Le protocole de Kyoto repose-t-il sur une escroquerie intellectuelle ? Ce mega accord international, destiné à réduire les émissions de gaz à effets de serre et limiter les impacts sur la planète du changement climatique n'est-il qu'un vaste bluff? C'est la question posée par Aurélien Bernier, ancien d'Attac, président d'Inf'OGM dans son livre : Le climat otage de la finance. Ou comment le marché boursicote avec «les droits à polluer» (Mille et une nuits, août 2008, 163 p, 12 euros).
Pamphlet anti finances-carbone, son essai tente une analyse critique des différents mécanismes initiés par le protocole de Kyoto en 1997 pour endiguer le réchauffement climatique : «Mise en œuvre conjointe», «Mécanisme de développement propre», «Certificats d'économie d'énergie», marché du CO2...
Pour Aurélien Bernier, l'échec du protocole de Kyoto était inscrit dans ses gènes : le choix d'une régulation par le marché, au détriment de celui de la fiscalité ou de la contrainte législative et réglementaire, annonçait dès le départ l'insuffisance de la contrainte et l'injustice de la répartition des gains tirés des nouveaux marchés créés.
Il a le mérite de mettre franchement les pieds dans le plat. Mais son livre m'a déçu par sa faiblesse théorique. L'existence même d'un capitalisme vert, aussi cynique puisse-t-il parfois être par son alliance de consumérisme, de productivisme et d'injonction à l'abstinence, atteste de la compatibilité dans les faits de l'économie de marché et de la question environnementale. Il n'est pas inconcevable de faire de l'argent, et même beaucoup d'argent, avec une activité verte. La réussite du marché américain des émissions de dioxyde de soufre est un exemple historique intéressant à étudier.
Surtout, les alternatives prônées par Aurélien Bernier (fiscalité, intervention de l'Etat, conditionner les aides publiques, taxes aux frontières...) s'inscrivent dans le seul cadre de l'Etat-Nation. Ce n'est pas demain que l'on verra lever un impôt européen, et encore moins une contribution mondiale. Dans ces conditions, quelle serait une alternative crédible au protocole de Kyoto ? A moins d'en appeler au retour de l'impérialisme de certains Etats sur d'autres, nulle autorité publique ne sera reconnue par les Etats comme prévalant sur leurs façons de faire. Quel dispositif de régulation inventer alors, efficient au niveau mondial, acceptable par les acteurs et réaliste ? En d'autres termes, ne sommes-nous pas, compte tenu de la mondialisation et des rapports de force entre économies développées et en celles en plein boom, condamnés à en passer par le marché ? Et ne serait-il pas politiquement plus fructueux de travailler à de nouvelles formes d'organisations de ce marché (valeur de l'allocation de CO2 plus élevée, quantités allouées réduites...), et aux conditions de son efficience plutôt que d'imaginer d'hypothétiques dispositifs ?
J'ai donc appelé Aurélien Bernier pour en discuter avec lui. Il a bien voulu prendre le temps de cette conversation. Elle dure dix minutes (scindée en deux parties) :
Aurélien Bernier.
Sur la critique du protocole de Kyoto et pourquoi le marché échoue à réguler :
Sur le marché du dioxyde de soufre, le court termisme du libéralisme et la difficulté à en parler :
Pour mémoire, trois citations d'Aurélien Bernier extraites de notre échange, qui répondent à ma critique :
- «On essaie de nous faire croire qu'on peut créer des marchés de droits à polluer et que ça va fonctionner. Je crois que c'est une escroquerie intellectuelle et les débuts du marché carbone montrent bien que ça ne fonctionne pas. Que le prix de la tonne de carbone a atteint quasiment un niveau 0 parce qu'on a été très généreux en donnant des droits à polluer aux entreprises autant qu'elles en voulaient. Et que véritablement, le problème politique est : quelle est la volonté des Etats pour contraindre les entreprises à réellement baisser leurs émissions de gaz à effet de serre ? Aujourd'hui la réponse est extrêmement timide. Et on se base sur le laisser faire, la bonne volonté et un optimisme débordant qui produit des résultats absolument catastrophiques puisque entre 1997, quand on a finalisé le protocole de Kyoto, et 2007, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 35% au niveau mondial. Donc un échec complet au niveau mondial et au niveau du marché».
- «Aujourd'hui les pays occidentaux importent un volume considérable de gaz à effet de serre, qui sont produits dans les pays en développement mais pour des produits qui sont consommés dans les pays occidentaux. Donc cette part des émissions de gaz à effet de serre délocalisés est cachée. On l'estime aujourd'hui à 20% des émissions mondiales. Je crois que c'est vraiment la logique du commerce internationale qu'il faut remettre en cause. Et c'est certainement pas le marché qui va permettre de se poser les bonnes questions et permettre de réduire les émissions au niveau mondial.»
- «On est en train d'assister à une montée en puissance des fonds d'investissement qui se spécialisent dans l'achat et la vente de droits à polluer. Et dont l'objectif est de faire du profit avec ce type de produits, exactement comme ils font du profit sur le pétrole, sur les produits alimentaires, sur les crédits immobiliers...»
Enfin, voici un court extrait du livre où l'auteur lève le lièvre des conditions de réalisation des enquêtes du Bureau exécutif chargé d'étudier les projets des entreprises souhaitant se faire financer des activités au titre du mécanisme de développement propre :
« 2 juin 2007. Ce samedi-là, The Guardian met un énorme coup de pied dans la fourmilière en publiant des éléments d'un rapport du Bureau exécutif du MDP (mécanisme de développement propre, ndlr) rédigé par un conseiller technique du nom d'Axel Michaelowa. L'auteur y fait plusieurs constats tout à fait gênants. Premièrement, les données fournies par les entreprises lors du montage des dossiers MDP se révèlent dans bien des cas totalement fausses. On exagère volontiers le nombre de tonnes de CO2 économisées, on tente de faire valider des projets qui auraient de toute façon vu le jour...Deuxièmement, les cabinets d'audit sont généralement incompétents ou très complaisants. Après l'affaire Enron, dont les truandages financiers ont été largement couverts par l'auditeur Andersen Consulting, on aurait pu penser que le BEMDP aurait étroitement surveillé les pratiques des cabinets d'audit chargés de vérifier le montage des dossiers. Eh bien, non, au contraire, puisque M. Axel Michaelowa révèle des bourdes monumentales, comme notamment des copier/coller effectués d'un rapport à l'autre et mal corrigés. En dépit de ce laxisme, l'organisme onusien n'a pas refusé un seul projet jusqu'en juillet 2006 ! Si l'on considère le cas de l'Inde, on constate qu'un tiers des projets et 20% des crédits générés n'auraient tout simplement pas lieu d'être ».