La conférence de Paris sur le climat, en décembre 2015, ne se prépare pas que dans les couloirs du ministère des affaires étrangères, les salons dorés de l’Assemblée nationale et les hangars du parc des expositions du Bourget. Elle se travaille aussi dans les grandes industries de l’énergie qui nettoient et polissent leur image en amont, afin d’apparaître propres, écologiques, conscientes de leur environnement, et de jouer au mieux leur rôle d’acteurs climatiques. Démarre une grande séquence de « carbon washing » dont on n’a pas fini d’apprécier les éclats.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’opération de communication entreprise par EDF le 16 juin dernier. Deux jours avant la présentation de l’avant-projet de loi sur la transition énergétique par Ségolène Royal, l’électricien diffuse un communiqué triomphant : « Empreinte carbone : EDF divise par 2 ses émissions de CO2 en France ».
On peut y lire que « dans sa lutte contre le changement climatique, EDF franchit une étape majeure dans la maîtrise de son empreinte carbone, en divisant par 2 ses émissions de CO2 en France à horizon 2016 (par rapport à 1990, ndlr). Il s'agit au total d'une réduction de 12 millions de tonnes de CO2 entre 1990 et 2016, résultat d'une politique industrielle volontaire et constante d'EDF en France et du Groupe à l'international ». C’est clair, net, sans bavure. Et c’est formidable. Chaque kilowattheure (kWh) produit en France continentale (hors outre-mer donc, où le groupe ne fait pas tourner de centrales nucléaires), n’émet plus que 35 grammes de CO2 en 2013, contre presque le double vingt-trois ans plus tôt, avec 67 g/kWh. Chapeau.
Mais attendez, EDF, c’est bien ce grand groupe international présent dans le monde entier ou presque ? Et à l’étranger, il émet combien de CO2 son kilowattheure d’électricité ? Je consulte son rapport d’activité 2013, je tourne les pages de photos d’éoliennes, de barrages hydrauliques, les images du chantier de l’EPR, et je tombe sur les émissions directes de CO2 émises par le groupe dans le monde : 116,3 grammes par kWh. C’est plus de trois fois plus le chiffre hexagonal.
Et pour cause : à l’étranger, l’énergéticien produit une grande partie de son électricité en brûlant du charbon, du fioul et du gaz, c’est-à-dire des énergies fossiles très émettrices de dioxyde de carbone. Sur 140,4 GigaWatt de puissance installée au total en 2013, le « thermique fossile hors gaz » (notez bien que le mot « charbon » est banni du rapport d’activité d’EDF) en représente 17,1%, les cycles combinés gaz et la cogénération 9,7%. Ces proportions ne sont pas anecdotiques. EDF fait tourner des centrales à charbon en Chine notamment, avec une puissance totale installée de 4920 mégawatts (MW), soit l’équivalent de trois EPR : la centrale de Guangxi Laibin (720 MW, la moitié d’un EPR) ; les trois centrales charbon et anthracite de Shiheng I et II, Heze II et Liaocheng I, pour une puissance totale de 3 060 MW ; la centrale Datang Sanmenxia dans la province du Henan (2×600MW). Au Vietnam, EDF opère la centrale de Phu My 2-2.
Le résultat de toutes ces opérations fossiles, on le découvre en épluchant les toutes dernières pages du rapport d’activité. Total du charbon consommé en 2013 : 25 millions de tonnes (pardon, 25 314 Kt, comme indiqué dans un petit tableau de la p. 59), soit plus que l’année précédente (24 millions) et qu’en 2011 (21 millions). En réalité, le groupe EDF consomme de plus en plus de charbon dans le monde. Et il ne faut pas oublier le fioul lourd, (885 000 tonnes en 2013), ni le fioul domestique (329 000 tonnes). Les émissions totales de CO2 (y compris dans les installations non soumises au système des quotas) atteignent 80,6 millions de tonnes en 2013, soit plus qu’en 2012 (79 ,8 millions), et beaucoup plus qu’en 2011 (70,5). En réalité, le groupe EDF émet de plus en plus de CO2 dans le monde.
Le dioxyde de carbone n’est pas le seul gaz à effet de serre émis par la production d’électricité des installations d’EDF. Il y a aussi le méthane (CH4, 38 000 tonnes équivalent co2 en 2013), le protoxyde d’azote (N2O), dont les rejets augmentent entre 2011 et 2013, l’hexafluorure de soufre (SF6). Elles rejettent aussi des microparticules (PM10), les mêmes que celles du diesel automobile (2600 tonnes en 2013, soit beaucoup plus que l’année précédente).
Conclusion : par la magie d’un communiqué de presse circonscrit à la France hexagonale, EDF parvient à faire croire qu’il est un champion climatique, alors qu’en réalité, il n’a jamais autant pollué le climat. Bienvenue chez les rois de la com et de la pensée magique du CO2.