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Billet de blog 29 juin 2013

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Une barbarie camouflée sous les étendards d’idéaux civilisateurs: conversation avec Mathieu Bélezi

C'est à Rome que j'ai rencontré Mathieu Bélezi, étonnant romancier aux mots qui détonnent, « des mots qui avancent avec une crinière autour du cou », pour reprendre un vers d'Aimé Césaire. Je profite du centenaire de l'auteur du fameux Discours du colonialisme pour publier enfin ma conversation avec l'auteur Des vieux fous qui, dans un autre registre, nous parle d'une barbarie camouflée sous les étendards clinquants d'idéaux civilisateurs.

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C'est à Rome que j'ai rencontré Mathieu Bélezi, étonnant romancier aux mots qui détonnent, « des mots qui avancent avec une crinière autour du cou », pour reprendre un vers d'Aimé Césaire. Je profite du centenaire de l'auteur du fameux Discours du colonialisme pour publier enfin ma conversation avec l'auteur Des vieux fous qui, dans un autre registre, nous parle d'une barbarie camouflée sous les étendards clinquants d'idéaux civilisateurs.

Illustration 1
"d.r."

JN-Mathieu Belezi, après « C’était notre terre » voilà que paraît au Livre de Poche « Les Vieux fous », roman qui peut très bien se lire indépendamment du précédent, bien que « Les Vieux fous » semble être une sorte de prolongement de « C’était notre terre », un approfondissement du travail que l’écrivain Belezi accomplit sur l’Algérie coloniale, enfin je dirais plutôt sur la colonisation. Une question à brûle-pourpoint pour commencer : l’illustration de couverture, très surprenante, provocante même quand on sait ce que raconte votre roman, où l’on voit un homme à la chair imposante danser une sorte de gigue insouciante et endiablée, est-ce vous qui l’avez choisie ?

MB- C’est sur une proposition de l’équipe du Livre de Poche qui, à partir d’un court texte que j’avais envoyé, texte définissant ce qui me paraissait être l’essence même du roman, son rythme endiablé, sa fureur baroque, son emportement ivre, m’a envoyé quelques photos, et à partir de ces photos j’ai choisi celle qui me semblait la plus proche, la plus à même d’illustrer la musique essentielle de ce texte, sans laquelle je n’aurais pas pu raconter l’histoire délirante de cruauté et d’insouciance d’Albert Vandel, satrape rayonnant du haut de ses cent cinquante ans de chair épanouie, roi des rois de ce vieux monde assassin, dernier spécimen d’une époque coloniale qui en quelques siècles et au nom d’une marche résolue vers le progrès, a dévasté le monde. Et c’est cela que devait exprimer l’illustration de couverture, vous comprenez, cette colonisation triomphante et délirante, plutôt qu’un énième souvenir d’une guerre d’Algérie dont on ne cesse de nous parler, sans jamais chercher à savoir où le mal a pris ses racines.

JN- Justement, c’est ce que ce roman se propose de montrer à travers la vie d’Albert Vandel, à travers la démesure de sa vie qui est racontée un peu à la façon dont les écrivains sud-américains de l’après-guerre, les Carpentier, Asturias, Garcia Marquez et Roa Bastos, racontaient la vie des roitelets tyranniques de leurs pays, ces Goliath ventripotents et monstrueux...

Illustration 2

MB-Oui, je me suis souvenu de mes lectures des années 70, de cette grande époque de la littérature sud-américaine. Sûrement que les auteurs que vous citez, et bien d’autres, m’ont aidé à trouver les instruments me permettant de faire sonner les mots, de rythmer les phrases et les chapitres comme je l’entendais. Car c’est à une composition musicale que je me suis avant tout attelé, multipliant les cadences, opposant dissonances et harmonies, jusqu’au délire, jusqu’à la bouffonnerie. C’est cette liberté-là qui m’a permis d’aller si loin et d’entrer si profondément dans la mémoire coloniale, pourtant soigneusement tenue enfermée dans les placards de l’Histoire.

JN- Et par ce travail musical le lecteur malgré lui est emporté jusqu’à la dernière page du roman par une onde, un mascaret dévastateur…

MB- Je l’espère, en tout cas. En ce sens je peux dire que c’est un roman théâtral, c’est-à-dire qu’il pourrait être lu sur la scène d’un théâtre, même si la lecture durait six heures, car l’effet mascaret comme vous dites, cet effet de vague déferlante jouerait à plein. Le comédien Charles Berling en a fait l’expérience en s’emparant deux fois de la voix tonitruante d’Albert Vandel, à la friche de La Belle de Mai à Marseille et au théâtre de l’Odéon à Paris.  chaque fois sa lecture n’a pas duré plus d’une demi-heure, trois quart d’heure au maximum, mais les spectateurs en sont ressortis sonnés, abasourdis, tant Charles Berling emportait loin le texte, dans sa dimension la plus folle et la plus violente, une dimension proprement théâtrale.

JN-Il y a pourtant des scènes quasi insoutenables, une violence justement qui peut faire peur et pousser le lecteur à se détourner des réalités d’une histoire qu’il connaît mal…

MB- Mais cette violence n’est pas inventée, pas même exagérée. Le sujet de la colonisation est trop sensible pour faire, même dans un roman, de la surenchère gratuite sur la question de la violence, et croyez-moi, je me suis bien gardé d’en faire. Il m’a suffi d’aller chercher les bons documents, ils existent, les archives de ces époques peuvent à présent être consultées, les historiens travaillent, publient des livres édifiants. Et puisqu’à travers cette mise au jour de vérités si longtemps refoulées ce sont nos discours et nos mythes qui sont en train de s’effondrer, profitons-en pour ouvrir grand les yeux, pour regarder en face la barbarie de l’homme blanc occidental, notre barbarie, depuis toujours camouflée sous les étendards clinquants d’idéaux civilisateurs.

JN- Pouvez-vous dire qu’à travers l’écriture de ces deux romans, votre vision du monde a changé ?

MB- Oui, profondément… enfin c’est surtout ma vision, ma compréhension du monde occidental qui a changé, et celle de l’Europe spécialement. J’ai compris combien ce qui a été enseigné aux écoliers français, et aussi allemands, espagnols, italiens, portugais, pendant des siècles et avec une rare obstination, combien cet enseignement pervers était faux, combien les connaissances transmises reposaient sur des mensonges, les mensonges de l’homme blanc occidental omnipotent et bienfaiteur. C’est de cette façon que l’Europe a pillé en toute impunité le reste du monde, et c’est bercé par les illusions de ce récit fondateur que les écoliers français, allemands, espagnols, italiens ou portugais en sont restés au mythe, grandissant, devenant adultes mais campant toujours sur des positions qui ne peuvent plus aujourd’hui être défendues. Car le temps de la colonisation triomphante est révolu. Vous, poète haïtien, le savez encore mieux que moi.

JN- À travers ces deux romans, pensez-vous avoir dit ce que vous aviez à dire sur la colonisation en général et l’Algérie française en particulier ?

MB- Non, pas tout à fait. Vous savez, dans ces deux romans, j’ai donné surtout la parole a des colons puissants, riches, à ceux qui avaient en main le destin de l’Algérie française. Et je me suis aperçu que j’avais besoin de faire entendre aussi la voix d’un colon pauvre. Alors je me suis remis au travail et j’ai laissé parler une femme, Emma Picard, à qui le gouvernement français offre 20 hectares de terre dans le sud oranais. Cette femme raconte son installation dans les années 1860, sa misère, ses peines, et ses terribles échecs. Après « C’était notre terre » et « Les Vieux fous », ce nouveau roman montre l’envers du décor, la face obscure, sans gloire, de la colonisation.

Date de parution: 10/04/2013    

Editeur d'origine:  Flammarion,  504 pages

ISBN:  9782253167426

Liens utiles:

http://www.encres-vagabondes.com/magazine/belezi.htm

http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2648p076-077.xml0/

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