Depuis la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, on disait souvent que l'inclusion scolaire piétinait. Or, il semblerait qu'à la faveur d'une loi visant une meilleure inclusion, celle-ci ait enclenché une marche arrière fort inquiétante.
Nous avons de la chance d’avoir des écoles qui portent fièrement la devise « Liberté, égalité, fraternité » sur leurs devantures. Dans la belle commune d’Aubagne nous en avons encore davantage puisque nos écoles se situent sur le territoire d’une ville labellisée « Ville amie des enfants ». Le problème est qu’entre les déclarations d’intentions volontaristes et la réalité il y a tout un monde. Un monde fait d’inégalités, d’exclusions et de discriminations. Et la réalité, elle, est immergée dans ce monde où les exclu·es ne cessent de crier dans un désert d’indifférence. Ce texte va essayer d’être leur portevoix le temps de quelques minutes pendant lesquelles vous serez plongés dans sa lecture.
Le sujet ici est la scolarisation des enfants en situation de handicap. Et le moins que l’on puisse dire est que celle-ci est mise à mal.
Pourtant les textes législatifs et réglementaires sont catégoriques : l’inclusion est la règle.
Conformément aux intentions affichées sur les devantures des écoles publiques françaises, les lois en vigueur ainsi que les conventions internationales signées par notre pays sont on ne peut plus claires. Ainsi, le Code de l’Education affirme-t-il dans son article L211-1 que « dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes en situation de handicap ».
De plus, et ceci aura toute son importance ici, ce même Code de l’Education précise dans son article L131-13 que « l'inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille ».
Enfin, la France ayant ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), elle s’engage ainsi à veiller, aux fins de l’exercice du droit des personnes handicapées à l’éducation, à ce qu’il « soit procédé à des aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun » mais aussi que « des mesures d'accompagnement individualisé efficaces soient prises dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la socialisation, conformément à l'objectif de pleine intégration ».
Or, depuis cette rentrée de septembre 2025, un bon nombre d’élèves en situation de handicap vit quelque chose que je vous laisserai nommer par vous-mêmes à la fin de l’exposé de la situation. Peut-être aurez-vous recours à ce moment-là à des termes correspondant à ce qui est prévu par les engagements législatifs du genre « inclusion réussie » ou « pleine intégration ». Ou bien opterez-vous plutôt pour des expressions telles que « discriminations », « indignité » ou encore « situations de souffrance révoltantes ». Le choix des mots vous appartiendra.
Pour commencer, rappelons en premier lieu que ce ne sont plus les mairies mais l'Etat qui est censé prendre en charge l'accompagnement des élèves en situation de handicap sur le temps de la pause méridienne. Sauf que depuis que la loi Vial du 27 mai 2024 est entrée en vigueur, l’Etat réel de l’inclusion des élèves en situation de handicap ne cesse de se dégrader. En d’autres mots, les situations concrètes dans lesquelles sont plongés ces élèves sont inadaptées à leur handicap et dès lors la spirale de l’exclusion se met en place.
Il en va ainsi dans la commune d’Aubagne. Cette ville, qui arbore fièrement son label « Ville amie des enfants », souffre depuis cette rentrée scolaire d’un manque criant d’AESH ayant pour mission d’accompagner les élèves en situation de handicap sur le temps de la pause méridienne. En effet, d’après un courrier que le Maire LR de la Ville, Gérard Gazay, a envoyé aux parents d’élèves des écoles aubagnaises, « seuls 13 enfants sur les 34 identifiés par la MDPH[1] comme nécessitant une aide humaine, pourront bénéficier d’un accompagnement sur le temps méridien ». Contacté par le journal la Provence, le Directeur académique des services de l’Education Nationale, M. Jean-Yves Bessol, apporte une précision à ces chiffres. D’après lui, ce ne sont pas 13 mais… 14 élèves qui auraient « réellement besoin d’un accompagnement ».
Ce qui laisse tout de même une vingtaine d’enfants pour lesquels la MDPH aurait préconisé une aide humaine pendant ce temps méridien et qui n’en bénéficient pas. Concrètement, cela signifie qu’il y a dans les écoles aubagnaises des enfants présentant des troubles du spectre autistique, mal voyants, ayant des handicaps moteurs ou encore porteurs de trisomie 21, qui se retrouvent plongés pendant 2 heures dans un milieu non adapté à leur handicap. On peut certes parler d’accueil, mais le terme inclusion est-il encore pertinent quand on sait que ces enfants doivent se débrouiller seuls pour manger leur repas mais aussi seuls sur le reste du temps de repos où ils doivent gérer seuls les interactions avec les autres élèves. Car oui, un·e AESH n’est pas là uniquement pour couper les aliments et veiller à ce que le repas se passe le mieux possible, iel est une ressource nécessaire à ce que la CIDPH nomme pleine intégration et qui n’inclut pas seulement les apprentissages scolaires mais aussi la socialisation.
Dans son explication au journal la Provence, M. Bessol précise : « La MDPH ne peut arrêter de décision pour la pause méridienne mais faire des propositions. Avec mes équipes spécialisées, nous reprenons les dossiers et regardons précisément les besoins. » Mais qu’y a-t-il dans ces dossiers, en plus des préconisations de la MDPH qui, après une analyse minutieuse par une équipe pluridisciplinaire de chaque cas individuel confie à la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) le soin de décider du plan de compensation du handicap ? Que pourrait-il s’y trouver pour contrebalancer les préconisations de la MDPH ? Dans son intervention auprès de la Provence M. le DASEN n’a rien mentionné d’autre que « la question économique ». En d’autres mots, un budget serré.
On n’ose penser qu’une décision économique prime sur l’inclusion effective des élèves en situation de handicap. On n’ose penser que l’environnement de cet enfant autiste lui devient hostile en l’absence d’un·e accompagnant·e ou encore que cet enfant porteur de trisomie 21 est laissé seul pendant son repas alors que la MDPH avait signalé son absence d’autonomie, uniquement pour des raisons budgétaires. On n’ose en effet penser que dans l’équipe « spécialisée » dont parle M. Bessol, ce soit le trésorier qui ait le dernier mot.
Le moins que l’on puisse dire est qu’aller ainsi à l’encontre des préconisations de la MDPH n’est pas vraiment la façon la plus galante de fêter leur 20ème anniversaire. Et surtout, il est très inquiétant de voir que la cause du handicap, non contente d’avoir trop souvent été accusée de piétiner depuis la loi de 2005, a l’air d’adopter la marche arrière. Et ces inquiétudes sont attisées par le fait que le rôle de la MDPH risque d’être amoindri aussi dans les préconisations sur les aménagements et les accompagnements sur le temps scolaire. En effet, la réforme des PAS (Pôle d’appui à la scolarité) prévoit de réduire encore un peu le rôle des MDPH. Celle-ci pourra toujours faire des préconisations mais que les PAS ne seront pas tenus de suivre. Il est donc d’autant plus important de lutter pour garantir les moyens à une inclusion effective sur ce temps de la cantine car des reculs ici pourraient être suivis d’autres ailleurs.
Mais malgré le fait qu’ils soient les principales victimes de cette situation, les élèves en situation de handicap ne sont pas les seuls concernés par les souffrances engendrées par la situation. Les personnels municipaux se retrouvent ainsi à gérer des missions pour lesquelles iels ne sont pas formé·es et qui s’additionnent par la force des choses à leurs tâches habituelles. Car la simple humanité les empêche évidemment de faire comme si la parole de M. Bessol était performative. Il ne suffit en effet pas qu’il décrète que certains élèves n’ont pas « réellement besoin d’accompagnement humain » pour que cela soit effectivement le cas.
Cette situation provoque de la souffrance causée par l’épuisement et les conflits éthiques qu’elle ne manque de poser. Bien que victimes collatérales, ces personnels n’en sont pas moins très affecté·es par la situation.
Enfin, tout cela provoque inévitablement une dégradation des conditions d’accueil de tous les élèves et des difficultés pour les familles. Dans certains établissements aubagnais les personnels se mobilisent et se mettent en grève pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail privant ainsi les enfants et leurs familles d’accueils périscolaires qui sont pour certains nécessaires à la conciliation de leurs vies familiale et professionnelle.
Depuis la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, on disait souvent que l'inclusion scolaire piétinait. Or, il semblerait qu'à la faveur d'une loi visant une meilleure inclusion, celle-ci ait enclenché une marche arrière fort inquiétante.
Et c’est là qu’on en arrive à un danger encore plus grave pour l’effectivité de l’inclusion. Voulant éviter cette propagation des dégâts en cascade et un mécontentement des agents et des familles, les services de la mairie pourraient être tentés par ce qu’on pourrait appeler la ligne de moindre résistance. Tout comme certains syndicats enseignants qui, lorsqu’ils constatent que les moyens d’une inclusion réussie ne sont pas fournis ou financés par l’institution, réclament des places pour les élèves en situation de handicap dans les établissements spécialisés et donc leur éviction des établissements ordinaires, les services municipaux penchent vers un raisonnement similaire et, tout en regrettant l’impéritie des services de l’Etat, tentent d’éteindre l’incendie en exerçant une pression là où la résistance est la plus faible, à savoir chez les plus esseulés et fragilisés. Il serait tout politiquement désastreux et légalement inacceptable qu’afin de rétablir des conditions de travail décentes pour ses agents et une qualité d’accueil retrouvée pour les élèves valides on en arrive à exclure les élèves en situation de handicap de ce temps de cantine. Mais le fait que les services municipaux aubagnais conditionnent les inscriptions des élèves en situation de handicap à la cantine à un accord de la Ville représente déjà un premier traitement inéquitable. Que certaines familles soient incitées à ne pas faire manger leurs enfants à la cantine en attendant qu’une aide humaine leur soit allouée est un autre signe qui ne laisse que peu de doutes quant à la pente glissante de la discrimination sur laquelle semble s’engager la municipalité.
Pourtant, un autre chemin existe. C’est celui de lutte contre les discriminations et en faveur de l’inclusion véritable. Sur ce chemin s’engagerait une Ville courageuse et déterminée à faire honneur à son label de « Ville amie des enfants » en luttant pour que les droits de l’enfant soient une réalité pour tous.
Primum non nocere est une locution latine et le premier principe de prudence appris aux étudiants en médecine qui signifie « en premier, ne pas nuire ».
Les Villes amies des enfants devraient avoir pour principe premier « En premier, inclure ». Puis éventuellement se retourner contre le véritable responsable des souffrances de ses agents et des enfants. Et dans ce cas précis ce n’est aucunement l’enfant en situation de handicap qui en est la première victime.
Autrement, le label devrait être renommé en « Ville amie des enfants… valides ».
[1] Maison départementale pour les personnes handicapées. Les MDPH ont été créées en 2005, dans le cadre de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées