James Noël
Poète, écrivain, maître d'oeuvre de la revue IntranQu'îllités (une boîte noire des imaginaires)
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Billet de blog 27 janvier 2012

James Noël
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Le romancier franco-algérien Yahia Belaskri et le poète haïtien James Noël échangent leurs points de vue sur le printemps arabe

Printemps…J’ai laissé une mer(e) et franchi l’autre. J’ai laissé mes sœurs et agrippé mes filles. J’ai laissé mes frères et accroché mon fils. J’ai abandonné ma terre et ses cimetières. J’ai fui ma défaite et mis genoux à terre. Je n’ai enterré ni mère ni père ; j’ai enfoui mes illusions. Je n’ai enterré ni frères ni sœur ; j’ai fait le deuil de mes rêves et endossé les tourments.

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Printemps…

J’ai laissé une mer(e) et franchi l’autre. J’ai laissé mes sœurs et agrippé mes filles. J’ai laissé mes frères et accroché mon fils. J’ai abandonné ma terre et ses cimetières. J’ai fui ma défaite et mis genoux à terre. Je n’ai enterré ni mère ni père ; j’ai enfoui mes illusions. Je n’ai enterré ni frères ni sœur ; j’ai fait le deuil de mes rêves et endossé les tourments.

Et vous ? Vous avez pris nos corps et les avez flagellés. Vous avez pris nos mains et les avez entravées. Vous avez pris nos jambes et les avez ligotées. Vous avez pris nos bouches et les avez bâillonnées. Vous avez pris nos cœurs et les avez essorés. Vous avez pris nos ventres pour y creuser des gouffres. Vous avez pris nos vies et joué de nos envies. Vous avez pris nos aspirations et les avez broyées. Vous avez pris notre air et l’avez pollué. Vous avez pris nos mots et les avez pervertis. Vous avez arraché notre verbe et soufflé la haine dans nos veines. Vous avez épouvanté les faibles et terrorisé les poètes.

Que reste-t-il ? Il reste vos mensonges comme autant de plaies à saigner. Il reste vos mythes dans nos mémoires comme autant de dagues plantées. Il reste les cicatrices que vous nous avez infligées. Il reste vos morsures dans nos dos endoloris. Il reste la souillure que vous avez ensemencée. Il reste les sanglots dans les gorges trahies.

Et l’avenir ? Il n’est ni à écrire ni à réinventer. Il est à faire, il est à eux. Eux ? Ceux qui, avec rage et colère, crient, hurlent et éructent.Ceux qui disent la hogra et s’improvisent harragas. Ils  veulent mordre dans la vie car ilssont jeunes et veulent vivre.Vivre libres et dignes, sans vous, ni votre prétendue légitimité. Sans crocs, les vôtres.

Printemps ? Sans doute, un printemps qui ignore le cycle normal et ne veut rien céder à l’automne des chimères, encore moins à l’hiver rude des prédateurs. Printemps, sonore, vociférant, à renouveler sans cesse pour effacer les brutalités et les humiliations.

Yahia Belaskri

                                           « Une porte s’ouvre à moi, j’entre et me trouve avec cent portes closes » 

                                                                                                                      A. Porchia

Téléphone arabe

C’est par le téléphone arabe que j’ai appris la révolution en Tunisie. Pour avoir une idée plus claire du bruit et de la fureur de ce que l’on me rapportait,  j’ai allumé la télévision. Le présentateur parlait du risque d’un effet boule de neige qui pourrait se propager dans toute la zone. Comme par magie, l’expression boule de neige a fait effet et s’est répandue sur toutes les chaines de télévision, à la manière d’un mot de passe d’un journal à un autre.

            De l’effet boule de neige, la révolution en Tunisie a appelé la révolution en Egypte et celle-ci a téléphoné à la lybienne. En Libye, les rebelles, taxés de rats par Kadhafi, pris dans l’engrenage sur le terrain, ont appelé, disons par téléphone rose le Quai d’Orsay qui d’ailleurs filait un amour médiatisé quelques années auparavant avec le dictateur. Peut-on appeler révolution une éjection rendue possible par L’OTAN, la France et compagnie ? Les téléspectateurs ont la mémoire courte, vu le trop-plein d’informations et les sous-titres. Qui se souvient que la mort d’un Kadhafi était prédite, froidement, (effet boule de neige ?) par certains politiciens sur plusieurs médias en France ? Beaucoup de gens se lamentent, après la mort du dictateur, du fait que le premier avion en partance pour la Lybie n’avait à son bord que des hommes d’affaires. Mais ça, on l’a déjà vu en Iraq.

            À qui profite ces dites révolutions qui ne transfèrent pas le pouvoir aux mains des peuples, ceux qui ont réellement souffert durant plusieurs décennies ? Ironie du sort, dans chacun des pays évoqués plus haut, le pouvoir se trouve récupéré par les partis islamistes les plus rigides ayant pour idée fixe le port du voile et  la fermeture des portes aux rêves de liberté. Avec ce schéma, la révolution arabe est loin d’être achevée. Peut-être, ne fait-elle que commencer ? Une révolution tirée par le bas, ne peut accoucher que d’autres cauchemars.

            J’ai appris aussi que ces révolutions ont été possibles grâce aux réseaux sociaux : Twitter, Facebook, BMM etc.,  ce qui donne lieu à la première révolution politique virtuelle du 21ème siècle. Mais la politique, l’économie (voyez les traders), ne font pas bon ménage avec le virtuel. Ce n’est pas sans raison qu’Edgar Morin  écrit au sujet de ces événements : « S’il n'y a pas de pensée, les forces sociales ne sont pas capables de construire au-delà de la révolte".

            Sur Playstation, on peut pousser dans le vide un Mario Bross, sans que cela n’ait d’incidence sur l’humanité. Mais les balles qui ont éclaboussé les deux yeux du jeune Ahmad Harara, héros tragique de la révolution égyptienne, sont des balles réelles. Les compassions n’ont pas arrêté de pleuvoir à coup de «  j’aime »  sur Facebook suite à ce crime aveugle opéré sur les deux yeux du jeune héros. Toutes ces manières gauches de traiter une douleur sont symptomatiques d’un mal-être profond de notre époque. Ces images malsaines diffusées sur les écrans trouvent l’aval de nos cerveaux manipulés. Ce qui fait qu’on peut voir un Saddam pendu en direct le jour de l’an, pour combler les appétits d’un Georges Busch, qu’on peut apprendre pendant qu’on mange,  le meurtre d’un Mouammar Kadhafi dans l’ambulance par ceux-là même qui le conduisaient à l’hôpital, sans qu’on ne se rende compte que, là, nous  sommes en train d’initier nos enfants à une nouvelle école des cadavres.

            Il faudrait arriver à un réaménagement de la zone frontalière du réel et du virtuel pour un rapport plus équilibré et plus sain avec le monde.

            Toutes les révolutions ne font pas le printemps. Il serait bon un jour de revisiter l’annuaire de nos officiels téléphones arabes : les médias.

 James Noël 

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