Jean-Paul Sartre disait que l'enfer, c'était les autres. Aujourd'hui on assiste à une situation où une grande masse de la population a adopté comme mode d'existence la devise inverse : mes défenseurs, c'est les autres. Loin qu'il s'agisse ici d'un signe d'ouverture d'esprit, de regain de tolérance et de recul des idées xénophobes et racistes, il y est question en fait d'une espèce de paresse physique autant qu'intellectuelle ainsi que d'une peur aux conséquences potentiellement désastreuses. Il se pourrait même que l'adhésion à cette devise nous mène droit vers une société ouvertement fasciste.
Alors, chèr.e concitoyen.ne, t'y reconnaitrais-tu qu'il ne s'agira pas de t'en prendre à moi, car les remarques et les réflexions qui suivent te sont adressées autant qu'à moi. Si la situation n'est pas satisfaisante ce n'est pas à cause de tel ou tel coupable mais bien parce que nous avons, collectivement, échoué quelque part. La solution ne peut être que collective et c'est pour cette raison que je t'invite à faire acte de réflexion sur le sens que tu accordes au collectif ainsi que sur ta contribution à celui-ci. J'en fais de même de mon côté, sois en assuré.
Deux mois sont passés depuis le 19 janvier et nous n'avons rien obtenu si ce n'est la répression et la négation.
Répression de nos voix, tant policière que parlementaire. Nous sommes dispersés à coups de matraques, bombes lacrymogènes et autres armes plus ou moins létales. Notre seul tort est de croire parfois que notre parole ainsi que nos mouvements sont libres. On nous a par ailleurs inculqué dès le plus jeune âge que pour aborder des sujets sérieux nous ne devons surtout pas prendre la parole mais la déléguer. La parole médiée, diluée, est la seule acceptable. Une prise de parole directe est au mieux considérée comme du mauvais goût, au pire comme une violence à réprimer.
Mais voilà que nos représentants, qu'on a élus bien sagement, et bien on leur coupe le sifflet aussi. Ils nous représentent mais on leur interdit de s'exprimer en défaveur d'un projet qui nous est à tous nuisible. Cette situation met à jour l'envers du décor. La démocratie tant vantée ne serait que du carton.
Notre parole étant soit étouffée, soit niée, la démocratie n'existe tout simplement pas dans les faits. On nous enjoint d'attendre son retour, quelque part au printemps 2027. Mais d'ici là, on continuera de nous cogner, bâillonner, terroriser en son nom.
Les matraqueurs et les grenadiers sont légitimés par elle. Tous, jusqu'à la moindre brebis galeuse, qui dans son troupeau de brebis ayant contracté la gale n'est que difficilement identifiable, tous sont légitimes!
L'éborgneur ? Légitime. L'arracheur de main ? Légitime. Le raciste ? Légitime. Le sexiste ? Légitime. L'agresseur sexuel ? Légitime. L'ouvreur de crâne ? Légitime. Même les assassins sont légitimes ! C'est dire. Mais nous ? Illégitimes !
Nous osons prendre la parole à la place de nos représentants (qui n'y ont pas droit), sur un sujet que nous ne comprenons pas (malgré une campagne de "pédagogie" soutenue) et pour dire des inepties (i.e. un désaccord avec les sachants légitimes). Nous refusons en quelque sorte notre statut de troupeau. Voilà pourquoi nous sommes illégitimes.
Mais qu'à cela ne tienne, nous sommes en résistance. Alors assumons le statut qu'ils nous donnent et allons chercher ce qui est à nous : nos voix et nos dignités. Mais surtout notre souveraineté sur nos propres vies. Dans ce combat, la force répressive est de leur côté. Du nôtre, il y a le nombre. La preuve, leur popularité est inversement proportionnelle à la nôtre et ce d'après tous les instituts de sondages, pourtant détenus par eux. Dans tous les reportages de leurs chaînes dans lesquels ils cherchent à montrer le mécontentement que l'on provoquerait chez nos concitoyens, on ne trouve que des soutiens.
S'il existait le moindre fléchissement du niveau de popularité de notre mouvement ça se saurait. Les gros titres se chargeraient de fertiliser ces graines de résignation. Mais il n'y en a pas. Ainsi, si malgré tous leurs efforts et leur expertise dans la malinformation, ils n'arrivent même plus à trouver des figurants prêts à servir leur cause, c'est que l'unanimité est gigantesque, et elle est de notre côté.
Et pourtant, malgré ce nombre en guise d'atout principal, il nous manque l'unanimité dans sa détermination. Si 70% de la population nous soutient, alors les quelque 3 millions de manifestants sont largement insuffisants.
Il est temps que chacun de ces soutiens entende la vérité du moment : confirmer un soutien à un sondeur ou à un journaliste qui nous pousse à l'accusation ou même applaudir le cortège depuis la fenêtre de son bureau... ce ne sont pas des actes politiques à la hauteur du moment. Le moment a besoin d'un nombre qui se voit, qui déborde, qui inonde, qui envahit, qui désarme toute opposition. Le moment a besoin d'une détermination qui n'obéit plus qu'à elle-même dans l'unique but de reprendre ce qui est à nous.
Obéir aux donneurs d'ordre n'est plus à l'ordre du jour. Que les ordres proviennent des ministères ou des communiqués intersyndicaux, notre détermination doit tous les déborder. Si nous ne le faisons pas maintenant que ce moment rare est là, maintenant que nous avons su le créer, il ne sera pas seulement trop tard pour nos retraites mais trop tard aussi pour tout le reste.
Oui, chèr.e concitoyen.ne, toi qui nous soutiens mais qui ne t'engages pas parce que, dis-tu, la (en fait c'est TA) priorité ce serait plutôt l'écologie avec la catastrophe climatique qui vient, ou bien le soutien aux migrants parce que leur situation est plus alarmante que la nôtre, ou encore la destruction de l'école publique parce que vois-tu, il s'agit de l'avenir de nos enfants. Toi qui nous soutiens mais qui ne t'engages pas parce que tu ne crois pas à ce mode de lutte car tu es contre "le verticalisme des centrales syndicales". Toi qui nous soutiens mais ne t'engages pas par manque de temps ou à cause d'un quelconque projet à terminer. Ou par manque de courage. Ou simplement par l'habitude de compter sur les autres. Vois-tu chèr.e concitoyen.ne, que les raisons sont nombreuses.
Mais sache aussi que nous tous qui sommes là, dehors, avons des projets à terminer, des enfants à élever et nourrir, une conscience écologique au moins autant développée que la tienne, un antiracisme chevillé au corps, une conscience des dangers qui pèsent sur les écoles publiques ainsi que sur tous nos communs. Sache surtout que nous avons besoin de toi autant que tu as besoin de nous. Tu peux compter sur nous mais nous devons pouvoir compter sur toi.
Si nous continuons à ce rythme, sans un saut quantitatif et qualitatif de notre mouvement, nous perdrons, le feu se consumera et nos espérances avec.
Qui les arrêtera alors lorsqu'ils attaqueront notre travail qu'ils considèrent comme pas encore assez aliénant? Lorsqu'ils attaqueront nos écoles qu'ils jugent pas encore assez consacrées au tri et à l'exclusion? Lorsqu'ils attaqueront notre système de santé à propos duquel ils ne cessent de pointer la trop grande "générosité" (ne pas mourir d'une pneumonie lorsque vous êtes pauvre est donc considéré comme un cadeau)? Lorsqu'ils privatiseront toutes les ressources naturelles pour les saccager au profit du profit financier et des règles du sacro-saint marché (la guerre de l'eau ne fait que commencer et Sainte Soline nous a montré de quoi était capable leur camp)?
Et qui les arrêtera, lorsque en guise de contrefeu à tout cela ils se mettront à la chasse aux boucs émissaires que sont habituellement les immigrés, de préférence pauvres, ou bien des pauvres, de préférence d'origine immigrée, ou n'importe quelle autre catégorie de la population qui satisfait ces critères : être minoritaire, pauvre, faible, et bien sûr n'y être pour rien dans tous nos problèmes!
Voilà le programme du futur proche. Les plus perspicaces y auront reconnu bien des traits du fascisme. Mais ce fascisme qui vient se combat maintenant. L'histoire nous a montré qu'il est trop tard passé une certaine heure. Donc trop tard pour attendre 2027. Même le 6 avril de la semaine prochaine parait lointain, et on a envie de crier aux oreilles de l'intersyndicale cette urgente nécessité du nombre et cette nécessaire urgence de la détermination!
Le nombre déterminé : voilà l'unique chose qui peut faire basculer les choses en notre faveur, mais aussi faire basculer l'histoire.
Donc, les empêchements sont parfois réels. Je le sais bien. Mais ils sont à réinterroger en permanence au vu de la situation et des enjeux.
Priorité à l'écologie, les migrants, les services publics, l'antiracisme...? Toutes ces questions ont pour condition nécessaire un succès du mouvement actuel et de la souveraineté qui en est l'enjeu.
Le manque d'argent? Les rassemblements du soir et du weekend ne font pourtant pas le plein.
Par contre, en ce qui concerne les paresses et les peurs, celles-ci doivent être mises de côté, chez tout un chacun et dans les intersyndicales. Car la paresse ou la peur, ainsi que ses variantes comme la timidité ou l'hésitation, nous feront mourir à petit feu. Ce qui nous garde en vie c'est donc la détermination du nombre ainsi que le nombre déterminé.
Que cela soit dit et entendu!
Alors, chèr.e concitoyen.ne, à chacun de mesurer les conséquences de ses actes ou de l'absence de ceux-ci.
S'engager ne va pas sans certains désagréments. Tout engagement porte une part de sacrifice : d'argent, de temps, d'énergie... Mais on sait aussi que le prix du désengagement est bien plus conséquent.
Chèr.e concitoyen.ne, faisons le nombre, soyons déterminé.e.s, soyons camarades. Sinon, nous ne serons que ce qu'ils voient en nous : des riens. Des complices impuissants du pire.