Mercredi 2 février, j’ai participé à une action de blocage sur un chantier lié aux Jeux-Olympiques à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) : pendant trois heures, une trentaine de personnes ont occupé le site de construction d’une piscine d’entraînement olympique et empêché le fonctionnement d’une centrale à béton. Des banderoles ont été suspendues aux grilles et des personnes se sont accrochées à la bétonnière afin d’en empêcher le démarrage. Aucune dégradation n’a été commise. L’action était non violente.
Cette manifestation avait pour but de dénoncer la destruction de 4000 m2 de jardins ouvriers, sur l’emprise desquelles un solarium doit être construit pour les futur·e·s clien·te·s de la piscine, en 2024. Ces parcelles maraîchères ont été expulsées de leurs jardinier·e·s en septembre 2021, puis arasées (arbres arrachés, terre végétale excavée). A leur ancien emplacement, des foreuses creusent aujourd’hui des trous pour y couler la terre et le béton qui soutiendront les fondations de la piscine.
En tant qu’habitante d’Aubervilliers depuis 15 ans, et personne convaincue de la nécessité de préserver les terres nourricières et les écosystèmes pour agir contre les dérèglements du climat, je pense que la destruction de ces jardins est une grave erreur. J’ai découvert le projet de piscine et la menace qu’il faisait peser sur ces terres cultivées en 2020, à la sortie du premier confinement. Je me suis à ce titre rendue à quelques réunions du collectif de défense des jardins des vertus qui venait de se créer. Puis début 2021, j’ai enquêté sur l’histoire de cette piscine et ses enjeux économiques.
Ce premier travail m’a conduit à un deuxième article sur la stratégie de communication de Grand Paris Aménagement concernant l’opposition au projet de piscine. Et un troisième sur le choix d’une délégation de service public pour la future piscine olympique d’Aubervilliers.
En septembre, j’ai écrit un parti pris sur le sujet quand la justice a suspendu - temporairement - le permis de construire de l’équipement, alors que l’État faisait évacuer les jardins. En toute transparence, et en accord avec notre charte de déontologie, j'ai indiqué en boîte noire avoir déjà assisté, comme habitante d'Aubervilliers, à des mobilisations contre ce projet.
Ensuite, je me suis personnellement impliquée dans l’activité du collectif de défense des jardins ouvriers des vertus. Dès lors, conformément à nos règles déontologiques internes, je me suis déportée de ce sujet précis. Et j’ai donc cessé de publier des articles dans Mediapart au sujet des jardins, de la piscine et de sa contestation. Continuant à travailler sur les aménagements des JO de 2024, et à leurs enjeux en Seine-Saint-Denis, j’ai publié un parti pris en octobre interrogeant l’utilité de l’argent labellisé « JO » pour les habitant·e·s du 93, où j'ai seulement fait mention des jardins d’Aubervilliers.
Lors de l’action du 2 février sur le chantier de la future piscine, j’ai joué le rôle de contact avec les ouvriers du chantier ainsi qu’avec la police. Quand les premiers policiers sont entrés sur le chantier, je me suis présentée et leur ai expliqué l’action en cours, son objectif ainsi que le souhait des manifestant·e·s de rester le plus longtemps possible sur place. Ils ont procédé au constat des faits. Puis sont arrivés de nouveaux policiers, et le commissaire d’Aubervilliers, auprès de qui j’ai procédé aux mêmes explications. Ce rôle de contact et de lien avec eux les a conduit à penser que j’étais l’organisatrice de l’action. A la fin de l’évacuation du chantier par les forces de l’ordre, vers 9h du matin, j’ai été interpelée et placée en garde à vue pour le motif d'« organisation d’une manifestation non déclarée ». Fait que je ne reconnais pas avoir commis.
Je suis journaliste à Mediapart depuis son lancement en 2008. J’y couvre l’écologie depuis 2009, et la conférence sur le climat de Copenhague. Ce travail d’enquêtes, de reportages et d’entretiens m’a permis de comprendre la gravité des dérèglements climatiques en cours. La destruction des écosystèmes, la disparition de centaines de milliers d’espèces, et la pollution généralisée ont des impacts souvent irréversibles sur nos milieux de vie.
Pourtant, ce constat ne se traduit pas dans les politiques des États, ni dans le comportement des acteurs économiques. Face à cette dissonance cognitive aux conséquences dramatiques, il me semble, à titre personnel, qu’écrire pour alerter ne suffit pas, et que dans la tradition du mouvement des droits civiques, des mobilisations contre l’apartheid ou encore contre les ravages occasionnés par les marées noires, la désobéissance civile est nécessaire.
L’histoire est longue de l’engagement des journalistes dans les combats de leur époque : pour l’abolition de l’esclavage (Ida B. Wells), pour l’égalité entre les hommes et les femmes, pour l’accès aux soins des malades du Sida. Le combat contre le changement climatique est une cause aussi importante et vitale pour l’humanité. C’est dans cet héritage politique et intellectuel que je me situe, à ma modeste mesure, en ayant toujours à cœur de faire la part des choses entre d’un côté mes articles de journaliste, rigoureux et vérifiés, et de l’autre, mes engagements militants.