L'ironie se trouve dans le fait qu'on n'a jamais entendu ce terme de séparatisme autant que depuis quelques mois et pourtant, on n'a jamais été aussi loin ne serait-ce que de l'émergence d'une volonté politique de régler ce problème majeur, voire essentiel. Cependant, les pourfendeurs autoproclamés du séparatisme squattent les plateaux et les rédactions depuis des mois mais ceux-ci se révèlent être plutôt ses défenseurs qu'autre chose. Alors de quoi parlent-ils lorsqu'ils emploient ce terme?
Nos "élites", les gens les plus riches, tentent depuis des années de se soustraire à la loi. L'épisode "Pandora" n'est qu'un épisode de plus dans la longue série des "papers" et autres "leaks". Série assez monotone et répétitive. Saison après saison, les protagonistes appartiennent toujours à la même classe sociale (ceux qui peuvent se payer un rôle dans cette production ne jouent pas dans celle sur le détournement de l'allocation de rentrée scolaire et l'achat des écrans plats) et l'intrigue est toujours la même (révélations spectaculaires - indignation médiatico-politique - puis rien ou pas grand chose).
Ces gens estiment que nos lois ne leur conviennent pas. Ils aimeraient que d'autres règles s'appliquent. Ainsi, on peut observer des phénomènes de séparatisme qu'on ne qualifie même plus comme tels tant ils sont devenus notre paysage quotidien. Des communes qui ne respectent pas la loi SRU sur les logements sociaux et préfèrent payer des amendes pour cela sont légion. Et si elles font ainsi, la volonté de leurs habitants concernant la préférence de l'entre-soi social n'y est certainement pas pour rien. Leur mépris, dégoût ou peur du pauvre les pousse à se mettre hors la loi et ils l'assument. Concernant le séparatisme scolaire nul besoin de recourir à l'illégalité puisque les écoles privées offrent un moyen légal pour ce faire à ceux qui en ont justement les moyens financiers. Sans parler de détournement de la carte scolaire par tout un tas de moyens plus ou moins onéreux.
C'est donc cette même "élite" qui souhaite ne plus contribuer aux finances publiques à la hauteur de leurs moyens mais à la hauteur de l'estime qu'ils portent à tout ce qui nous est commun, c'est à dire à la bassesse de pas grand chose. Nous en voyons donc régulièrement qui s'installent dans des pays étrangers. Certains discrètement mais de plus en plus de façon assumée. Se posant en victimes, ces millionnaires ou milliardaires aiment se peindre en persécutés, en torturés fiscaux, écrivant même des chansons sur leur liberté de penser indignement.
Si on en croit le Larousse, le séparatisme est une "attitude, tendance à sortir d'un ensemble national et à former une entité politique distincte de l'État d'origine". On peut affirmer donc qu'il s'agit ici d'un séparatisme réel. Un séparatisme de classe. Et ce séparatisme est d'autant plus dangereux que la classe qui le promeut est la classe dominante dans notre société. Elle a donc les moyens de se payer la quasi intégralité de l'espace médiatique pour fabriquer un consentement à leurs désirs.
Quelle est l'attitude de nos dirigeants face à ce phénomène? Nous pouvons distinguer deux attitudes parallèles, allant donc dans la même direction. Lorsqu'il s'agit de la délinquance, comme c'est le cas lors des révélations fracassantes telle celle des Pandora Papers, la clémence de la riposte, si toutefois nous pouvons la nommer ainsi, est proportionnelle à la virulence des condamnations de délinquants pauvres. Que cette dernière soit pure affabulation et calomnie comme par exemple la polémique sur les bénéficiaires de l'allocation de rentrée scolaire ne change rien à l'affaire. Gageons que cette histoire des écrans plats, prouvée comme fausse par toutes les enquêtes, permettra tout de même de réduire cette allocation ou encore de la transformer en bons d'achats pour pouvoir encore plus contrôler la vie des plus précaires en plus de pourrir leur quotidien. Ainsi, grâce à une pure invention, on en vient à réduire encore plus la liberté de toute une classe sociale, pour laquelle la liberté qu'on lui accorde est de plus en plus vue comme un privilège qui exige en retour des contreparties. Les plus pauvres vivent donc dans un régime de liberté de plus en plus conditionnelle et soumise à un traitement de culpabilisation permanente.
Qu'en est-il donc des "élites"? Lorsque ceux-ci sont pris, non pas la main dans le pot de confiture mais les pots dans la valise, on invente pour eux toutes sortes de règles nouvelles : loi d'amnistie, le "droit à l'erreur fiscale" etc. Mais aussi et surtout : on décide de changer les règles du jeu en baissant, voire en supprimant certains impôts. Adieu l'ISF, bonjour la flat-tax. Ils fraudent car ils estiment que la solidarité leur coûte trop cher? Et bien on ne leur demandera plus d'y participer et comme ça ils n'auront plus à se mettre hors la loi. Mais voilà, le toujours-moins, ça restera toujours trop.
Nos dirigeants estiment qu'on doit se ranger du côté de ces séparatistes car ils nous seraient essentiels. Qu'on devrait les protéger. Qu'ils seraient vulnérables face à la mondialisation. Qu'ils doivent rester compétitifs. Que notre société doit rester attractive pour ces gens. Ils oublient de préciser une chose simple : ce sont eux-mêmes qui nous ont poussé vers cette mondialisation dans le but d'augmenter leurs marchés et ainsi leurs profits alors que le reste de la population a depuis longtemps cessé d'en percevoir des bénéfices. Et je ne rentre même pas dans l'analyse des effets de cette politique néocoloniale sur les populations étrangères ayant subi les volontés de nos "investisseurs" de façon encore plus violente que nous. Ni dans les considérations sur les effets de cette politique mondialiste sur le climat, effets qui devraient s'avérer encore plus dévastateurs que tout le reste.
Ainsi on verra au cours de la campagne électorale qui vient tous ces candidats, éditorialistes, politistes ou encore analystes (certains comme M Zemmour cochent plusieurs cases) nous vanter les baisses d'impôts, de "charges" et accoleront sans honte l'adjectif "punitive" à la fiscalité.
Bien sûr, pour éviter qu'un trop grand nombre de gens voie l'absurdité ou plutôt le cynisme absolu de ce raisonnement où on accède aux requêtes des séparatistes en soumettant la société entière à leurs désirs avec des conséquences réelles désastreuses pour le reste de la population (ah, qu'il est loin le temps où on était tous inquiets du délabrement des hôpitaux publics! C'était il y a trop longtemps... en 2020) il est nécessaire de faire diversion. Les boucs émissaires ne manquent pas. Et ils sont toujours choisis parmi les plus pauvres et précaires. Aussi, on peut assister à trois semaines de débats quotidiens, sur toutes les chaînes, à propos de l'immoralité supposée des pauvres gens qui achèteraient des écrans plats. Ou à propos de grévistes qui prendraient les honnêtes travailleurs en otage. On connait la rengaine.
C'est dans cette stratégie de diversion qu'on peut facilement saisir l'utilité de l'extrême droite en général et de quelqu'un comme Eric Zemmour en particulier.
M Zemmour lui-même, ainsi que les journalistes et éditorialistes qui monopolisent la parole médiatique, aiment présenter celui-là comme un exemple de radicalité populiste, le mettant souvent en parallèle avec d'autres personnalités qui appartiendraient à cette catégorie d'hommes ou femmes politiques qui s'insurgeraient contre les élites et la vision du monde que celles-ci nous imposent. On se retrouve ainsi dans une espèce de confusion où un Jean-Luc Mélenchon ou une Sandrine Rousseau sont rangés dans la même corbeille de radicaux que M Zemmour. Or, que nous dit un examen de la situation réelle?
Si le qualificatif "radical" a encore du sens, celui-ci désigne ceux qui ont la volonté d'agir sur les choses à la racine. Nous voyons immédiatement l'incongruité du fait que M Mélenchon ou Mme Rousseau soient affublés d'un tel adjectif. En effet, ceux-ci identifient la racine du problème, à travers la responsabilité indéniable du capital dans les crises sociale et écologique. Mais les solutions qu'ils proposent ne sont pas aussi radicales que ce diagnostic puisqu'aucun des deux n'envisage de sortir du système capitaliste en tant que mode de production. Ils envisagent certes de l'amender, de le réguler plus ou moins fortement, mais pas de le liquider. Alors certes, un programme comme l'Avenir en commun, s'il venait à être appliqué, pourrait créer des appétences au sein de la population pour aller plus loin, surtout si le capital se montrait à ce moment-là intransigeant ne voulant rien céder de ses prérogatives, révélant ainsi encore plus clairement qu'aujourd'hui son caractère antidémocratique et antisocial. Toujours est-il qu'à part ces spéculations sur l'avenir, le projet de la France Insoumise, tout comme celui de Mme Rousseau n'a rien de radical en soi. Mais électoralement, cet argument qui instille une dose de dangerosité aux arguments de cette gauche est toujours utile, de même qu'il est assez pratique de resservir ad nauseam le fameux : "les extrêmes se rejoignent".
Mais si cette radicalité de gauche est plus fantasmée que réelle, qu'en est-il de celle de l'extrême droite?
Créer et désigner des boucs émissaires parmi les plus pauvres et précaires, parmi les "différents", les puissants et les détenteurs du pouvoir l'ont fait de tout temps. Surtout lorsqu'ils se sentent menacés. Ce que Gérard Noiriel présente comme une "rhétorique de l'inversion" (1) où l'on présente les dominés comme étant les dominants pour mobiliser la population autour des sujets qui n'ont que peu de rapport avec le réel, et très souvent aucun. C'est ainsi qu'aujourd'hui on ne peut passer à côté de l'omniprésence des discours présentant les universités sous la coupe des islamo-gauchistes (le ministre Blanquer en est un spécialiste acharné), les cités sous la coupe des islamistes ou même la société comme étant matriarcale (une des thèses de M Zemmour)... Tous ces discours ont en commun la chose suivante : ils permettent à la domination réelle de ne pas être mise en cause et de se perpétuer voire de s'augmenter.
Il est toujours bon que les gens et a fortiori les électeurs fassent porter la responsabilité de leur quotidien morose sur les épaules de quiconque sauf les vrais responsables. Alors ça tombe souvent sur des gens qui n'ont rien à voir avec la situation ou même parfois sur des choses qui n'existent pas. Ainsi par exemple on fait croire que les chômeurs seraient responsables du...chômage. Ce qui ressemble ici à un truisme est en fait un contresens. C'est le même raisonnement qui sous-tend tous les discours dominants qui peuvent tous, in fine, se résumer ainsi : la pauvreté existe À CAUSE des pauvres et la richesse GRÂCE aux riches. Ainsi les solutions aux problèmes de la société sont souvent résumées au contrôle des minorités et à leur rééducation.
Contrôle et rééducation des chômeurs, des musulmans, des femmes, des étrangers, des fonctionnaires, des homosexuels... Toutes ces minorités, ainsi que bien d'autres, sont accusées (à tour de rôle ou parfois simultanément) d'être à l'origine de nos maux. Par leurs comportements déviants, immatures, irresponsables voire dangereux, ils seraient la cause de tant de dysfonctionnements. Leur contrôle et leur rééducation seraient donc la solution. C'est cette logique qui a guidé tous les gouvernements de ces dernières décennies, y compris ceux du quinquennat de M Hollande, malgré ses envolées mystificatrices d'un soir au Bourget.
M Zemmour est en cela parfaitement au service de la classe dominante. Pendant qu'il s'attaque aux musulmans, aux femmes ou aux homosexuels, il ne s'attaque pas aux dominants. A ceux qui l'emploient et qui lui offrent des boulevards médiatiques. D'ailleurs, si M Bolloré lui a offert une émission quotidienne pendant des années n'est-ce pas une preuve que le discours fabriqué par Z lui était utile? Si le même Bolloré se charge de la distribution du nouveau livre de M Zemmour, ce n'est certainement pas parce que celui-ci souhaite s'attaquer aux élites séparatistes qui tiennent la société sous leur domination. Bien au contraire.
Car quelle est la nature de la radicalité de M Zemmour? Celle-ci consiste uniquement à radicaliser cette stratégie de diversion et la pousser à bout en se débarrassant des derniers tabous encore existants. Ainsi, il n'hésite pas à prôner la division de la population sur une base ethnique et religieuse, la fin de la laïcité etc. Cela fait de lui un parfait protecteur des intérêts de la classe dominante. Pour l'apercevoir encore plus clairement on n'a qu'à regarder ce qu'on connaît de son programme économique. Ce n'est pas une chose que les médias mettent en avant car il s'agit d'une politique assez commune à tous les partis de droite (2) : recul de l'âge de la retraite, baisses d'impôts sur les entreprises, des cotisations sociales (qu'il nomme lui aussi "charges", comme on a pu l'entendre dans son récent débat face à M Mélenchon, ce qui en dit long sur sa vision du travail), la fin des 35 heures etc. On a déjà vu des propositions plus radicales et plus anti-élites, avouez-le.
Sa radicalité est donc celle qui va dans le sens de la destruction des derniers garde-fous des désirs du capital et de sa domination. Il est donc tout à fait logique de le voir bénéficier de tout cet espace médiatique, cet espace étant la propriété des quelques représentants du capital. N'oublions pas que s'il est là, c'est que quelqu'un a décidé de lui offrir cette place. L'argument de l'audimat n'est pas crédible quand on se rappelle que pendant longtemps son émission quotidienne sur Cnews enregistrait des audiences très faibles.
Imaginez-vous une chaine de la TNT offrir une quotidienne à par exemple Frédéric Lordon entouré de Bernard Friot, Aude Lancelin et Barbara Stiegler? Imaginez-vous qu'on puisse offrir un tel espace ne serait-ce qu'à un député Insoumis qui pose un regard lucide sur la société mais dont les solutions ne sont en rien radicales? Bien sûr que c'est inimaginable. Pour la simple raison que les possesseurs des médias entendent tirer profit de leurs acquisitions et ces profits sont parfois autres que monétaires. Monétaires ils le sont à la fin, quoi qu'il arrive, même si c'est indirectement. Car la lutte pour l'hégémonie culturelle (au sens de Gramsci) est essentielle à la perpétuation du statut quo et donc, in fine, à la poursuite de l'accroissement des richesses. Il est donc essentiel d'invisibiliser la radicalité de gauche ou tout ce qui s'en approche et de promouvoir la diversion. Et ce, sans aucun égard pour les éventuelles conséquences désastreuses sur la société. Tout ce qui ne touche pas aux profits n'est qu'un dommage collatéral de plus dont le capital s'accommode sans sourciller.
Permettre à son employeur de poursuivre l'accroissement des bénéfices qu'il fait par ailleurs en faisant office d'écran de fumée : voilà le vrai rôle de M Zemmour.
Eric Zemmour a une pensée plate et nuisible à notre société. Mais si le fait d'être nuisible rebutait les détenteurs du capital nous vivrions sous la coupe d'une classe d'auto-dépréciateurs et une simple observation de notre société et de son histoire nous permet d'écarter cette hypothèse.
Il serait donc temps que nous nous mettions à observer notre société sans lunettes déformantes. Pour cela, il faudra déjà savoir reconnaitre un séparatiste ainsi que ses défenseurs lorsqu'ils se présentent sous nos yeux et les nommer comme tels.
Toi qui es séduit par cette pseudo-radicalité de M Zemmour, interroge le réel autour de toi plutôt que de faire tiens les fantasmes qu'on te propose en guise de diversion. Penses-tu vraiment que ta vie sera meilleure lorsque aucun de tes voisins ne se prénommera Mohamed et que tu travailleras jusqu'à 65 ans, que tu devras payer la scolarité de tes enfants puisque les services publics seront sacrifiés faute d'impôts, que tu te paieras toi-même tes soins à l'hôpital et que tu pourras être licencié si tu refuses d'abandonner tes RTT...?
Et si tu allais plutôt proposer à ton voisin qui, quel que soit son prénom, a beaucoup plus de chances de partager le même réel que toi que quelqu'un comme M Zemmour et ses acolytes, de réfléchir à ce qui pourrait améliorer votre bien être réel à tous les deux. Lui pourrir la vie ne fera qu'accroitre ton impuissance.
1 - Dans "Une histoire populaire de la France - De la guerre de Cent Ans à nos jours", éd. Agone
2 - Quelques informations ici :