«La seule planète vraiment étrangère, c'est la Terre». Risqué sans doute de lancer un blog sous le signe de J.G Ballard, parce qu'après, faut tenir la route...
Je m'y aventure tout de même parce que je ne résiste pas au plaisir de citer cet aphorisme (découvert à l'occasion d'une exposition au CCCB de Barcelone cet été : Autopsie du nouveau millénaire).
Et surtout parce que, en ces temps de prise de conscience collective, à vitesse accélérée, de l'existence d'une crise écologique, la lecture de Ballard est une expérience éclairante. Je veux plus précisément parler de sa veine d'anticipation écologique. Avant de se plonger dans le cœur conceptuel et littéraire de son œuvre (La foire aux atrocités, Crash...), le jeune Ballard a publié une série de livres de science fiction : La forêt de cristal, le monde englouti, Sécheresse, le vent de nulle part... inventant des mondes apocalyptiques, dévastés par les catastrophes naturelles. Un paysage du désastre, décrit avec une beauté stupéfiante. Dans Le vent de nulle part (1962), le monde développé disparaît petit à petit sous les coups de boutoir d'un vent monstrueux qui un jour tombe sur les continents et lentement arase la surface des villes. Grain de sable par grain de sable, le Tibet disparaît et se retrouve essaimé dans les rues des Londres. La statue de la liberté est amputée. Le ciel devient sombre, opacifié par tout ce que le vent emporte. Y compris les corps humains. Visions d'horreur.
Mais au-delà de leur effet de sidération, ces pages ouvrent une interrogation aussi angoissante qu'inéluctable : une fois la catastrophe produite, que faire de sa propre survie ? C'est que le génie narratif de Ballard est de ne jamais arrêter le monde : malgré les millions de morts, les destructions irréversibles, des hommes et des femmes continuent de vivre sous le régime du vent de nulle part. Ignorants ce qui va leur arriver, ils découvrent au fur et à mesure que le cataclysme se produit l'ampleur du désastre. Certains abandonnent vite et se tuent. D'autres s'accrochent à un optimisme insubmersible. D'autres encore mentent et manipulent.
C'est dire l'effet saisissant de réalité que ces pages produisent à la lecture, en 2008. Pas parce que les cyclones de cette fin d'été annoncent la fin du monde imminente. Mais parce que nombreux sont ceux qui aujourd'hui se retrouvent un peu dans la peau des personnages de Ballard : soudain conscients d'être à la porte de la catastrophe. Fonte du pôle nord, chaos météorologique, apparition des premiers réfugiés climatiques. La crise climatique s'incarne désormais, porte des noms et des visages. Qui s'en rend compte ? Veut y changer quelque chose ? Par quels moyens ?
Sommes-nous en train de vivre un changement de paradigme? Un changement de modèle social, politique, culturel précipité par l'accumulation de crises : climatique, énergétique, financière ? Qu'en pensent les théoriciens ? Les philosophes, les économistes ? Les militants et les chefs d'entreprises ? Comment se documente la crise écologique ? Des nouvelles idées s'inventent-elles pour un nouveau monde ? Le capitalisme se réinvente-t-il plus cynique en devenant tout vert ? Que reste-t-il de la pensée productiviste ? Et le consumérisme, survivra-t-il au Grenelle de l'environnement ? (euh... c'est pour rire).
C'est pour tenter de s'y retrouver un peu dans cet océan de questions, modeste contribution au milieu de mille autres initiatives, que se lance ce blog. Il s'intitule Thermolactyl pour accueillir ses lecteurs dans une atmosphère douillette et confortable. Comme un antidote aux éclats anxiogènes. En refus du catastrophisme écologique générés par la nouvelle insécurité environnementale.
Ce blog s'appuiera sur une technologie révolutionnaire : le livre. Parce qu'essais, enquêtes, pamphlets et fictions, à leur meilleur, aident à penser le monde. Parce qu'ils sont d'excellents points de départ de conversations. Thermolactyl tentera de veiller sur le champ des questions vertes, au sens large, c'est-à-dire en ce qu'elles touchent aussi l'économie, les questions sociales, la philosophie politique.
- «T'as lu le Marie-Monique Robin sur Monsanto ?»
- « Non, je termine Une mer sans poissons de Cury et Miserey».
- «Comment ça y a plus de poissons ? Et ceux qu'on a acheté hier au marché alors ?»
- «???»
Collage de J.G Ballard paru dans la revue Ambit (1968)
Des livres, ils s'en publient beaucoup qui ne sont pas débattus, passent inaperçus, échouent à faire polémique et disparaissent. Jamais rien de très grave. Mais beaucoup d'occasions ratées, d'idées délaissées, de discussions avortées. Alors qu'à leur lecture, il arrive d'avoir les idées plus claires. Ou au contraire, le jugement bousculé. D'en sortir suffisamment marqué pour avoir envie d'en parler. De refiler le tuyau à d'autres. Ou d'y trouver prétexte pour parler de toute autre chose. D'ainsi se tenir au chaud. Et en y réfléchissant ensemble, de garder la tête froide.