, que le soutien à la résistance ukrainienne n’oblige à approuver l’Otan. Les deux luttes doivent être soutenues sans réticences avec force et conviction par la gauche et l’ensemble des travailleurs dans le monde car elles font partie de l’émancipation des peuples. L’émancipation des peuples en luttant contre les impérialismes est une composante du mouvement général d’émancipation de l’humanité. Y compris lorsque les bourgeoisies nationales participent à ces luttes. Ce qui n’empêche pas, qu’ailleurs, par exemple en France ,pays toujours impérialiste, les luttes ont un autre horizon : celui du dépassement du capitalisme.  

[1] Résultats du référendum du 1er Décembre 1991 en Ukraine: taux de participation 84%, pour l’indépendance 92%, Crimée 54% (Sébastopol 57%), Donbass 84%.

[2] Tract distribué à la manifestation pour la Palestine du 22 Octobre 2023 place de la République à Paris.

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