Après avoir publié Tout bouge autour de moi de son ami Dany Laferrière, l'écrivain et éditeur Rodney Saint-Éloi signe maintenant son propre livre sur le séisme qui a ravagé son pays. Mais Haïti Kenbe La! est plus qu'un témoignage. C'est un livre utile, un guide, un mode d'emploi, et, bien sûr, une œuvre poétique. Par Chantal Guy.
Installé au Québec depuis une dizaine d'années, Rodney Saint-Éloi travaille d'arrache-pied pour faire se rencontrer les littératures haïtienne et québécoise par sa maison d'édition Mémoire d'encrier, qu'il a fondée en 2003. Le 12 janvier, il était en Haïti pour ça, c'est-à-dire pour la littérature, au festival Étonnants Voyageurs. Puis, l'horreur est arrivée. «Et l'horreur est maintenant en moi», dit-il.
Sa passion pour son pays natal n'a d'égale que son amour pour la littérature. Il est un merveilleux professeur pour faire comprendre Haïti et ses écrivains, c'est d'ailleurs ce qui a totalement charmé Yasmina Khadra qui signe la préface de Haïti Kenbe La! - qui veut dire en créole «Haïti, redresse-toi!».
Mais toute passion est douloureuse, en particulier pour l'exilé. De retour au Québec après avoir vu le pire, c'est par les mots qu'il a voulu aider Haïti. Il est de toutes les manifestations littéraires sur le sujet, il a publié chez lui le livre de Dany Laferrière, son «frère», il travaille à un ouvrage collectif sur la reconstruction d'Haïti. Mais pour l'instant, il parle de son livre, publié chez Michel Lafon - car à Mémoire d'encrier, il n'aurait pas pu s'occuper de sa promotion - dans lequel on peut lire: «Le vrai remède à la douleur, c'est d'avoir les mots justes pour la secouer et la circonscrire. Sinon, elle résiste longtemps après et gangrène tout.»
Photo: Robert Skinner, La Presse
S'il l'a écrit, c'est pour à la fois pour arrêter la progression du «goudou-goudou» - le nom que les Haïtiens ont donné au séisme d'après le bruit qu'il a fait - et pour expliquer aux lecteurs intéressés par la tragédie le fait que depuis 200 ans, l'histoire d'Haïti est en fait une suite de séismes. «Il faut comprendre que les problèmes qu'il y a en Haïti depuis le 12 janvier étaient là avant, dit-il. Le séisme a eu un côté égalitaire dans cette société profondément divisée et injuste. Tout le monde était touché.»
Cette suite de séismes, c'est la colonisation, l'esclavage, l'occupation, les élites «dégoûtantes», les dictatures, qui ont laissé de profondes séquelles dans ce pays que l'on nommait pourtant la Perle des Antilles. «Je voulais écrire un livre utile, qui pourrait accompagner un certain nombre de questions sur Haïti, explique-t-il. Trop souvent, les gens ont des clichés sur ce pays. Montrer ce grand goût de vivre, ne pas sombrer dans le misérabilisme. Ce peuple-là s'accroche à la vie. C'est un défi à l'humanité.»
Les dangers du concept de résilience
En effet, on a vu la grande force de ce peuple dans l'inimaginable. Mais Rodney Saint-Éloi s'indigne contre le concept de résilience qu'on a rapidement appliqué aux Haïtiens. «Il ne faut pas voir les Haïtiens comme des extraterrestres qui seraient immunisés contre la douleur, dit-il. C'est un être humain. Un être riche qui a été appauvri. Je pense qu'il faut appréhender Haïti dans son intimité, et il n'y a pas meilleure manière que par sa littérature. La proximité, ça aide à la tendresse et à l'amour. J'ai écrit que c'est la tendresse et la beauté qui vont sauver Haïti. Envoyer de l'argent n'est pas tout ce qui compte.»
S'il voit une chose positive à ce 12 janvier funeste, c'est par la réponse très sensible de la communauté internationale. Il dit sentir que cette même communauté qui a souvent nui à Haïti, avec de bonnes ou de mauvaises intentions, a maintenant elle-même un profond désir de changement. «On sent presque un empressement, voire un désir de changer le paradigme de l'humanitaire. Les médias rappellent tous les mois le séisme, les gens s'attendent à quelque chose. L'humanitaire, c'est qu'on ne laisse pas mourir les gens, on fait dans la charité sociale. Pour la première fois, on essaie d'introduire de l'humain dans l'humanitaire. Une grande tendresse enveloppe Haïti et ça, c'est nouveau.»
Alors oui, il fonde beaucoup d'espoir dans ce tabula rasa forcé et tragique, qui a fait tomber autant de murs que de préjugés, croit-il. «Il ne faut pas que ça repousse comme avant.»
D'un point de vue plus personnel, Rodney Saint-Éloi doit de son côté apprendre à vivre avec «l'horreur qui est en lui», se réconcilier avec ses morts. Sur place, après ces 35 secondes terribles, il n'avait que le parfum des lilas de son enfance et un poème de Davertige pour tenir le coup. Ainsi que la solidarité spontanée qui s'est créée chez les sinistrés. C'est seulement de retour à Montréal, seul dans son appartement, qu'il a compris l'ampleur de la catastrophe, et de sa peine. Aussi de l'expérience fondamentale qu'il venait de vivre. «Montréal était en fait un atterrissage. J'étais encore là-bas. On a vu tellement de gens être dépossédés de leurs corps. Tant de morts. Nous étions au plus simple de notre humanité: l'humilité. Un simple élément parmi les éléments. J'ai dû réapprendre à me réapproprier mon corps, à redevenir moi-même.»
Redevenir soi-même pour continuer à avancer. «Pour moi, l'espoir, c'est un métier. Sinon, on doit plier bagage. Il faut inventer une utopie pour Haïti. Peut-être que la communauté internationale se trompe en voulant reconstruire très vite. Trop vite. Ça prend du temps, après deux siècles de chaos. Quand bien même il y aurait neuf millions d'ONG en Haïti, ça ne suffirait pas pour construire un pays. Ce sont les Haïtiens qui vont reconstruire le pays. La communauté internationale est en train d'expérimenter un pays qui n'existe nulle part. Il faut que les gens mettent dans leur tête le mot espoir. C'est pourquoi la littérature est importante: elle met en tête l'imaginaire du pays.»
Chantal Guy
Source:http://www.cyberpresse.ca/arts/livres/201010/15/01-4332671-rodney-saint-eloi-lespoir-est-un-metier.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B12_en-manchette_425_section_POS1
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La Fleur de Guernica de James Noël et de Pascale Monnin
par Patrice Beray
Voici sans doute un des témoignages les plus inattendus sur l'effroyable séisme qui a frappé Haïti en janvier 2010. James Noël (texte) et Pascale Monnin (dessins) publient La Fleur de Guernica, aux éditions Vents d'ailleurs, un stupéfiant album jeunesse qui a fleuri comme un air d'innocence sur «l'accordéon de la mort» haïtien.«La mort n'arrête pas de gronder sous nos pieds. Parfois, même quand la terre ne bouge pas, mon corps continue de trembler.»
Prenez Rosemonde et Sismo, deux enfants haïtiens qui s'aiment comme dans la chanson. Celle dont l'air se fredonne toute une vie, dont les paroles ont une vie de fleur, que l'on jette quand elles se flétrissent, et que l'on remplace.
Donnez-leur une terre, pas n'importe laquelle, car elles ne se ressemblent pas toutes. Donnez-leur une île, même une moitié d'île, dont l'histoire a été foulée par d'autres, piétinée jusqu'en ses couches les plus enfouies.
«Je pense souvent qu'une étoile respire pour chaque vie qui brille sur la Terre (...) Après le tremblement de terre, la population des morts a explosé.»
La fleur de Guernica
À cette terre oublieuse des hommes, ajoutez-y quand même Rosemonde et Sismo.
N'oubliez pas le séisme. Le matin même, Rosemonde, «la plus belle fille de Port-au-Prince», offre à Sismo une reproduction de Guernica de Picasso...
C'est La Fleur de Guernica, celle qui survit à tout coup.
Et il n'est pas de plus grand éclat donné à la terrible réalité haïtienne que dans ces regards portés par l'innocence.
James Noël et Pascale Monnin, La Fleur de Guernica, éditions Vents d'ailleurs, 15 €.
Les éditions Vents d'ailleurs participent au festival Étonnants voyageurs qui se tient actuellement à Saint-Malo, du 22 au 24 mai. Les auteurs de La Fleur de Guernica sont également présents...
http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/patrice-beray/220510/haiti-fleur-de-peau
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Cette association d’un poète et d’une plasticienne, tous deux haïtiens engagés de manière immédiate dans l’avenir d’Haïti, nous offre un ouvrage dont la belle résonance du titre attire la curiosité et réveille plusieurs directions de l’émotion.
par Delia Blanco
La première, c’est la beauté et l’espérance de Sismo, petit garçon haïtien secoué par le tremblement de terre du 12 janvier et qui est amoureux de la belle Rosemonde, petite fille artiste en herbe au trait habile et talentueux, qui lui fait découvrir le fameux Guernica de Picasso, la veille de la catastrophe de Port-au-Prince.
Dans le tableau du maître, Sismo retiendra l’image de la fleur qui reste intacte au milieu des ruines... et tout en découvrant l’œuvre et la fleur, éclate la secousse et l’effondrement avec cette image du poète James Noël... Puis ça sera le tour des autres maisons de tirer l’accordéon de la mort en cascades.
Les pastels magnifiques de Pascale Monnin viennent accentuer la poétique de la douleur et du drame avec des couleurs fushia et bleu indigo qui remettent sur les ruines la force de la vie.
Sismo parle comme un enfant d’Haïti, plein de sagesse et de raffinement porté par les mots, c’est lui aussi un poète et tous les traits physiques que lui offre l’illustratrice ne vont pas sans nous faire penser à James Noël en préadolescent, surtout dans les pages où Sismo est à table, face au poisson gros sel préparé par sa mère.
Ce livre nous plonge dans la tragédie et l’angoisse des enfants face à ce drame, et en même temps nous incite à recevoir la force, la vision et l’engagement des nouvelles générations avec leur pays à reconstruire.
Grâce à La fleur de Guernica, un nouveau pays se met en marche, porté par les nouvelles générations d’enfants et de jeune, futurs citoyens qui redonnent à leur nation une direction nouvelle.
Après l’angoisse de la perte ou de la mort, la vie revient tout comme Rosemonde, retrouvée par miracle sous les décombres, intacte, au milieu des ruines.
Dans les deux dernières pages nous découvrons une peinture magnifique d’une belle Rosemonde aux allures indigènes à la manière du dessin et du trait de Gauguin, et où le rouge et le bleu s’allient dans un mouvement de touches blanches qui mettent fin au deuil, dans la profondeur du regard et du glissement de la bouche de Rosemonde.
Ce livre est un bijou issu de terribles circonstances et porté par les deux cœurs de deux artistes haïtiens contemporains qui regardent vers l’avenir.
C’est un document essentiel pour toutes les écoles primaires, les professeurs peuvent en faire plusieurs usages parce que l’espoir y est merveilleusement dit et peint.
Il est important de faire circuler ce livre car il nous invite à nous atteler à une chaîne de solidarité éducative tout en soutenant le reboisement et le développement durable dans la zone de Port-Salut.
Il nous permet également, en Haïti comme dans notre région Caraïbe, d’aborder les désastres climatiques et géologiques avec une dimension éducative et psychologique. De notre point de vue, ce livre devrait circuler en plusieurs langues et trouver ainsi un écho de responsabilité citoyenne globale. Magnifique initiative que nous encourageons pour que ce message poétique et visuel atteigne toutes les intelligences et tous les cœurs
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