Lettre à Aimé Césaire
L’irrémédiable nous défie
La flamme du poinsettia brûle toujours
Tout comme la main ouverte du balisier
Je ne sais plus où tu habites
Peut-être la terre consanguine
Peut-être la rousseur du carême
Mais
Je te vois rocher du petit matin
Et ta couronne d’écume
Je te vois
Epée de la lave tisonnant le mot perdu
Redressant du fond des cales
La falaise effondrée par nos cauchemars
Roi
Tes ornements sont une végétation assermentée
Le libre arbitre du vent a glissé sous la porte basse
Et crache les épines d’une révolte innommable
Roi
Érigé en souffleur du volcan
On dit que vous avez ordonné aux îles d’exister
A la parole de sortir des cachots
A demain de nous regarder
Au rêve de forger la clé
Le petit cheval n’est pas mort
Et sous l’amas des décombres
Guette à portée de main l’arc-en-ciel qui frétille dans l’aquarium du ciel
Et nous avons sorti du ventre des requins les canots de sauvetage d’un soleil inconsolable
Et nous avons taillé dans le magma un trésor de fureur
L’île désormais ouvre ses branchies
Soulève les lourdes paupières métalliques de la mer
Et entend
Entend crépiter
La spirale intègre de votre voix
Ne serait-ce qu’un diamant aux yeux de la mer
Ne serait-ce qu’une poitrine à sacrifier
Ne serait-ce qu’un arbre à inventer
Qu’un écrit crayonné sur le sable
Vous nous avez donné
Et ce fruit fragile
Ce fruit caché dans un feuillage nocturne
Vous nous l’avez donné
Et puis le nid
Et puis la crique
Et puis les armes miraculeuses
Vous nous les avez donnés
Et l’odeur trop vaste des mangroves
Où macèrent les libertés futures
L’odeur de la tribu perdue
L’odeur sans pain des plantations
L’odeur rouillée
L’odeur fouillée
Mais l’odeur neuve des seins de l’espoir
Roi
La parole rallume au bout du petit matin
Toutes les étincelles d’un voyage forcé
Tout le noir d’un soleil avalé
Toute la mémoire des moissons de la mer
Et la belle orchidée qui sort sa tête comme un tour de magie
Roi
Les messages sont clairs
Ils annoncent la réconciliation de l’univers
La conjuration des fœtus d’îles
L’éventail que remue l’arbre du voyageur
L’essaim des songes
Et le baptême des orphelins
Ici et maintenant
Alors dors
Dans ton lit nuptial
Dors avec toi-même dans l’imputrescible sang qui nous guide
Dors
La négraille veille
Le peuple veille
L’humain veille
Tombeau laminaire
Nous habitons cette conscience splendide
Cet orgueil
L’orchestre d’une saison inédite
L’existence
Roi
Nous habitons désormais une pyramide scellée de sel
Un tombeau tutélaire dans l’escale du destin
La fougère souveraine au sceptre vertical
Et le tison bien pris d’un bûcher aux carats prophétiques
ERNEST PEPIN
16 Octobre 2012
Les mots d’Aimé Césaire
J’ai pu longtemps avec Aimé Césaire
En sa mairie à Fort-de-France un jour*
Évoquer ces soleils noirs qu’embrasèrent
Jadis au pays natal son Retour.
La poésie abordait un rivage
Où nul n’avait comme lui condamné
Le déni d’être, issu de l’esclavage,
Mué en leur lumière les damnés.
La Martinique était à l’altitude
Où pour chacun nouveau monde naissait,
Que l’on pouvait désigner négritude
Par quoi s’ouvrait l’implacable procès
De tous ceux-là pour qui l’espèce humaine
Prenait frontière à la couleur de peau,
De tous ceux-là qui tinrent pour drapeau
Le seul pouvoir de régner par la haine.
Ah j’aimais voir qu’un poète irradie,
Lui le maître orpailleur qui m’accueillait
Sous un ciel bleu tout parsemé d’œillets,
Avec ses mots aux reflets d’incendie.
Charles Dobzynski
* C’était en 1996. Peu après, ma revue, Europe consacra à Aimé Césaire un Numéro spécial.
la mort qui a tué Jésus
n’est pas la même qui a amériqué
Martin Luther King
la mort qui a tué Jean-Marie Tjibaou
ne parle pas la même langue
que la mort bilingue des perruches
la mort qui a tué le poète Aimé Césaire
n’est pas la soeur
de la mort sans frontière
qui a emboucané
marabouté
voire mangé
trois cent mille âmes haïtiennes
devant les fémurs tremblants
du vingt et unième siècle
le poète entretient avec les mots
une singulière proximité
mâles sont les mots
femelle est la phrase
entre les mots et la phrase
pont
n’est pas le poète
passerelle non plus
n’est pas le poète
mais la chute oblique du corps
dans le fleuve qui trépasse
la chute libre du corps
parachuté dans le dur
dans le goudron
le béton
un grand bruit de béton
de casseroles hystériques
de chats qui baisent en plein midi
c’est la mort oui
la mort ça prend de la bouteille
de jour en jour
de siècle en siècle
***
Dans le cahier amoureux de l’écolier Aimé Césaire, les mots posent nus dans les rues du poème. Comme du sang, ils s’inspirent de la même veine pour circuler librement sous les feux rouges.
James Noël
extraits de Kana sutra
Un Chant pour Aimé Césaire
Du dernier volcan est arrivé Césaire :
A chaque poème il renaît de ses cendres
Pour redonner des ailes au rêve caraïbe.
Au nord des poètes, au sud de tous les mots
Césaire a le poids d’un grand matin de soleil
Et sa lumière est attendue dans le tumulte
D’une famille de feuilles qui ne tombent jamais.
Plus libre que la flambées des saisons,
Il habite l’air chaud du vrai ciel des hommes,
Sur le dos du mot Martinique, sans escale,
Il traverse les plus grand froid du monde,
Entre étoile et mort son orient fraternel
Lève des trésors à l’horizon de nos malheurs.
Merci frère pour coté solaire en toi,
Merci pour le galop du fier petit cheval
Qui arrive en tête à la course des marées :
Césaire plus glorieux tam-tam que jamais,
Maître du satellite auquel nous confions
Les voyages de nos meilleurs arbre à pain.
Je chante Aimé Césaire : je ris, je danse de joie
Pour l’homme entêté de racines et de justice,
Je chante la force émerveillée du poète
Qui convoie la sève à la cime du fromager.
Paris, 10 déc. 1980
(Tiré du recueil, « Au matin de la négritude, paru en 1990 »)
ô lumière amicale
ô fraîche source de la lumière
ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité
ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage la terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre
ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre
ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge dans la chair rouge du soleil
ele plonge dans la chair ardente du cielel
le troue l'accablement opaque de sa droite patience.
Aimé Césaire
extrait du Cahier d'un retour au pays natal
(1939)
© Présence africaine
liens utiles:
http://blogs.mediapart.fr/blog/james-noel/051210/atelier-decriture-avec-le-poete-charles-dobzynski
http://passagersdesvents.wordpress.com/
http://www.youtube.com/watch?v=X0r3sEXNlyo