Vous souvenez-vous de la conférence de Copenhague sur le climat ? C'était il y a un mois, mais c'est déjà une autre époque : celle qui croyait au multilatéralisme onusien, à un accord historique de l'importance du traité de Rio, à la montée en puissance de l'écologie face à la « brown economy ».
Autant de valeurs de « Hopenague » aujourd'hui déconfites. Si bien qu'en cette rentrée 2010 morose, et alors qu'en France, des acteurs associatifs se demandent si le Grenelle de l'environnement ne vit pas une fin de cycle, la question du moment n'est plus « comment en est-on arrivé là ? » mais « comment a-t-on pu y croire à ce point ?»
Un documentaire, Copenhague, chronique d'un accord inachevé (ce soir sur Canal plus à 20h45) sur les négociations du climat, apporte un éclairage intéressant pour commencer à répondre à cette question. Suivant les pas de Laurence Tubiana, fondatrice de l'Iddri, directrice des biens publics mondiaux auprès du ministère des affaires étrangères, et pilier de la délégation française, le film raconte six mois de discussions au sein de la convention de l'Onu sur le climat : Bonn, Bangkok, Copenhague. Des extraits de séances internationales de discussions, des interviews de Rajendra Pachauri, le président du Giec, de Nicolas Stern, auteur du rapport historique sur le coût de l'inaction contre le changement climatique, de Michael Zammit Cutajar, le président de l'un des principaux groupes de travail multilatéral de la négociation.
En rappelant les principaux faits marquants de 2009 (refus des Etats-Unis de signer le protocole de Kyoto, avancée chinoise, isolement progressif de l'Union européenne), le film dresse le tableau du contexte dans lequel s'est déroulée la COP 15. Et là une évidence éclate au grand jour : c'était perdu d'avance ! Tout au long de l'année 2009, les signes négatifs se sont multipliés. Les blocages n'ont cessé de se durcir. Et les difficultés s'intensifier. Pourquoi donc, malgré tout, aussi nombreux ont été les diplomates, les experts, les politiques, les militants, les journalistes à croire qu'un accord historique (c'est-à-dire juridiquement contraignant) était possible ? Alors même que les analyses des uns et des autres pointaient en temps réel l'immensité des problèmes à résoudre et que nul ne les a occultés?
J'y vois deux raisons principales :
1) la foi, malgré toutes les critiques, dans le discours des chefs d'Etat. Et la confiance en la puissance publique. Bien peu imaginaient en fait qu'autant de dirigeants politiques se déplaceraient à Copenhague pour ne rien ou presque y proposer. L'afflux de chefs d'Etat, avec son parfum de sommet historique et d'évènement planétaire a créée une bulle d'illusion, un leurre. Mais cette erreur d'appréciation n'est pas seulement liée à l'ampleur et à la force du story telling déployé par les Etats. Si tant de personnes y ont cru, c'est aussi parce qu'elles continuent d'accorder un grand crédit et d'attendre beaucoup de leurs Etats. Cette conviction démocratique est malmenée à l'heure des pouvoirs post-modernes, ainsi décrits par Paul Krugman, le prix Nobel d'économie pour décrire des pouvoirs qui ne disent pas ce qu'ils font et ne font pas ce qu'ils disent.
Il y a quelques années, la phrase d'un conseiller de la Maison Blanche avait fait le tour de la planète : « Nous sommes un empire aujourd'hui, quand nous agissons, nous fabriquons la réalité. Pendant que vous étudiez la réalité, nous continuons d'agir et d'en inventer de nouvelles ».
Que faut-il attendre des Etats à l'heure où ils façonnent la réalité à l'image de leurs désirs et de leurs fantasmes ? La question hantait les esprits à Copenhague alors qu'avant même la fin de la négociation, des présidents d'Etat démocratiques osaient proclamer la signature d'un accord qui n'existait pas encore ! Ce qu'a fait sans broncher Barack Obama, précédé par Nicolas Sarkozy, qui lui, se mit même à décrire à des journalistes un texte fictif, différent de celui que s'apprêtaient à accepter les Etats. Comme un héritage lancinant et destructeur des années Bush.
2) Le refus, envers et contre tout, du cynisme. C'est Laurence Tubiana qui le dit avec force et beaucoup d'émotion à la fin du film : « est-ce que ça vaut la peine de ne pas être cynique si tu sais que les cyniques gagnent toujours ? ». C'est contre la raison d'Etat, le clientélisme, l'égoïsme national que s'est construite la négociation internationale. Mais sa force performative est limitée. Son optimisme, son idéalisme et sa rigueur intellectuelle ont échoppé sur le « business as usual ». Fallait-il donc perdre ce temps et cette énergie là ? Non, diront les utilitaristes et les pessimistes. Sauf que l'on peut aussi se demander : que ce serait-il passé s'il n'avait pas existé cette foi et cette croyance en l'accord? Le camp des optimistes a exercé une pression, tracé des lignes rouges et empêché un échec plus retentissant, une catastrophe plus grande encore.
Ce n'est donc peut-être pas que pour de mauvaises raisons que le monde du climat s'est bercé d'illusions sur Copenhague. Problème : cette justesse morale et cette exigence démocratique sont, seules, bien insuffisantes pour sauver le climat.