Jadran Svrdlin

Abonné·e de Mediapart

90 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 juillet 2024

Jadran Svrdlin

Abonné·e de Mediapart

Les factieux en costard et nous : comment déjouer les pièges ?

La situation actuelle a tout d'un impasse truffée de pièges. Face à une bourgeoisie apeurée et une extrême droite en roue libre, il s'agit d'emprunter un chemin incertain. Or, si le chemin est étroit et le milieu hostile : une raison de plus d’y avancer groupés.

Jadran Svrdlin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce qui caractérise la classe bourgeoise, en plus de son attachement à ses « bonnes manières », c’est qu’elle est prête à tout pour sauvegarder ses propres intérêts. Ainsi, ces derniers jours nous la voyons nous rejouer un remake de ce qu’elle avait pourtant rejeté avec toutes ses forces : l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021.

Nous pouvons ainsi nous rendre compte plus clairement que ce qui rebutait notre classe politique bourgeoise à l’époque ce n’était pas autant le caractère antidémocratique du procédé mais bien l’absence totale de bonnes manières. C’est le kitsch et la grossièreté de ces ploucs qui ne passaient pas. Depuis quelques jours, nous avons la possibilité d’assister donc à un remake mais avec des costards et des voix feutrées. Des ministres, aux éditorialistes en passant par des députés, tous débarquent sur nos écrans nous expliquer qu’en fait, non, le Nouveau Front Populaire n’a pas gagné. Bayrou propose un gouvernement sans LFI, Darmanin en propose un sans la gauche. Aux membres du NFP, les éditorialistes ne cessent d’expliquer qu’ils ne pourront pas appliquer le programme pour lequel ils viennent d’être élus. Par contre, appliquer celui de M. Macron dans une grande coalition serait rassembleur, même si les électeurs l’ont rejeté.

Nous sommes obligés de reconnaitre que pour cette classe politique là, contester et même nier des processus démocratiques fait partie d’une panoplie acceptable en vue de la sauvegarde de ses intérêts. Du moment que la chemise est repassée et le ton posé, on peut effectivement dire des horreurs.

La vraie question qui se pose au NFP est la suivante : comment se sortir de cette situation on ne peut plus compliquée. Comment s’imposer dans ce milieu hostile, peut être même plus que celui d’avant l’élection.

La majorité n’est en effet que très relative et les oppositions sont on ne peut plus éloignées du cœur de ce qui est censé mouvoir la gauche : la défense de l’intérêt général et de ceux des opprimés en particulier. Envisager des coalitions de quelque sorte que ce soit avec l’extrême droite ou avec les représentants de la classe bourgeoise qui, on ne cesse de le voir, ne défend que ses propres intérêts, représente un symptôme d’inconséquence politique totale.

Il s’agit donc d’arriver à faire passer des textes conduisant au mieux être social et écologique face à des oppositions dont les intérêts se trouveraient fortement atteints en cas d’un tel cheminement. Mais, alors, cela revient à faire passer beaucoup de chargements par un chemin si étroit qu’on est en droit de se demander même s’il existe. Contrairement aux voix médiatiques performatives, nous allons ici poser l’existence d’un tel chemin comme indiscutable. Dans le cas contraire les options consisteraient soit à croiser les bras et attendre une prochaine échéance électorale qui pourrait nous apporter ce chemin sous forme d’une majorité plus affirmée ; soit à s’engager dans une impasse de compromis(sions) évoquée plus haut.

Comment donc espérer obtenir des majorités sur des textes qui sont totalement incompatibles avec les autres blocs de l’Assemblée Nationale ? Certains membres du NFP l’ont évoqué : nous mettrons les députés des oppositions devant leurs responsabilités. On les entend clamer : il faudra qu’ils assument devant leurs électeurs lors des prochaines échéances le fait d’avoir voté contre des mesures qui pourraient améliorer la vie de ces derniers. Certes, ça paraît être du bon sens sauf que… Sauf que cela a déjà été le cas par le passé et cela n’a pas empêché de nombreux députés RN ayant voté contre les hausses du SMIC, contre l’indexation des salaires sur l’inflation ou encore contre le gel des loyers, par exemple, de se faire réélire par un électorat pourtant populaire et précaire qui aurait pourtant grandement bénéficié de ces mesures.

C’est que le vote n’est pas mû par une rationalité à toute épreuve, loin de là. On le voit depuis longtemps, l’espace médiatique n’est pas tant investi par les débats rationnels de fond. Il s’agit d’un milieu hostile qui préfère mettre en scène des combats d’égos, d’étiquettes voire de civilisations. On en arrive ainsi à des situations telles que des travailleurs pauvres voteront contre un candidat qui propose d’augmenter leurs salaires et leurs conditions de travail parce qu’il parle fort ou bien parce qu’il ne propose pas de s’en prendre à telle ou telle minorité dont la situation miséreuse nous permet de nous sentir appartenir à un groupe puissant. Tout l’enjeu pour la gauche est donc de faire germer dans les esprits des possibilités nouvelles que l’ordre politico-médiatique actuel a pour mission de nier.

Ainsi, pour que les députés des oppositions au NFP soient vraiment mis devant leurs responsabilités, il faudrait que les propositions du nouveau gouvernement à venir deviennent un sujet central des discussions. Pour cela il faudrait empêcher la classe médiatique de ne s’intéresser qu’à la surface, en nous expliquant pourquoi tout cela n’est pas raisonnable ou bien en s’attachant pendant des jours à débattre de qui a porté la proposition au détriment du contenu de celle-ci.

Il est arrivé par le passé, grâce à des conditions très particulières, que ce genre de situation s’impose aux hommes et femmes politiques ainsi qu’à leurs relais médiatiques. En 2005, par exemple, lors de la campagne du référendum au sujet du Traité constitutionnel européen, un débat de fond s’était imposé dans toutes les couches de la population. Tout un chacun s’est mis à s’intéresser à un texte qui aurait dû, en toute logique, être accepté par des électeurs à qui on aurait vanté ses vertus. Mais le débat qui avait duré pendant de longues semaines a révélé que même des sujets opaques sont accessibles à une population à qui on laisse le temps et les moyens de s’y intéresser. De même, la Convention citoyenne sur le climat a montré que des citoyens tirés au sort à qui on donne des conditions de réflexion décentes réussissent à travailler et arrivent à des propositions cohérentes et parfois radicales mais d'intérêt général. Evidemment, comme ces deux moments ont abouti à des propositions contraires aux intérêts des classes dominantes, les représentants de ces dernières, à savoir MM. Sarkozy et Macron, se sont empressés de les enterrer. Il n’empêche que ces moments peuvent constituer une source d’inspiration dans notre entreprise d’élargissement de chemin évoqué plus haut.

On peut entrer dans une période qui redonne à la politique et à la République leur véritable fonction et c'est ça qui peut être révolutionnaire. Cela passerait par l'institution d'une démocratie populaire qui peut être la seule porte de sortie de cette situation de blocage. Plutôt que de continuer de subir la politique qui découle de la démocratie représentative on pourrait renverser le fonctionnement habituel et organiser les choses de façon à ce que ce soient nos représentants qui deviennent de véritables courroies de transmission et rien de plus. Les institutions de la 5ème République ne le permettent peut être pas totalement mais il me semble qu'on peut tenter de décentraliser les prises de décisions et les centres d'expertises et de mettre chaque représentant devant ses responsabilités de façon accrue et difficilement évitable. Comme évoqué à propos du référendum et de la Convention citoyenne pour le climat, nous pourrions nous emparer des outils pour refaire vivre la politique et la République. Notre situation actuelle, représentée par cette majorité fragile dans un milieu hostile, pourrait trouver dans ce genre de dispositifs une porte de sortie menant vers le haut. Alors, plutôt que de continuer de faire ce qu'on sait faire et qui ne mène à rien. A savoir : attendre des appareils politiques qu'ils établissent des alliances plus ou moins floues et contre-nature pour ensuite nous proposer des solutions proposées par des cabinets d'experts on pourrait renverser la perspective et faire émerger des propositions du bas. Plutôt que de passer des jours et des semaines à s'écharper autour du nom d'un premier ministre qu'on présente ainsi implicitement comme un chef voire un messie, redonnons aux élus leur véritable fonction : celle de représentants. Mais pas des représentants dans le sens actuel, c’est-à-dire des gens qui auraient un mandat pour décider à notre place.

De nombreux membres du NFP l’ont formulé : ils auront besoin d’un fort soutien populaire pour arriver à peser dans cette Assemblée majoritairement hostile. Un gouvernement ne bénéficiant que d'une petite majorité relative a besoin d'un soutien populaire pour accroitre sa légitimité et ainsi accroitre son propre pouvoir décisionnaire. Un tel fonctionnement pourrait contribuer à l'institutionnalisation de ce soutien. L’idée est la suivante : plutôt que de lutter avec des représentants du capital déguisés en représentants du peuple avec des compromis devenant, du fait de la nature de ces derniers, des compromissions, on pourrait tenter de mettre ces derniers devant cette nouvelle force.

Laisser la démocratie populaire s'exprimer en créant des espaces institutionnalisés que permet déjà la constitution actuelle : multiplier les conventions de citoyens tirés au sort donc, mais aussi des collectifs et commissions composés de syndicats, associations, ONG etc. Ce, sur tous les sujets, et en s'engageant à en suivre les recommandations et en mettant les députés des oppositions devant non seulement une légitimité de majorité relative, mais une légitimité accrue par cette démocratie populaire.

Ceci aurait un autre avantage non négligeable. Cela participerait à une repolitisation de la société car un effet collatéral serait que ce fonctionnement ôterait aux représentants leur rôle de faiseurs omnipotents. On éliminerait ainsi en grande partie la personnalisation de la vie politique qui pollue actuellement le traitement médiatique de la chose publique. A l'instar de ce qui s'était passé en 2005, on se remettrait à parler du fond et des contenus concrets de la politique. On créerait tout de moins quelques conditions supplémentaires favorables à une telle évolution.

Le référendum de 2005 avait permis une appropriation populaire des contenus concrets d'un texte technocratique et une prise de décision éclairée. La Convention citoyenne pour le climat que M. Macron a par la suite ignorée, avait permis l'appropriation par des non experts tirés au sort d'un sujet qu'on nous présente d'habitude comme trop complexe et la construction de 150 propositions concrètes et cohérentes.

Demain, on pourrait démultiplier de telles institutions à propos de la fiscalité, de l'éducation, de la santé, des transports... Bref, redonner à la politique et à la République autant de pouvoir et de grandeur que le permet cette 5ème République.

Cela montrerait également le véritable positionnement de chaque camp politique, et serait ainsi la meilleure façon d'ériger un barrage à l'extrême droite. Un barrage beaucoup plus solide que ceux qui reposent sur les mobilisations moralisatrices de dernière minute.

Tout ceci ne représente évidemment aucune garantie de succès mais remplit une condition de base quant au positionnement qu’un gouvernement de gauche devrait avoir vis-à-vis de la population : le postulat d’une égalité des intelligences ainsi que la confiance en l’intelligence collective.

Le chemin est étroit et le milieu hostile. Une raison de plus d’y avancer groupés.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.