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Billet de blog 23 mars 2023

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Factieux toi-même !

En parlant des factieux, qui M Macron a-t-il voulu désigner ? Et si c'était celui qui disait qui l'était ? Cette question est non seulement rationnelle, mais elle doit être examinée attentivement. Au-delà des individus, notre opposition, pour être pleinement conséquente, doit questionner les institutions.

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"On ne peut accepter ni les factieux, ni les factions."

Emmanuel Macron, 22 mars 2023

"Factieux : Qui exerce contre le pouvoir établi une opposition violente tendant à provoquer des troubles."

Le petit Robert

Mais qui sont donc les factieux du discours de M Macron? 

On peut, à l'instar des commentateurs des plateaux que d'aucuns nomment journalistes par mégarde, estimer qu'il s'agit de manifestants s'adonnant à des actes violents. 

Mais on peut aussi, après un examen attentif des mots et des actes réels, estimer qu'il s'agit ici d'un acte présidentiel qui pourrait s'apparenter à un plaider coupable. Ou du moins que l'on pourrait prendre comme tel de façon au moins aussi sérieuse que le font les analystes de plateaux avec leurs théories sur les dangers de la violence populaire. 

Lançons-nous dans un jeu d'esprit qui pourrait nous éclairer. 

Si nous observons la définition proposée par le petit Robert nous ne pouvons faire que constater la réalité des troubles dans notre pays.

Quelle est l'origine de ces troubles? 

Ce n'est pas la proposition d'une réforme de retraites, si impopulaire soit-elle. Cette proposition de réformes a suscité une opposition déterminée mais totalement respectueuse des règles du jeu. Ces respectabilité et responsabilité des manifestants n'ont d'ailleurs cessé d'être mises en avant, louées et félicités par la quasi totalité des acteurs : responsables syndicaux, journalistes (les vrais et ceux "de plateau") mais aussi les membres du gouvernement.

La situation a commencé à s tendre parce que le gouvernement, en dehors des félicitations adressées à sa forme, ignorait totalement cette opposition. Depuis le début du mouvement social, les syndicats ont été reçus par les ministres concernés à peu près zéro fois. 

Alors que les sondages expriment un rejet massif de la proposition de réforme et que les manifestants se donnent rendez vous par millions dans les rues nous sommes obligés de reconnaitre à nos contradicteurs que les sondages ne gouvernent pas et n'ont aucune valeur scientifique ni que les 3 millions de manifestants ne font pas une majorité. 

Tout de même, on se questionne. Aucun sondage n'est venu traduire un éventuel soutien majoritaire à la réforme. Aucune voix n'est venu briser l'unité du front syndical. Et le nombre de manifestants n'a fait que croitre. Les reportages des chaines d'informations en continu peinent à trouver des voyageurs excédés critiquant la réforme. On y voit une quasi unanimité des automobilistes pourtant coincés dans les embouteillages mais soutenant la grève, des gens privés de train applaudissant les manifestants, des automobilistes à la traine des opérations escargots qui crient leur soutien aux convois rouges. Il n'y a qu'à l'opéra de Lyon que l'on a pu entrevoir de l'hostilité. Venant de la grande bourgeoisie cette inimitié ne peut être qu'honorifique. 

Bref, tous ces indices ne sont la preuve de rien du tout mais signes d'interrogations sur notre société et ses institutions. Alors, interrogeons nous sur la Constitution de 1958.

En effet, malgré les millions de manifestants et la durée du conflit, aucun incident n'était à déplorer jusqu'à la semaine dernière. Ce qui a provoqué les premiers troubles est le fait que le gouvernement n'ait pas accordé aux représentants du peuple la possibilité de s'exprimer sur le texte de la réforme lui-même. N'ayant pas l'assurance que les représentants du peuple allaient voter dans le bon sens, le gouvernement a préféré les priver de la possibilité de se tromper. Il s'agit d'une procédure légale, prévue par la Constitution de notre république. Le 49.3. 

C'est là qu'il y a un bug.

Cette Constitution affirme dès l'article 2 que le principe de la république est le "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". Puis dans l'article 3 que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum". 

Ainsi nos interrogations précédentes deviennent vertigineuses : si la majorité du peuple ne voulait pas de cette réforme de retraites, aurait-elle un moyen de le faire savoir? En toute logique elle le devrait. Ou bien alors les mots gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple n'ont plus de sens. Et l'alinéa 1 de l'article 3 devient caduc aussi car la souveraineté ne saurait connaitre un tel empêchement. 

Imaginez une telle situation où une majorité souhaite urgemment dire quelque chose mais en est empêchée malgré les innombrables cris qu'elle pousse. On se retrouve tels des noyés hurlant sous l'eau. En vain. 

Et ce qui empêche ces voix de porter est prévu par la même Constitution. Ce texte prévoit donc une souveraineté inaliénable mais aussi les conditions de son aliénation. L'alinéa 1 de l'article 3 pourrait, pour plus de clarté, être ainsi complété : la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum sauf cas exceptionnels où la volonté du peuple souverain est jugée inappropriée par le président. 

Dire simplement, comme le fait M Macron, qu'on assume ou que cette procédure du recours au 49.3 respecte les institutions et la Constitution n'est pas suffisant. Pas parce que ce qu'il dit serait faux. Bien au contraire. C'est insuffisant car notre Constitution ne permet pas à la volonté populaire de s'exprimer en toute circonstance, et ce quelque soit son caractère massif et unanime. 

Les experts gouvernementaux nommés Borne ou Dussopt ont décidé que la réforme était essentielle et le peuple doit l'accepter. Peu importe ce que pense celui-ci et même ses représentants.

Voilà donc ce qui a provoqué les premiers troubles : un usage strict d'une Constitution qui permet de mettre le souverain (i.e. le peuple) et ses représentants en sourdine. 

Dans le définition du petit Robert il reste à éclaircir cette question de "pouvoir établi". Le système représentatif entraine automatiquement une délégation de souveraineté que la multitude des citoyens accorde à ses différents représentants. Mais il y a un représentant qui dispose grâce à cette Constitution elle-même des moyens de neutraliser tous les autres, et il s'agit du président de la République. 

Nous avons vu plus haut que l'article 2 et son gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple n'est qu'une déclaration de principe qui ne résiste pas longtemps à la réalité du système représentatif lui-même, que l'alinéa 1 de l'article 3 peut être rendu caduc sur décision du président ou de son gouvernement de même que l'article 24 qui débute ainsi : "Le Parlement vote la loi." (on pourrait insérer ici le même complément que pour l'article 3, écrit en gras plus haut). 

A ce moment précis de ce texte, il serait opportun de citer l'alinéa 2 de l'article 3 de la Constitution : "Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice". Pour la bonne compréhension, rappelons qu'il est là question de la souveraineté au sujet de laquelle l'alinéa précédent affirmait qu'elle appartenait "au peuple"

Donc, si nous lisons bien, ni M Macron ni personne (pas même Zinedine Zidane au sommet de sa gloire, c'est dire!) ne peut s'attribuer personnellement l'exercice de la souveraineté. Sauf que dans les faits, comme nous l'avons vu, il peut suspendre la souveraineté populaire grâce à la délégation de pouvoirs que lui a accordé le peuple souverain lors de l'élection présidentielle. Or, le peuple, d'après cette même Constitution, peut élire des représentants mais ceux-ci ne peuvent s'attribuer l'exercice de la souveraineté qui reste en dernière instance la propriété exclusive du peuple. 

Nous avons donc la possibilité d'une situation où la souveraineté du peuple se voit suspendue par la décision du président, ou plus précisément  de son gouvernement. Mais lors de cette suspension, qui se retrouve souverain à la place du souverain suspendu? De fait, c'est le président à travers la voix de son gouvernement. Situation totalement inconstitutionnelle prévue par la Constitution - on peut appeler cela le paradoxe de la 5ème. 

Mais, nous dira-t-on, les représentants du peuple disposent d'un outil pour exprimer leur voix : la motion de censure! Notons déjà que la possibilité de s'exprimer ne descend que d'un seul étage, s'arrêtant aux représentants. Mais même ici, il s'agit d'un leurre : ce n'est pas la même chose de voter contre un projet de loi ou de voter pour faire tomber un gouvernement. Disons que la main est plus lourde et tremblante dans le 2ème cas que dans le 1er. 

M Macron est le président élu, évidemment. Mais il ne faudrait pas oublier que Emmanuel Macron est un homme exerçant une fonction. D'ailleurs on devrait plutôt dire qu'il n'est pas le président mais en exerce la fonction durant le mandat que les citoyens lui ont confié. Il ne bénéficie donc d'aucune souveraineté attachée à sa personne. Toute sa puissance lui vient en dernière instance du seul et unique souverain : le peuple. Ou plutôt, la puissance de la multitude de citoyens qui lui accordent du crédit à travers le crédit qu'ils accordent à la Constitution elle-même. 

Ainsi, on peut imaginer grâce à un exercice de pensée le moment exact où il ne reste plus qu'une minorité de citoyens qui lui accordent ce crédit. A ce moment-là, il perdrait de fait toutes ses prérogatives accordées uniquement par ce crédit. Et c'est là qu'on arrive au plus difficile.

M Macron, lui, garde une trace du nombre de suffrages exprimés comme preuve de la délégation de pouvoirs accordé par le souverain. Il se peut que ceci devienne caduc avant la fin du mandat mais l'usage veut que le "faisant-fonction-de-président" reste en place jusqu'aux prochaines élections. Ainsi par exemple, nul doute que dans les derniers mois, voire les dernières années de son mandat, François Hollande ait cessé de bénéficier du soutien et de la volonté de la majorité de citoyens de lui déléguer la souveraineté. Cependant, la situation sociale ne montrait pas de signes d'un urgent réaccordement entre la volonté du souverain (i.e. le peuple) et le résident de l'Elysée. Les troubles provoqués actuellement par les conséquences de la suspension de la souveraineté populaire nous empêchent de tirer si vite la même conclusion aujourd'hui.

Il se peut donc, que M Macron ait déjà cessé de bénéficier de ce crédit évoqué plus haut accordée par la puissance de la multitude des citoyens. Mais il n'y a qu'une seule façon de le vérifier et c'est en redonnant la voix au souverain d'une manière ou une autre. En mettant fin à la suspension du droit à la parole du souverain. Mais malheureusement, la Constitution prévoit que c'est uniquement celui qui a suspendu la voix du souverain qui peut lever cette suspension. (Si nous mettons de côté la procédure du Référendum d'initiative populaire qui, de par sa complexité, n'a que peu de chances d'aboutir) Bref, c'est la volonté d'un individu qui a les clés en main et ainsi, de fait, s'attribue l'exercice de la souveraineté. Chose explicitement interdite par la Constitution mais paradoxalement permise par celle-ci. 

Car c'est là qu'on en revient aux propos de M Macron lui-même et qu'on va cette fois-ci prendre au mot. Rappel : est "factieux celui qui exerce contre le pouvoir établi une opposition violente tendant à provoquer des troubles". 

On a donc vu que : 

-  le "pouvoir établi", représenté par le président ou le gouvernement, n'est que le délégataire d'un pouvoir qui n'appartient en dernière instance qu'aux citoyens, uniques souverains sous forme collective du peuple. 

- C'est parce que la multitude de citoyens accorde du crédit (dans tous les sens de ce terme) à une personne, quelle qu'elle soit, que cette dernière a du pouvoir. En règle générale, cette délégation respecte un certain calendrier. 

- Mais ce calendrier lui même ainsi que toutes les règles communes contenues par la Constitution n'ont de la valeur que du moment où une multitude de citoyens leur prêtent du crédit.

- Si au cours d'un mandat, un ou des factieux se mettent à exercer une opposition violente contre le pouvoir établi, le corps social se doit de s'élever contre le factieux en question car il en va de sa souveraineté.

Mais si c'est le délégataire du pouvoir lui-même, le représentant du souverain, qui s'adonne à l'exercice d'une opposition violente contre le souverain lui-même provoquant ainsi des troubles? 

Dans ce cas précis, le peuple souverain se trouve dans un angle mort où sa voix ne peut avoir aucun poids malgré le souveraineté qui lui est accordé par principe. La Constitution de la 5ème république permet ainsi à une telle situation de se produire. 

Le problème est donc que notre Constitution qui fixe les règles du jeu n'a pas prévu une possibilité pour le souverain de s'exprimer en dehors du calendrier officiel sans autorisation du délégataire de pouvoir. Ou plutôt : ce dernier peut en toute légalité et constitutionnalité organiser la suspension de la souveraineté du souverain. 

On pourrait donc dire qu'entre deux élections, la démocratie peut être en suspens. Le souverain, en délégant le pouvoir, délègue aussi toute expression. Il se doit d'être muet quand ce n'est pas l'heure de parler. 

Un tel souverain mérite-t-il encore son qualificatif? Un tel régime peut-il être qualifié de démocratique? Tant de questions que pourrait soulever cette déclaration de M Macron si et seulement si nous nous questionnions collectivement sur le sens que l'on donne réellement à ses mots. 

On nous rétorquera bien sûr que, en suivant mon raisonnement jusqu'au bout, il y a le danger de l'anarchie. Cette accusation ne fait que traduire une croyance en une incapacité fondamentale des citoyens à assumer le rôle qu'on prétend leur donner. Ce n'est donc pas pour rien que la Constitution elle-même affirme la caractère définitif de la souveraineté populaire en même temps qu'elle définit les possibilité de sa mise en suspens. 

Nous voyons à travers ce jeu d'esprit que les factieux pourraient être d'autres que ceux que l'on pointe du doigt. Et que nos revendications politiques, pour être tout à fait conséquentes ne devraient pas se limiter au délogement d'un "forcené". On devrait aussi œuvrer à éliminer, dans les structures et les institutions de notre société, tout ce qui permet une telle situation. 

Identifier les factieux est une première étape nécessaire. Comme le dit l'adage enfantin, c'est parfois celui qui dit qui l'est. 

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