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Billet de blog 6 mai 2020

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Lettre aux pourfendeurs de la lâcheté des enseignants

Les enseignants seraient irraisonnablement réticents, manquant de courage, d'amour de la Nation et de leur prochain. Rien que ça. Remettons chacun à sa place.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A-t-on déjà voté une loi qui exonère les maires de leur responsabilité pénale en cas d'attaque d'une secte de télé-kinésistes, qui se mettraient aussi soudainement qu'inexplicablement, se postant autour des bâtiments scolaires, à faire voler les stylos, crayons et autres compas à travers les salles de classe, agressant ainsi les élèves et les enseignants? 

On peut supposer qu'une telle loi n'existe pas car le risque d'une telle attaque est minime, d'après certains même inexistant.

Si une telle loi concernant le COVID 19 est votée aujourd'hui, c'est que le risque de contamination par celui-ci pour les enfants ainsi que leurs familles existe donc réellement et n'est pas minime.

A-t-on déjà voté une loi qui exonère les maires de leur responsabilité pénale en cas de contamination des enfants par les poux?

On peut supposer ici aussi qu'une telle loi n'existe pas car les poux, bien que se propageant très souvent de chevelure en chevelure au sein même de l'école, n'entraînent que rarement de graves complications au niveau de la santé des enfants et de leurs familles. Plutôt jamais que rarement même.

Si une telle loi existe aujourd'hui concernant le Covid 19, c'est donc que le risque sanitaire liée à celui-ci pour les enfants et leurs familles peut s'avérer grave, voire fatal.

Sinon quelle idée de voter des lois en ce sens?

Nos dirigeants sont conscients du danger réellement existant de la contamination  (sinon quid des télé-kinésistes?) ainsi que de sa gravité potentielle (sinon que fait-on des poux?). 

Le risque de la contamination et sa gravité potentielle sont reconnus par nos dirigeants à travers cette loi mais également par le fait que l'école soit devenue facultative "en présentiel". En effet, les parents ont-ils le même "choix" en cas d'invasion des poux ? Bien sûr que non, et encore moins en cas d'angoisse liée à la possibilité d'une attaque de la secte TEC 1. 

En temps normal, si un risque est pris, les responsables sont connus. Prenons un exemple :

Un enseignant de CM2 décide, dans le cadre d'un projet d'éducation civique, de faire visiter à ses élèves un squat de toxicomanes. Il met en place pour cette visite (considérée à risque) un protocole que les élèves devront respecter. Se tenir à 1 mètre de seringues qui se trouveraient éventuellement éparpillées au sol, signaler la présence de celles-ci au reste de la classe à l'aide d'un code préalablement établi. Malencontreusement, un élève se pique le doigt en touchant une seringue avec une contamination par une maladie grave à la clé.

L'enseignant sera-t-il jugé responsable? A chacun de juger.

Dans cet exemple, l'enseignant a lui-même choisi de mettre ses élèves dans une situation risquée, pensant certainement que le protocole suffirait à empêcher un accident tel celui qui a eu lieu. Si son inspecteur lui a accordé l'autorisation pour effectuer la sortie, celui-ci sera certainement jugé responsable aussi. 

Dans la réalité le gouvernement a donc décidé d'ouvrir les écoles tout en reconnaissant à travers ses décisions le caractère risquée de cette réouverture. Il a ensuite laissé aux maires le choix d'ouvrir ou pas les écoles. C'est donc à ceux-ci qui devrait échouer la responsabilité de leurs décisions, mais après leurs revendications (et même dans certains cas indignations), ils ont obtenu une loi qui les exonère de cette responsabilité.  Certains envisagent même de faire signer une décharge de responsabilité aux parents dont l'enfant va retourner à l'école. Au cas où. 

Au niveau de l'Education Nationale les inspecteurs signalent aux directeurs d'écoles que eux seuls sont pénalement responsables puisque leur est laissé en dernière instance le choix de la modalité d'application, ainsi que l'application effective du protocole sanitaire. 

Ainsi nous avons des personnes (parents, enseignants et enfants) qui n'ont ni décidé la réouverture des écoles, ni établi le protocole sanitaire, mais qui seuls devront se mettre en danger et de plus être uniques responsables en cas de problème.

Il ne s'agit donc pas dans cette situation de hurler à la lâcheté du corps enseignant ou de distribuer des leçons de morale depuis les plateaux de télévision, puisque la majorité des enseignants se rendra malgré tout dans les écoles le 11 mai. Il conviendrait mieux de pousser la réflexion un peu plus loin que d'habitude, au delà de ses préjugés et de sa mallette du prêt-à-penser. 

Une  fois n'est pas coutume, on pourrait souhaiter que chacun reste à sa place. Que le fonctionnaire fonctionne et que le responsable le soit réellement.

1. "Télé-kinésistes en colère"

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