"On l'avait annoncée d'anthologie, elle le fut.

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Avec déjà ce diaporama (réalisé par Némo), des beaux visages de toutes celles (pas assez nombreuses, heureusement sur scène la comédienne Sophie Bourel a assuré la présence féminine, avec le talent qu'on lui connaît et heureusement que "Ma nudité" de Kerline Devise fut dit deux fois, et heureusement Kermonde Fifi Lovely...) celles donc, et ceux qui font la poésie vivante d'Haïti, nous étions dans le vif du sujet.Le trio d'introducteurs, James Noël, et Néhémy Pierre n'en finirent pas d'introduire avec Rodney "Saint et Loa" concluant par son « honneur" qui n'a plus besoin d'attendre « respect," c'est fait, mon cher, et puis ils finirent. Et la poésie s'empara de toute la scène, et les musiciens Bob Bovano, le pianiste Dominique Bérose , la performance inouïe du frère Julien Delmaire en 73 étoiles, l'historique infinie lecture de "O âme, ô amour,âme amour" de Guy Régis Jr par Franck Andrieux, et Alain Mabanckou entre mille et une interviews du Professeur au Collège de France, débarquant sur scène avec en bouche les phrases de son frère Dany, et puis Louis-Philippe Dalembert qui n'était pas avec nous mais voilà, il y avait pour le servir comme un dieu le grand Arthur H. Qui n'a pas frissonné, tremblé ou pleuré comme moi (assise et pas debout contrairement à ce que Makenzy Orcel recommande dans sa "Nuit des terrasses"), à l'écoute de la voix, du piano, du pays qu'on ne quitte pas, non on ne le quitte pas, alors ce sera bien caché qu'il l'aura fait. La salle a quitté le sol, la terre, la salle ne se quittait pas, c'était la poésie, c’était Haïti, et toutes les muses du monde et les muses au masculin je ne sais pas si ça existe, mais sûrement, disent merci à James Noël, à Véronique Ovaldé éditrice, à la Maison de la Poésie, il y aurait encore à dire on aura le temps, mais quand on a eu la chance d'en être on prend dès qu'on le trouve celui de dire ce bonheur là, on le partage." Valérie MLM

73 raisons de lire cette anthologie
par Julien Delmaire
Il faut lire ce livre parce que le sang a trahi chaque battement de mon cœur
Il faut lire ce livre parce que j’ai mal au monde
Il faut lire ce livre parce que les bancs n’ont plus personne à qui parler
Parce que le temps que j’habite n’a pas de portes
Parce que je suis une ombre bleue, avec un sexe tout bleu, nageant dans une hypothèse bleue
Parce qu’il est grand temps de rallumer les étoiles
Parce que ça crie, ça hèle de partout des images d’horreurs
Parce qu’attention aux cintrages et aux zigzags du raisonnement
Parce que l’idéal vent soufflant des chaises tient une fleur en mémoire
Il faut acheter ce livre parce qu’il pleut des confettis de feux sonores dans la nuit d’encre
Il faut acheter ce livre parce que tu sais, c’est par ces lèvres-là que s’ouvre toute la beauté du monde
Il faut acheter ce livre parce que toute ma vie, j’ai chassé le vent j’ai labouré le rêve
Parce que le jour se lève jusqu’à sa trémulation dans le souffle de l’Homme
Parce que j’ai dans le corps des manières de torrents en délire
Il faut voler ce livre parce qu’être étranger même dans sa ville natale, nous ne sommes pas nombreux à bénéficier d’un tel statut
Il faut voler ce livre parce que les idées ont perdu leur collier de paroles
Il faut voler ce livre parce qu’il ne faut pas déranger le poète, il n’y a pas de réponses au numéro que vous avez composé.
Parce que tu n’as rien oublié, ni briquet, ni stylo, ni clés
Parce que nous sommes des villes disparues
Il faut chérir ce livre parce que là-bas vers le sud les morts sont à l’étroit dans nos mémoires
Il faut chérir ce livre parce qu’ à présent que tous les pas sont perdus, une ombre s’abat sur nos visages
Parce que l’oreille entend bien sans être visionnaire
Parce que je suis dans la gravitation céleste des Carmélites
Parce qu’on ne quitte pas ce pays, on ne le quitte pas
Parce qu’Aphrodite a pris sa retraite
Parce que l’espoir est un soleil impair
Il faut rêver ce livre parce que nous ne voulons plus la guerre qui ravage nos fleuves, nos mers
Il faut rêver ce livre parce que nous n’aurons jamais droit aux larmes, nous n’aurons jamais droit à nos cris, nous n’aurons jamais droit à notre sépulture
Parce que j’aime ces journées pleines de soleils d’enfants
Parce que les tiroirs ont les tire, les lits ont les défait
Parce que tous les chagrins du monde se sont engouffrés dans mes songes
Parce que le sang parodie la rage
Parce que tu as raison manman ces roches c’est pour marquer le temps immobile en transit sous mes pas
Parce que dans la poussière de tes pantoufles s’élevait le désir de palper l’invisible, l’inexistant
Il faut protéger ce livre parce que les vents qui nous traversent chevauchent le pavé du brouillard
Parce que faire semblant, hésiter, c’est une forme de vie comme une autre
Il faut protéger ce livre parce que le poème sent le cafard, le poème sent la cigarette, le poème s’étend dans la cendre
Parce qu’il pleut des mots au bout des rêves
Parce que la pluie est une blessure au ventre de la terre
Parce que nous sommes à jamais capturés par l’ici
Par ce que c’est là, à cet instant-là pourtant que la vie se bouture
Il faut dévorer ce livre parce que la jactance a des manières infidèles
Il faut dévorer ce livre parce que nos sensations sont des personnages, des fantômes qui viennent de loin
Parce qu’il n’y a que des poèmes et tes seins sont des notes, des notes roses de blues
Parce qu’il y a l’alcool, ce soir et toi peut-être qui jouis
Parce qu’un jour les muses poseront nues pour les poètes
Parce qu’il y a ta bouche de fleur et d’ombre
Parce qu’il n’y pas de musique, mais je danse
Il faut baiser ce livre parce qu’on est jamais trop loin de l’aube
Il faut baiser ce livre parce que toute parole qui longe le noir est frisson, grincements de dents
Parce que c’est à ta nudité que la beauté revendique son origine
Parce que la rupture est ailleurs
Parce que j’aime quand la puanteur se mêle à la pureté de ton corps
Il faut brûler ce livre parce que j’ai de nouvelles empreintes digitales pour regagner une place sur la terre
Il faut brûler ce livre parce que j’aimerais tant que tu te rappelles la bave du souffle et le pigment de la pierre
Parce qu’il y a sûrement un poème dans ce retard que j’aime
Parce que la nuit est bleue et le jour fané
Parce que quand un homme souffre, il souffre seul
Parce que lorsqu’un monde bascule, il y a des mots qui m’effacent
Parce que pour certaines choses de la vie, il faut plus qu’un poème
Parce que les villes ont leurs destinations secrètes
Parce que nous attendons le silence qui nous conduira vers les saisons nouvelles
Il faut lire, il faut acheter, il faut chérir, il faut rêver, il faut protéger, il faut dévorer, il faut baiser, il faut brûler ce livre parce qu’il ne reste aucun mystère sous la montée des vagues
Il faut lire, il faut acheter, il faut chérir, il faut rêver, il faut protéger, il faut dévorer, il faut baiser, il faut brûler ce livre parce qu’il ne reste aucun mystère sous la montée des vagues
Il faut lire, il faut acheter, il faut chérir, il faut rêver, il faut protéger, il faut dévorer, il faut baiser, il faut brûler ce livre parce que nous récoltons le plaisir et des patates douces à pleines mains
Parce qu’il arrive que je me dépossède de ma propre présence
Parce que j’ai tout appris dans ton silence
Parce que je veux remplir d’admirations et de mirages nos mains vides
Parce que lente, la vie, très lentement te brûle mais sans que tu flambes !
Parce que j’ai appris dans ton ombre le secret de l’abandon
Parce que je t’aime à l’encre noire, je t’aime toi ma vie ma chanson de toujours
Parce que mes mots baignent dans le feu carnivore
Parce que j’ai entendu des bonnes nouvelles on a dévoilé le sexe des anges
Parce qu’il faut lire, il faut voler, il faut chérir, il faut rêver, il faut protéger, il faut dévorer, il faut baiser, il faut brûler.
Cut-Up réalisé à partir de l’Anthologie de poésie haïtienne contemporaine. Julien Delmaire. Montreuil. Mars 2016