Un récent débat entre lecteurs de Mediapart - en réaction à l'article Historique ! La banquise du Pôle Nord est cernée d'eau libre- a soulevé de façon exemplaire l'une des plus intrigantes questions posées par la vulgarisation des enjeux climatiques. Celle de la perception par chacun, dans son quotidien, des menaces pesant sur l'écosystème. D'un côté, Pol et Oliv92 se désespèrent de l'écart entre l'accumulation de données scientifiques documentant la nécessité non négociable de réduire les émissions de gaz à effet de serre. De l'autre, Michel Zim leur répond que la beauté de la Terre lui donne confiance en l'avenir, et que le catastrophisme sonne à ses oreilles comme un catéchisme morbide et dominateur.
Dans son post, Pol rapporte une discussion tenue avec le climatologue Hervé Le Treut il y a quelques années : «J'ai personnellement rencontré Le Treut. Je lui ai demandé il y a quelques années, si la catastrophe en cours allait faire prendre conscience aux citoyens. il m'a répondu: qu'est-ce que vous appelez une catastrophe? Un phénomène comme le SIDA qui touche 40 millions de personnes? J'ai dit oui. Il m'a demandé, est-ce que vous croyez que le nombre de personnes touchées mobilisent vraiment? J'ai répondu non! Je lui ai demandé, est-ce que le dérèglement climatique aura des conséquences plus grave que le SIDA; Il m'a répondu évidemment oui, beaucoup beaucoup plus grave. Le problème c'est que la vie humaine est courte et que le dérèglement climatique se joue sur une échelle bien plus grande, cela a commencé en même temps que la révolution industrielle. L'accélération de ce dérèglement existe depuis peu».
L'échelle de temps du changement climatique et sa mobilité géographique le rendent-ils invisible ? Sommes-nous comme ce personnage de la photo truquée du 11 septembre, mettant en scène un faux touriste se faisant photographier du haut des Twin towers sans voir qu'un avion s'apprête à éventrer la tour en haut de laquelle il se tient ? Alors que le négationnisme est un comportement bien identifié et combattu par les historiens, faut-il s'inquiéter de la propension de nos contemporains à plonger dans le déni climatique ? Car de déclarations à l'emporte-pièce de Claude Allègre aux déclarations tonitruantes de la candidate républicaine à la vice-présidence Sarah Palin, il y a comme un écran de verre qui s'épaissit entre d'un côté savants et militants tenaillés par l'urgence d'une réduction de la pollution, et de l'autre, un grand public un peu trop long à la détente.
Cela m'amène à la publication que je voulais signaler à votre attention : un long article (intitulé «en eau de boudin ?») paru dans le quotidien espagnol El Pais (du vendredi 12 septembre) s'alarmant du désert politique qui accompagne la fermeture de la grande exposition de l'eau à Saragosse. Visite précipitée du secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon, refus de sa part de faire lire les recommandations des Ongs et chercheurs de l'expo en ouverture de la nouvelle session de l'Onu, indifférence générale de la classe politique. Et comble de l'ironie de l'histoire : cette interminable queue de visiteurs devant les distributeurs d'eau en bouteille... Comme un «mauvais présage» souligne le journal, qui se demande : «quand les citoyens de notre pays voient arriver des Africains sur des barques, ne devraient-ils pas se dire que ces gens viennent chez nous parce qu'ils n'ont pas accès à l'eau potable ?».
C'est là que le déni écologique prend tout son sens égoïste, europeo-centré, et irrationnel : car quoi de plus apte, en toute logique, à alerter les esprits que la recrudescence de ces voyages de migrants au péril de leur vie ? D'autres maux que le manque d'eau peuvent, à l'évidence, les chasser de leur pays d'origine. Mais qui pense à faire le rapport entre pénurie d'eau et migrations contraintes ? Selon el Pais, plus d'1,1milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'eau potable. Chaque jour, entre 10 000 et 20 000 personnes meurent de diarrhées, causées par la déshydratation. Chaque année, ce ne sont pas moins de 40 milliards d'heures qui sont passées à aller chercher de l'eau par tous ceux dont la demeure est sans eau. La plupart du temps, ce sont des enfants, parfois très jeunes, et des femmes qui sont chargées de cette tâche.
Le réchauffement climatique va mécaniquement accentuer sécheresses, affaiblissement des cours d'eau et pénurie aquatique. Pendant ce temps, réunis en convention pour désigner leurs candidats à l'élection présidentielle, les républicains américains chantent à tue tête : «drill, baby drill» (fore bébé, fore !).