Né le 4 juin 1907 à Port-au-Prince, Jacques Roumain est un poète, romancier, essayiste, entre autres.Il est le fondateur du premier parti communiste haïtien à l'âge de 18 ans. Son roman Gouverneur de la Rosée, (œuvre posthume) est traduit dans plus d'une vingtaine de langues. L'année 2007 marquait le centenaire de la naissance de celui qui est considéré comme une boussole, une étoile polaire aux branches multiples de l'imaginaire haïtien. Pour rendre hommage à Roumain, La Direction Nationale du Livre(DNL) avait consacré une publication réunissant trente-et-un auteurs. Voici en partage ma contribution qui reste encore de toute actualité en ces périodes de crise, d’inflation, d’élections, de choléra, de désamour et de colères diverses…
(Acte 1er)
L’école haïtienne ne connaît pas l’oeuvre de Jacques Roumain. Ce qui est un scandale. Si c’était l’exact contraire qui illuminait cette phrase à savoir que Roumain est étudié dans les écoles, le scandale n’aurait perdu une syllabe de sa scansion. Le pays étant occupé par des forces étrangères, l’impérialisme américain revêt d’autres visages.Sous d’autres masques.Une occupation hologramme à multiples casquettes .La bouche des Marines est aujourd’hui française, avec pour porte-paroleune verbomane de l’hexagone. Son front pouvant être brésilien ou chilien selon la cadence. Le poumon est argentin, le coeur états-unien ou onusien.La souveraineté haïtienne bernée par un jeu d’arc-en-ciel créateur d’une chromo illusion avec pour effets spéciaux, (corollaire de cette machinerie hollywoodienne) des millions de dollars bouffés au quotidien au mépris des classes paupérisées .Que vaut l’héritage Roumain dans un pays qui a connu deux interventions de forces étrangères en l’espace d’une décennie. L’eau posthume d’une sagesse toute roumaine dans le roman «Gouverneur de la Rosée»
troublerait-elle le feu de la colère ardente d’un Jacques Majeur vivant au 21e siècle ?
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(Acte 2)
À l’ignorance classique de l’œuvre de Jacques Roumain dans les écoles haïtiennes, s’oppose un personnage devenu un mythe, dessinant son petit vol en courbes légères dans le ciel mental des écoliers en classe humanitaire: «Le papillon noir...d’Ardoin ».
Tous les écoliers haïtiens peuvent ne pas connaître leur Corioland , (ça renvoie à la vie et l’œuvre du poète Corioland Ardouin) mais tous savent par coeur l’histoire de ce papillon noir qui vint se poser sur le berceau du poète dès sa naissance. Un papillon noir dans le ciel mental des écoliers est lâché au hasard, butinant les noms de chaque auteur de la littérature haïtienne. L’ombre du papillon d’Ardoin a traversé aussi le destin ensoleillé de Jacques Roumain. L’enseignement de L’oeuvre du premier romancier majeur d’Haïti à avoir bénéficié d’une reconnaissance internationale en témoigne. Le Ministère de l’Éducation nationale n’intègre pas Jacques Roumain dans le cursus scolaire. Les quelques privilégiés qui ont côtoyé ses textes à l’école ne le sont qu’à la faveur decertains professeurs, qui ayant « le coeur en poupe », partagent avec leurs élèves une tranche du bonheur-Roumain. En dehors du maître, objet de notre attention ici, la liste noire est longue des grands auteurs dont le Ministère de l’Éducation nationale encourage l’oubli à grand renfort de silence. S’arc-boutant sur l’image brisée que nous renvoie ce miroir, on pourrait imaginer que Philoctète est inutilement venu au monde. Le Passage d’Olivier passerait pour nul et non avenu. Davertige, idem. La liste noire est longue. Lalittérature tranche ses histoires au fil du temps et du rasoir. Les auteurs n’en finissent pas d’évoluer au bon gré du papillon maléfique.
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(Acte 3)
Dans le roman « Gouverneur, de la Rosée », Manuel qui vient de découvrir la source, en confie le secret à sa dulcinée Annaïse pour éviter la perte sèche que pourrait provoquer, si jamais un malheur lui arrivait, l’oubli de l’indispensable repère. Comme prévu l’inévitable se produit. Le malheur arriva avec l’assassinat de Manuel. Le village s’abreuvera dans la joie de la découverte faite par Manuel, mais le héros n’aura pas connu de son vivant le miracle giclant sur le village. Roumain pris en étau entre la maladie et la gêne écrit patiemment «Gouverneur de la Rosée » à Mexico. Une année plus tard il rentre en Haïti pour mourir. C’est Manuel tel un Christ au Calvaire, mort dans les bras de sa mère .L’oeuvre achevée, Roumain est mort. Les causes probables en sont une cirrhose du foie, les conséquences de ses jours passés en prison, ou un empoisonnement. Entre l’assassinat de Manuel et les différentes morts simultanées de Roumain, demeure l’intemporelle source : « Gouverneur de la Rosée ».Le succès du livre est immédiat. Le roman pérennise l’existence de notre héros. C’est la source de Manuel donnée à boire cette fois à tout un peuple en proie à diverses formes de dessèchements. Manuel n’a pas connu la joie de vivre dans son bourg irrigué par l’eau de sa découverte. Après le coup de poignard qui a fait jaillir le sang de ses entrailles, il ne démord pas de sa quête et prend conscience de son sacrifice. Il évite de donner le nom de son assassin. «Paix, paix maman, paix ! » Roumain a fait de la prison à plusieursreprises, a connu bien des déboires. Ce qui n’empêche pourtant l’enfantement d’un roman bouillonnant de générosité incandescente et de transcendance désarmante. Manuel se révèle comme le copié collé, le frère siamois de Jacques Roumain.
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(Acte 4)
Mon roman a moi :
Parler de Jacques Roumain ramène à cette quête de Manuel dans « Gouverneur de la Rosée.» Parler de Manuel c’est témoigner de l’urgence de la quête de Roumain : fairejaillir l’eau dans les déserts, et les espaces intérieurs, la savane désolée des individusen mal d’humanité. Comment saisir cet homme qui a fait de la prison, a connu la honte d’une gifle publique en plein prétoire qui vient nous livrer cet insoutenable hymne à l’amour, à la santé du monde ?« Gouverneur de la Rosée, » oeuvre posthume, sans Postiches ni pastiches. Manuel est mort sans avoir fait jaillir de ses mains la source de vie qui rebaptisera son bourg d’une fraîcheur heureuse. Roumain est assassiné, absentlui-même de son propre festin, rallongeant ainsi la liste des gloires tendrement posthumes. Les frères siamois s’ils le veulent bien, ont tous par amour le droit à la même mort. Il faut donc donner à Roumain ce qui est à Manuel et à Manuel ce qui est à Roumain Peu importe que la source ait jailli des mains de Manuel ou la Rosée découlant du pur sang de Roumain. Ce qui demeure c’est l’héritage d’une œuvre forte, inscrite dans l’enclavement de l’espace et sa démesure dans le temps.Beaucoup d’amour pour si peu de ciel. Ainsi nous, poètes, sommes les nouveaux sourciers, sans lesquels les peuples mourraient de soif près des fontaines asséchées. Grâce aux voyants, aux voleurs de feu que sont les artistes, les Fleuves étincelants de l’espoir irrigueront à jamais le Saharades consciences, et le flot impétueux drainera des femmes et des hommes de cœur, pour porter haut la flamme vibrante d’amour, au péril de leurs vies.
(Avril 07)
James Noël