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Poète, écrivain, maître d'oeuvre de la revue IntranQu'îllités (une boîte noire des imaginaires)

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Billet de blog 27 juin 2013

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Césairement, vôtre

Lettre à Aimé Césaire

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Lettre à Aimé Césaire

L’irrémédiable nous défie

La flamme du poinsettia brûle toujours

Tout comme la main ouverte du balisier

Je ne sais plus où tu habites

Peut-être la terre consanguine

Peut-être la rousseur du carême

Mais

Je te vois rocher du petit matin

Et ta couronne d’écume

Je te vois

Epée de la lave tisonnant le mot perdu

Redressant du fond des cales

La falaise effondrée par nos cauchemars

Roi

Tes ornements sont une végétation assermentée

Le libre arbitre du vent a glissé sous la porte basse

Et crache les épines d’une révolte innommable

Roi

Érigé en souffleur du volcan

On dit que vous avez ordonné aux îles d’exister

A la parole de sortir des cachots

A demain de nous regarder

Au rêve de forger la clé

Le petit cheval n’est pas mort

Et sous l’amas des décombres

Guette à portée de main l’arc-en-ciel qui frétille dans l’aquarium du ciel

Et nous avons sorti du ventre des requins les canots de sauvetage d’un soleil inconsolable

Et nous avons taillé dans le magma un trésor de fureur

L’île désormais ouvre ses branchies

Soulève les lourdes paupières métalliques de la mer

Et entend

Entend crépiter

La spirale intègre de votre voix

Ne serait-ce qu’un diamant aux yeux de la mer

Ne serait-ce qu’une poitrine à sacrifier

Ne serait-ce qu’un arbre à inventer

Qu’un écrit crayonné sur le sable

Vous nous avez donné

Et ce fruit fragile

Ce fruit caché dans un feuillage nocturne

Vous nous l’avez donné

Et puis le nid

Et puis la crique

Et puis les armes miraculeuses

Vous nous les avez donnés

Et l’odeur trop vaste des mangroves

Où macèrent les libertés futures

L’odeur de la tribu perdue

L’odeur sans pain des plantations

L’odeur rouillée

L’odeur fouillée

Mais l’odeur neuve des seins de l’espoir

Roi

La parole rallume au bout du petit matin

Toutes les étincelles d’un voyage forcé

Tout le noir d’un soleil avalé

Toute la mémoire des moissons de la mer

Et la belle orchidée qui sort sa tête comme un tour de magie

Roi

Les messages sont clairs

Ils annoncent la réconciliation de l’univers

La conjuration des fœtus d’îles

L’éventail que remue l’arbre du voyageur

L’essaim des songes

Et le baptême des orphelins

Ici et maintenant

Alors dors

Dans ton lit nuptial

Dors avec toi-même dans l’imputrescible sang qui nous guide

Dors

La négraille veille

Le peuple veille

L’humain veille

Tombeau laminaire

Nous habitons cette conscience splendide

Cet orgueil

L’orchestre d’une saison inédite

L’existence

Roi

Nous habitons désormais une pyramide scellée de sel

Un tombeau tutélaire dans l’escale du destin

La fougère souveraine au sceptre vertical

Et le tison bien pris d’un bûcher aux carats prophétiques

ERNEST PEPIN

16 Octobre 2012

Les mots d’Aimé Césaire

J’ai pu longtemps avec Aimé Césaire

En sa mairie à Fort-de-France un jour*

Évoquer ces soleils noirs qu’embrasèrent

Jadis au pays natal son Retour.

La poésie abordait un rivage

Où nul n’avait comme lui condamné

Le déni d’être, issu de l’esclavage,

Mué en leur lumière les damnés.

La Martinique était à l’altitude

Où pour chacun nouveau monde naissait,

Que l’on pouvait désigner négritude

Par quoi s’ouvrait l’implacable procès

De tous ceux-là pour qui l’espèce humaine

Prenait frontière à la couleur de peau,

De tous ceux-là qui tinrent pour drapeau

Le seul pouvoir de régner par la haine.

Ah j’aimais voir qu’un poète irradie,

Lui le maître orpailleur qui m’accueillait

Sous un ciel bleu tout parsemé d’œillets,

Avec ses mots aux reflets d’incendie.

Charles Dobzynski

* C’était en 1996. Peu après, ma revue, Europe consacra à Aimé Césaire un Numéro spécial.

la mort qui a tué Jésus

n’est pas la même qui a amériqué

Martin Luther King

la mort qui a tué Jean-Marie Tjibaou

ne parle pas la même langue

que la mort bilingue des perruches

la mort qui a tué le poète Aimé Césaire

n’est pas la soeur

de la mort sans frontière

qui a emboucané

marabouté

voire mangé

trois cent mille âmes haïtiennes

devant les fémurs tremblants

du vingt et unième siècle

le poète entretient avec les mots

une singulière proximité

mâles sont les mots

femelle est la phrase

entre les mots et la phrase

pont

n’est pas le poète

passerelle non plus

n’est pas le poète

mais la chute oblique du corps

dans le fleuve qui trépasse

la chute libre du corps

parachuté dans le dur

dans le goudron

le béton

un grand bruit de béton

de casseroles hystériques

de chats qui baisent en plein midi

c’est la mort oui

la mort ça prend de la bouteille

de jour en jour

de siècle en siècle

***

Dans le cahier amoureux de l’écolier Aimé Césaire, les mots posent nus dans les rues du poème. Comme du sang, ils s’inspirent de la même veine pour circuler librement sous les feux rouges.

James Noël

extraits de Kana sutra

Un Chant pour Aimé Césaire

Du dernier volcan est arrivé Césaire :

A chaque poème il renaît de ses cendres

Pour redonner des ailes au rêve caraïbe.

Au nord des poètes, au sud de tous les mots

Césaire a le poids d’un grand matin de soleil

Et sa lumière est attendue dans le tumulte

D’une famille de feuilles qui ne tombent jamais.

Plus libre que la flambées des saisons,

Il habite l’air chaud du vrai ciel des hommes,

Sur le dos du mot Martinique, sans escale,

Il traverse les plus grand froid du monde,

Entre étoile et mort son orient fraternel

Lève des trésors à l’horizon de nos malheurs.

Merci frère pour coté solaire en toi,

Merci pour le galop du fier petit cheval

Qui arrive en tête à la course des marées :

Césaire plus glorieux tam-tam que jamais,

Maître du satellite auquel nous confions

Les voyages de nos meilleurs arbre à pain.

Je chante Aimé Césaire : je ris, je danse de joie

Pour l’homme entêté de racines et de justice,

Je chante  la force émerveillée du poète

Qui convoie la sève à la cime du fromager.

                                     Paris, 10 déc. 1980

(Tiré du recueil, « Au matin de la négritude, paru en 1990 »)


ô lumière amicale
ô fraîche source de la lumière
ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole 
ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité 
ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel 
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage la terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre
ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre 
ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale

elle plonge dans la chair rouge du soleil

ele plonge dans la chair ardente du cielel

le troue l'accablement opaque de sa droite patience.

Aimé Césaire

extrait du Cahier d'un retour au pays natal

(1939)

© Présence africaine

liens utiles:

http://blogs.mediapart.fr/blog/james-noel/051210/atelier-decriture-avec-le-poete-charles-dobzynski

http://passagersdesvents.wordpress.com/

http://www.youtube.com/watch?v=X0r3sEXNlyo

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