On sort donc. On stoppe tout et on sort. Pour les retraites.
On aurait tant de raisons de stopper et de sortir que se demander pourquoi on le fait maintenant et pour cette raison précise n'est pas vraiment une question prioritaire. On verra ça plus tard. Ce que l'on voit ici et maintenant est un moment précieux. Il s'agit surtout de ne pas le gâcher.
Gâché il peut l'être pour plusieurs raisons. Tout d'abord en ne tenant pas ses promesses et en nous offrant des cortèges clairsemés. Fort heureusement ce n'est pas le cas.
Mais il peut surtout être gâché en étant pris littéralement pour ce qu'il est ici et maintenant : un refus de la réforme des retraites. Or, si nous sortons en si grand nombre ce n'est pas uniquement en raison d'une réforme impopulaire et qu'on juge injuste. Nous sortons parce qu'il s'agit d'une décision de trop. Une décision qui, après tant d'autres qui se sont heurtées à nos inerties, nos découragements, nos à-quoi-bons, nos sentiments d'impuissance, une enfin qui nous meut, nous reconnecte et éveille des souvenirs de collectifs. Les collectifs, ces générateurs qui transforment nos misères, galères et colères individuelles en puissance, en arme de guerre. La seule à même de faire trembler les classes dominantes. Ces classes qui façonnent la société de façon à ce qu'elle satisfasse leurs intérêts.
On aurait pu sortir à l'occasion du saccage de l'assurance chômage. Du bradage du temps de cerveau disponible de nos élèves des lycées professionnels aux patrons et industriels. On leur livre même leurs corps, certains y trouvent la mort. On aurait pu sortir pour protéger nos services publics mais ils nous appris à détester leurs dysfonctionnements et à souhaiter leur extinction.
Alors c'est pour les retraites. De deux choses l'une : il faut absolument gagner cette bataille mais une fois la victoire acquise il ne faudra surtout pas se mettre à fêter et à se relâcher. Fêter quoi? Le statu quo? Une flèche en moins dans le corps social gangréné par l'infection de toutes les autres attaques? Un corps gangréné par son antithèse qu'est l'individualisme.
Les stopper dans une de leurs entreprises moribondes tout en leur laissant les commandes voilà ce qu'on ne peut pas considérer comme un motif de satisfaction.
On entend beaucoup la statistique qui dit que presque un quart d'hommes les plus pauvres sont déjà morts lorsque arrive leur âge de retraite. Qu'il n'arrive plus précisément pas. Jamais. Il s'agit de nous satisfaire, que dis-je : nous réjouir! d'un statu quo de ce genre?
C'est toujours un problème structurel des luttes défensives, lorsque la satisfaction causée par une victoire nous prive d'un passage à l'offensive. Ce qu'on pourrait espérer de mieux c'est que, l'appétit venant en mangeant et la puissance en gagnant, cette éventuelle victoire ne nous fasse pas quitter les lieux et qu'on tente de faire mieux.
Mais alors, ça commence à peine, et lui la ramène pour nous mettre la haine!
Oui, camarades, quitte à lutter, autant enlever toutes les chaines.
D'aucuns ciblent les milliardaires, mais c'est encore s'attaquer aux individus plutôt qu'aux structures. Ce qu'on veut c'est reprendre le contrôle de nos actes dans chaque moment de nos vies, qu'on n'ait plus en toutes circonstances à obéir à autrui. Ce sont les rapports de subordination qu'il s'agit de faire voler en éclats, c'est pas parce qu'il possède qu'il en sait plus que moi. Nous "rendre" chaque jour sur le lieu de travail ce n'est pas seulement s'y déplacer mais aussi abdiquer toute souveraineté. Car nous louer ou nous vendre c'est ne pas chercher à comprendre. D'autres pensent à notre place et ils appartiennent à une autre classe.
On nous dit sans cesse qu'ils créent des richesses. Mais aussi les emplois, c'est à eux qu'on les doit. Nous ne faisons qu'en bénéficier, pauvres ouvriers que nous sommes, nous devrions les remercier plutôt que de grogner (on dirait même pas des hommes).
Le réel est quelque peu différent : notre force de travail, on la vend. Nos cerveaux et nos mains produisent toute richesse, eux ne se rendent indispensables sans cesse qu'en organisant nos faiblesses. Si nous subissons l'atomisation et ne sommes plus que des individus, c'est parce qu'ils l'ont bien voulu. Ils craignent tous nos collectifs. Devant nos sens politiques ils sont craintifs.
Pour satisfaire leur unique intérêt qui est le profit financier, ils sont prêts à ignorer toute catastrophe imminente, même si elle signifie pour l'humanité une mise à mort plus ou moins lente. Leurs représentants les plus notoires diront qu'on ne pouvait prévoir ce qu'on refusait de voir.
Parmi nos alliés de circonstance certains n'iront pas au bout de la danse. Ils ne sont là que pour prendre la première porte de sortie que le gouvernement feindra de concéder à grands regrets. Ne nous laissons pas distraire, ne changeons pas de bord, en suivant ces adeptes de signatures d'accords. Pour les définir, dans le mot "retraite" il faudrait inverser les syllabes, ces faux amis qui produisent de la flagornerie en rab.
Pour toutes ces raisons nous devons lutter pour la souveraineté. Mais pas celle des droitards, ces laquais du capital. La vraie celle qui nous est vitale. Où nous aurons notre mot à dire sur ce qu'on va produire. Où l'intérêt général et l'utilité sociale seront déconnectés du capital.
Camarades, nos enfants vous prennent à témoin : notre humanité mérite mieux que deux ans de subordination en moins.
C'est aussi vrai qu'après le 19 il y a le 20.