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Communiste sans parti. Auteur de: "Etrangers, immigrés, bienvenue! vous aussi êtes ici chez vous", "L'Irruption des prolétaires", "Gilets Jaunes une lutte ouvrière décapante", "Réinventer le communisme"

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Billet de blog 26 juin 2024

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Raison garder

La crise du capitalisme c’est ça : Le risque du RN au pouvoir, la crise politique en France, l’impression de chaos à l’international avec les guerres d’Ukraine et de Gaza, l’insurrection en Kanaky, l’élection en vue de Donald Trump, la préparation d’un conflit avec la Chine… Et la crise du capitalisme ça fait mal. D’autant plus qu’elle est loin d’être terminée, et est lourde d’autres drames.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il aurait été naïf de penser que cette crise du capitalisme amènerait benoitement avec elle sa solution : une soirée électorale victorieuse de la gauche. Même si la gauche mal unie, sans leader, était en tête le soir du 7 juillet, elle ferait face à 2/3 de droites qui sont unies, par exemple pour voter la loi anti-immigration. Et ceci dans un contexte européen où droites, extrêmes ou non, ont progressé presque beaucoup de pays aux élections du 7 juin.

La « victoire » de la gauche

Avec son programme détaillé et chiffré , dont l’excellent article de Romaric Godin a montré l’inanité, voir Il-est-urgent-de-sortir-du-chantage-aux-chiffrages-realistes-des-programmes, la gauche dans les circonstances actuelles s’apprêtait à répéter les déceptions du passé : passage du gouvernement Mauroy 1 au tournant de la rigueur du gouvernement Mauroy 2 en 1983, passage de relai du Hollande fustigeant la finance à son ministre Macron devenu le président des riches en 2017… Macron a raison sur un point : s’attaquer aux milliardaires fait fuir les investisseurs. Et bien sûr le «  ruissellement » s’est révélé aller plus vers le haut que vers le bas. Mais à partir du moment où le programme de la gauche prétend s’appliquer à l’intérieur des structures capitalistes, dans le contexte d’organisation du mode de production actuel, en particulier financier, il ne peut que susciter des déceptions. La fuite des capitaux n’est que la première étape d’une offensive du capital. Il est capable de bien pire, comme de maintenir un blocus de plus de 60 ans sur Cuba par exemple.

Raison garder

Les perspectives à court terme ne sont pas roses. Mais sans même parler de l’offensive poujadiste des années 50, bien plus proche du fascisme que l’offensive actuelle de l’extrême droite, sans parler du putsch des généraux de 1961 et les 9 morts du PCF de Charonne en 1962, on a oublié à quel point De Gaulle aussi était réactionnaire ! À quel point les élections de 68 par exemple nous ont accablé ! Les organisations d’extrême gauche étaient interdites, Krivine et bien d’autres étaient en prison, des militants maoïstes assassinés, Gilles Tautin à l’usine Renault de Flins, Pierre Overney à Renault Billancourt, la télévision muselée, les partisans de « l’Algérie française »  tonitruants, l’appareil d’état officiel s’appuyait sur des milices proches du grand banditisme, comme celles du SAC dirigée par le ministre Charles Pasqua, les patrons avaient leurs syndicats maison comme la CFT dans les usines Citroën qui assassinaient des syndicalistes etc.

L’heure est grave, mais il y en a eu d’autres, et la politique que mettrait en place l’extrême droite ne serait pas très différente de ce que la droite serait amenée à faire. La porosité de Macron avec l’extrême droite et leur capacité à voter ensemble la loi anti-immigration l’ont prouvé, comme l’a prouvé la dureté de la répression macroniste contre les Gilets Jaunes[1].  Rejouer les luttes du passé, crier au fascisme, obscurcit l’analyse, et empêche d’évaluer la situation nouvelle avec sang-froid. Le passé est utile pour éclairer un point d’histoire, mais absolument pas pour prétendre répéter une situation à l’identique. Comme l’indiquait Marx, s’il arrive que l’histoire se répète, la 2ème fois c’est en farce.

L’extrême droite d’aujourd’hui n’a pas d’idéologie forte

La « dédiabolisation », la mise à l’écart de JM Le Pen et de ses amis, la renonciation a des revendications comme le Frexit, le retrait de l’Euro, etc. ont édulcoré le programme du RN. Il est devenu un parti protestataire, anti-Macron, avec une base hétéroclite d’électeurs diversement motivés. Le contraste est grand avec les ligues fascistes du passé qui s’en prenaient ouvertement à la démocratie et aux juifs sur une base raciste, en promouvant les « races supérieures » etc. Aujourd’hui l’extrême droite n’attaque pas frontalement la démocratie. Selon des études le rejet des élites l’emporte même sur le rejet des immigrés parmi les électeurs du RN. L’extrême droite cache des fascistes certes, mais qu’elle soit obligée de masquer ses discours racistes et de haine pour mobiliser change tout.  Que ses thèses restent en bonne partie cachées empêche l’adhésion profonde de ses électeurs à ses idées. Sinon dans la police et l’armée, cette extrême droite n’a pas de relais organisés dans la société. Elle ne contrôle aucun syndicat ouvrier. Lorsque Jordan Bardella présente sa liste de candidats aux européennes « Ils sont hauts fonctionnaires, préfets, chefs d’entreprise, commissaires de police, magistrats, élus locaux, soignants, agriculteurs, fonctionnaires. » aucun ouvrier, aucun employé, qui constituent pourtant 70% des actifs en France.  L’argument le plus répandu pour voter RN, « le seul qu’on n’a pas encore essayé » ne témoigne pas d’une adhésion fanatique !  Non seulement ils n’ont pas les SS, mais ils n’ont même pas les SA qui donnaient une coloration sociale à la mobilisation nazie. Basée sur le nationalisme et la haine de l’étranger, cette extrême droite n’a aucun réel appui à l’international. Que des adversaires. Contrairement au fascisme historique qui bénéficiait de l’appui des pays de l’axe fondée sur une idéologie commune forte.  Voir aussi le billet Le Nouveau Front Populaire n’est pas (encore ?) l’union du peuple.

La poussée de l’extrême droite est une manifestation de la crise capitaliste. Elle indique une désaffection des classes moyennes et populaires pour les « partis de gouvernement », droite et sociaux-démocrates, qui ont accompagné la mondialisation capitaliste mais qui dernièrement ont mené à la désagrégation des conditions de vie, pouvoir d’achat, services publics dégradés etc. Si elle risque d’être douloureuse, l’adhésion d’une fraction des classes populaires à l’extrême droite est en même temps l’expression d’un pas de désengagement vis-à-vis du modèle capitaliste. Ce dont témoigne depuis un moment déjà le fait que l'abstention est le "premier parti" des ouvriers et des employés. Ce désengagement à l'égard des partis qui gèrent le capitalisme est l'indication que commence à se chercher une alternative au système.

Car cette crise capitaliste continuera à s’approfondir (la dette…)  avec son lot de drames qui prendront la forme de répressions, de conflits politiques et militaires, crises climatiques, financières, économiques, culturelles etc. mais dans cet approfondissement de la crise il y a aussi des raisons d’espérer.

Raisons d’espérer,

L’Extrême droite fait face à une contradiction fondamentale : elle prétend fermer les frontières, se passer des travailleurs étrangers, alors même que la richesse de nos sociétés est justement basée sur l’exploitation du travail des étrangers, chez eux et ici, et ne peut donc s’en passer. Ce qui nous parait être le chaos du monde est en fait que le monde cesse justement un peu d’être inégal. Avec l’émancipation progressive de tous les pays, le monde se réorganise et devient moins instable. Grande étape d’émancipation des peuples, la victoire contre l’impérialisme nazi allemand a été acquise au prix de sacrifices immenses, en particulier des peuples de l’union soviétique, russe, ukrainien, kazakh etc.  Ensuite les guerres coloniales multiples, d’Indochine à l’Algérie en passant par l’Afghanistan et l’Irak, ont été elles aussi très douloureuses mais ont libéré les peuples des colonies. Aujourd’hui la résistance ukrainienne met fin aux prétentions à la reconstitution de l’empire grand russe, la résistance palestinienne aux visées colonisatrices américano israéliennes. Ces guerres en cours sont aussi lourdes de sacrifices, mais la Russie comme les États-Unis et Israël ont été isolés à l’ONU, reflétant la montée des pays du Sud.  Les Bric’s se renforcent et attirent de plus en plus de pays. Or les pays du Sud aujourd’hui, même s’ils sont dirigés par des bourgeoisies, sont essentiellement des pays de prolétaires[2]. En France l’unité des prolétaires des banlieues et de la ruralité aura l’appui des pays du Sud si un programme de convergence des conditions de vie entre le Nord et le Sud est proposé, seule solution pour éviter les migrations non voulues. Les travailleurs immigrés[3] sont le trait d’union de cette convergence.

Dans un monde qui parait chaotique, un horizon qui apparait bouché, le travail essentiel à faire n’est pas un programme de mesures détaillées et chiffrées qui serait porté au pouvoir par une gauche divisée, sans leader, représentant 20% des inscrits. Programme supposé être mis en œuvre à l’intérieur d’un système capitaliste faussement considéré comme stable. Si ce programme avait quelque chance de s’amorcer, il apporterait finalement de nouvelles déceptions car il n’intègre pas l’approfondissement inéluctable de la crise.

L’Alternative :

D’un autre coté une révolution sociale n’est pas à l’ordre du jour en France. La tâche est plutôt de proposer des perspectives de sortie pour les situations difficiles à venir. Alors la révolution sociale paraitra le barrage le plus réaliste à « la guerre civile » pronostiquée de manière irresponsable par le président Macron. Définir ce programme de révolution sociale est la tache prioritaire.  Par définition une alternative au capitalisme c’est le communisme. Encore vaut-il mieux définir à l’avance ce communisme inéluctable. Comme le passage du féodalisme au capitalisme il se fait sur plusieurs siècles mais il devient urgent. Sa caractéristique première est la convergence avec les pays du Sud, que la gauche a éludé jusqu’ici, par exemple en ne menant pas une lutte conséquente suffisante contre le RN sur l’immigration. Ensuite, outre la mise en commun des moyens de production, préserver certains des acquis démocratiques apportés par le capitalisme, l’état de droit, le respect des libertés individuelles, de genre, etc. Il faut entreprendre la lutte des idées qui n’a pas été suffisamment menée : sur l’immigration, sur la convergence nécessaire avec le Sud, les caractéristiques actuelles de la classe ouvrière et sa place, la démocratie, l’écologie, la critique des religions, pourquoi le soutien aux deux résistances ukrainienne et palestinienne est partie intégrante d’une politique de gauche[4] etc. Il faut faire le bilan objectif des tentatives communistes passées, tirer les leçons des erreurs, les dégager du dénigrement et des déformations des adversaires[5].

Avoir comme axe la convergence avec le Sud c’est amorcer un axe de lutte à l’exact opposé de la stratégie à l’israélienne dont le programme du RN est un premier pas : forteresse blanche assiégée, militarisation, massacre des gens du Sud… Stratégie qui mène non seulement à plus de drames, mais à une impasse comme la situation d’Israël en témoigne.

Il faut raison garder à la fois pour mesurer le danger exact que représente l’extrême droite et ne pas s’enferrer dans les schémas du passé, et raison garder aussi pour recadrer une ligne politique réaliste de gauche : constituer la nouvelle base idéologique des travailleurs, contribuer ainsi à leur unité. Voter à gauche le 30 juin et le 7 juillet en fait partie. En se rappelant l’enseignement de l’article de Romaric Godin cité plus haut : « le RN veut faire payer les étrangers, le macronisme le monde du travail, et le NFP le capital ».

[1] Voir Jacques Lancier : « Les gilets jaunes une lutte ouvrière décapante » dans « Gilets Jaunes, Jacquerie ou révolution » Éditions Le temps des Cerises 2019.

[2] Jacques Lancier « L’irruption des prolétaires » Éditions Manifeste ! 2021.

[3] Jacques Lancier « Étrangers, immigrés bienvenue ! Vous aussi êtes ici chez vous » L’Harmattan 2023.

[4] Jacques Lancier « La réorganisation du monde, les effets des résistances ukrainienne et palestinienne » à paraitre 2024.

[5] Jacques Lancier « Réinventer le communisme, démocratique, écologique, européen, internationaliste », Amazon 2018.

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