[N.B. Une première version de ce texte a été publiée le 6 octobre 2025 sur le média en ligne Le café pédagogique]
Une loi inachevée
Le sens de la loi du 27 mai 2024 visant la prise en charge par l'Etat de l'accompagnement humain des élèves en situation de handicap durant le temps de pause méridienne, dite loi Vial, était celui de la simplification : les AESH auraient un seul et unique employeur.
Mais, dès le 29 mars 2024, c’est-à-dire quasiment deux mois avant l’adoption définitive de la loi Vial, la Défenseure des droits avait publié un Avis au parlement. Cet avis très concis prenait la forme d’une mise en garde et annonçait déjà les dangers dont il est question ici, et ce de façon très précise.
Premièrement, la défenseure des droits préconisait une « prise en charge par l’État des frais d’accompagnement des élèves en situation de handicap sur l’ensemble des temps périscolaires sans distinction », c’est-à-dire pas seulement sur le temps de cantine. Cela se justifiait par le fait que « le temps périscolaire, qui s’inscrit dans la continuité du temps scolaire, fait partie intégrante du droit à l’éducation ».
Deuxièmement, la défenseure des droits pointait la nécessité de « la définition d’un cadre juridique clair sur l’évaluation des besoins de l’enfant pendant les temps périscolaires ». En effet, le rôle des MDPH étant réduit à l’élaboration des préconisations, un flou juridique quant aux obligations se créait automatiquement. Une préconisation n’étant qu’une recommandation, elle n’a aucun caractère contraignant et on peut décider de la suivre ou pas. Et en réalité c’est plutôt pas. Et un an plus tard, la défenseure des droits réitérait sa crainte que des difficultés apparaissent du fait de « l’absence d’évaluation objective des besoins d’accompagnement des enfants sur les temps périscolaires, source de blocage en cas de désaccord entre la collectivité gestionnaire et l’Etat sur la nécessité d’un tel accompagnement ». Vous l’avez compris : les deux recommandations n’ont aucunement été prises en compte.
Aubagne : un cas d’école
En lisant tout cela on se dit qu’à Aubagne nous vivons un cas d’école.
Jusqu’en juillet 2025 c’était toujours la Ville qui prenait en charge l’accompagnement mais depuis cette rentrée scolaire c’est l’Education Nationale qui s’en charge.
Quelques jours avant la rentrée nous découvrons les dégâts. Dans une lettre que le maire d’Aubagne adresse aux parents d’élèves, celui-là annonce que « seuls 13 enfants sur les 34 identifiés par la MDPH comme nécessitant une aide humaine, pourront bénéficier d’un accompagnement sur le temps méridien ».
Les services de l’Education Nationale, invités par le journal la Provence à s’expliquer, précisent par l’intermédiaire du Directeur académique des services de l’Education Nationale (DASEN), que ce ne sont pas 13 mais 14 élèves qui auraient « réellement besoin d’un accompagnement », donnant ainsi corps à la fameuse « absence d’évaluation objective des besoins d’accompagnement » dénoncée par la défenseure des droits. Le rôle réduit de la MDPH est ici explicitement assumé par M. le DASEN : « La MDPH ne peut arrêter de décision pour la pause méridienne mais faire des propositions. Avec mes équipes spécialisées, nous reprenons les dossiers et regardons précisément les besoins. » Ce n’est plus la MDPH, pourtant créée avec la loi de 2005 pour être un guichet unique dans la prise en charge du handicap, qui a le pouvoir de donner une réalité aux besoins de la personne en situation de handicap en reconnaissant ces derniers par une analyse pluridisciplinaire. Ce pouvoir est dorénavant détenu par le pouvoir accordé aux équipes « spécialisées » du DASEN qui reprennent les dossiers de la MDPH pour les réévaluer. Que pourrait-il s’y trouver pour contrebalancer les préconisations de la MDPH ? Dans son intervention auprès de la Provence M. le DASEN n’a rien mentionné d’autre que « la question économique ». En d’autres mots, un budget serré.
Tout cela devient d’autant plus inquiétant lorsqu’on a en tête le fait que la réforme des PAS (Pôle d’appui à la scolarité) réduit le rôle des MDPH à de simples pourvoyeurs de préconisations et ce y compris sur le temps scolaire. Ainsi, tous ces élèves, qu’ils soient porteurs de trisomie 21, autistes ou mal voyants, qui doivent se débrouiller seuls à la cantine, devront potentiellement faire de même sur le temps scolaire par la simple magie de la parole performative d’une équipe de la DSDEN aux critères totalement opaques.
Mais ce désaccord engendré par des contours flous du cadre juridique concernant l’évaluation des besoins produit des discriminations en chaîne.
Les élèves concernés se retrouvent plongés dans un environnement inadapté à leur handicap ce qui provoque du stress, de la souffrance, de l’épuisement et par conséquent une disposition moindre pour les apprentissages scolaires. Les personnels municipaux se retrouvent à gérer des missions pour lesquelles ils ne sont pas formés et qui s’additionnent par la force des choses à leurs tâches habituelles. Ils tentent coûte que coûte de palier les manques et voient leurs conditions de travail se dégrader. Ainsi, ce sont tous les élèves qui finissent par bénéficier d’une qualité d’accueil dégradée.
Une logique d’exclusion qui s’affirme
La ville d’Aubagne, bien que bénéficiant du label « Ville amie des enfants » et donc partenaire d’UNICEF France grâce à son « engagement politique pour une meilleure application des droits de l’enfant sur son territoire », adopte une position pour le moins discutable si ce n’est désastreuse du point de vue du droit des enfants en situation de handicap.
Constatant que les services de l’Etat ne fournissent pas les moyens qu’ils estiment nécessaires à un accueil décent de tous les élèves, les services municipaux adoptent une logique d’exclusion de plus en plus explicite. On retarde l’inscription à la cantine des élèves en situation de handicap en conditionnant celle-ci à un accord préalable de la Ville (accord concernant uniquement les enfants en situation de handicap). Puis on téléphone aux parents des élèves en situation de handicap en les invitant à ne pas mettre leur enfant à la cantine car il n’y a pas d’accompagnement prévu. Et on finit par réécrire le règlement intérieur des accueils municipaux périscolaires pour y insérer ceci :
« La Ville d’Aubagne accueille les enfants en situation de handicap, après une analyse objective et individualisée de l’aptitude ou non de l’enfant à participer aux activités proposées, en toute sécurité pour eux et pour les autres enfants. Au besoin, une journée test permettra d’évaluer les aptitudes de l’enfant à la vie en collectivité. Ne pourront être inscrits les enfants dont le handicap est incompatible avec les activités proposées et ce, malgré des aménagements raisonnables sur le temps d’accueil. »
Voilà ce qui bafoue l’esprit et la lettre de toute une jurisprudence légale et éthique. On y voit maltraitées, entre autres, la loi de 2005 (qui garantir on ne peut plus clairement une « accessibilité universelle »), le Code de l’Education (qui affirme dans son article L131-13 que « l'inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés »), de multiples préconisations de la défenseure des droits et évidemment les engagements pris auprès de l’UNICEF.
On voit donc ici comment la loi Vial, en ne prenant pas en compte les deux mises en garde de la défenseure des droits, crée les conditions de discriminations en série. Mais les deux acteurs principaux de cet épisode n’en sont pas moins responsables du rôle qu’ils y jouent. L’Education Nationale tout d’abord, en profitant de l’absence d’un cadre juridique clair dans la loi Vial, trop heureuse de pouvoir ignorer les préconisations de la MDPH et adapter les besoins supposés des élèves à son propre budget. Puis, la mairie, rejetant toute la responsabilité sur l’Etat, ce mauvais gestionnaire qui laisse nos élèves sans ce à quoi ils ont droit, et qui n’aurait d’autre choix que l’exclusion dans un souci sécuritaire. Pour cela, elle s’engouffre dans le trou laissé par l’absence de la prise en charge de l’accompagnement sur tous les temps périscolaires au profit du seul temps de cantine (le règlement d’accueil joue sur l’ambigüe distinction entre le temps cantine et les autres temps périscolaires) et s’appuie sur les préconisations de la MDPH, instrumentalisant à son tour l’absence d’un cadre d’évaluation des besoins clair.
Instrumentaliser est le bon terme ici car l’usage qui est fait des préconisations de la MDPH est celui d’éventuelles exclusions et cela va totalement à l’encontre de ce pour quoi les MDPH ont été créées.
Car ce qu’il faut affirmer haut et fort ici, c’est que ces deux acteurs ont beau s’accuser mutuellement, se cacher derrière un texte de loi mal fichu, ils font chacun leur part dans cette entreprise de discrimination.
Et cette situation est d’autant plus révoltante que peu surprenante. Cette loi Vial a créé les conditions de ces discriminations en série. Conjuguée au contexte austéritaire et à une hégémonie validiste, elle a rendu celles-là inévitables.
L’école inclusive ne peut être un gadget de communication ou une variable d’ajustement économique mais doit devenir une réalité effective. Les droits élémentaires des élèves en situation de handicap doivent être respectés. 20 ans après la loi de 2005, il serait enfin temps.