La molécule qui bouche le port de Marseille
Peut-on parler sereinement de la polémique qui entoure les travaux du professeur Raoult, et plus précisément du conflit entre la pratique volontariste de l'IHU Méditerranée et les tenants d'une prudence plus « scientifique » ?
En un mot, peut-on en faire une analyse « objective » ?
"Objectivité, mon cul !" répond la gamine privée de métro depuis plus d’un mois.
Elle a raison. D’ailleurs, ces temps-ci, on dirait plutôt : "Objectivité, faux-cul !"
N’est-ce pas, Usul ? (dsl pr la rime, comme on dit)
Sur Mediapart, le chroniqueur a ouvert les guillemets le 30 mars dernier pour nous délivrer un chef d’œuvre du genre 1
A une introduction d’un bon niveau de première année d'école de journalisme (Je pose la problématique : "vrais espoirs ou faux semblants", puis je vais peser le pour et le contre et enfin je vous donnerai ma conclusion), succèdent huit minutes de moqueries, de sous-entendus, d'amalgames. Tout y passe : le look du barbu-chevelu, ses amitiés politiques et le favoritisme local qui va avec (On est sur les bords de la Méditerranée, suivez mon regard...), le financement de son institut, obtenu on ne sait trop comment (Grâce à ses compétences et sa ténacité, peut-être ?). Tout juste manque-t-il une ébauche d’enquête sur la stratégie médicale suivie, la nature du traitement, sa mise en œuvre. Pas la peine, on n'a pas le temps, tout est déjà plié, rangé, étiqueté. Si on accorde un quelconque crédit aux travaux de ce Marseillais, on est forcément d'extrême droite, on fréquente les sites complotistes, on aime Dieudonné. Et Usul a même reconnu, derrière le bureau du maître, une référence à l’un des forums sulfureux du site jeuxvideo.com. Reconnaissons qu’il fallait le voir, ce « Yorarien » ; on s’incline devant l’expertise de l’ancien fidèle.
Au delà de la forme vaguement anar habituelle, cette chronique transpire l’académisme et le conformisme télévisuels. Apathie est au tapis. Pour le côté canaille, on dirait du Michel Cymes, et, pour le fiel, du Patrick Cohen. Merci à Usul de nous avoir montré son vrai visage. Il ne nous avait pas encore dévoilé cette partie de son anatomie.
Ces huit minutes et vingt-deux secondes ont du moins le mérite de nous rappeler ce qui cristallise les oppositions depuis un bon mois. Le traitement intéresse moins que son promoteur (Raoult) et le lieu où il est mis en œuvre (Marseille). On met l'accent sur le personnage, son côté provocateur, ses coups de gueule, on filme les files d’attentes dans la rue, les banderoles, les taxis et les éboueurs qui klaxonnent. Bref, on folklorise le cadre du débat pour suggérer la beaufitude.
Même les critiques qui pourraient être fondées se transforment en jugements de valeur ou en condescendance moralisatrice, par exemple dans la bouche de Karine Lacombe, la nouvelle coqueluche (si l’on peut dire…) des rédactions raisonnables et du gouvernement Philippe :
- « Expérimentation en dehors de toute démarche éthique ». Et toc! La morale, c’est pour Raoult et l’IHU.
- « Certaines personnes qui n’ont pas le recul scientifique pour évaluer un traitement, et bien, cette personne, elle va croire ». Et vlan! l’inculture et la soumission à la « pensée magique », la foi plutôt que la raison, c’est pour nous, les ploucs, ceux qui n’ont pas fait d’études de médecine, qui ne travaillent pas dans un grand hôpital parisien ou pour un labo américain, nous autres les provinciaux, les cadets de Gascogne de la littérature scientifique.
C’est vrai, je ne suis pas médecin, mais, comme je sais quand-même lire (et m’exprimer avec une syntaxe correcte, Mme Lacombe), je me suis dit que je pourrais peut-être trouver, pour contrebalancer les publications de l’IHU de Marseille, non pas une réfutation en trois jugements péremptoires, mais une véritable analyse critique, sérieuse, indépendante, « ob-jec-tive » de l’essai clinique sur l’hydroxychloroquine, et, je l’espère, une remise en question fondée des données présentées.
Je viens peut-être d’en trouver une (à charge) mais c’est ardu. Il faut que je prenne le temps de la lire. Peut-être pourrai-je en rendre compte dans mon prochain billet de blog.
En attendant, j’ai pensé aussi que, dans cet échange d’horions entre les détracteurs de Raoult et ses défenseurs, on entendait peu la voix des généralistes, de "la première ligne de la médecine de ville", comme on l'appelle désormais. J'ai donc appelé mon toubib, pour voir. C'est un vieux toubib, la soixantaine bien sonnée et plus de trente ans à m'ausculter et à me dire que je bois trop. C'est dire s'il voit juste.
Il avait justement du temps à me consacrer :
"Mon cabinet est vide. Tout le monde a trop la trouille pour venir consulter"
Il me certifie que tous ses potes, et même des collègues éloignés de sa conception un peu gaucho de la médecine, pensent la même chose que lui, et qu'à son avis, faute de mieux, la plupart des médecins prescriraient du Plaquenil à leurs patients dès les premiers symptômes s'ils en avaient l'autorisation... et s'ils en avaient tout court. D'ailleurs (je ne dois pas le répéter) il en a dans sa pharmacie personnelle, au cas où...
Il me dit surtout qu'on ne peut pas se tromper sur l'utilité du traitement.
"- Tu comprends, Jean (on se tutoie), je parle de son utilité, pas de son efficacité.
- Heu, là, non...
- C'est simple. Le traitement à base d’hydroxychloroquine n'est pas un médicament contre le Covid 19. Personne ne dit ça, même pas Raoult. On peut tester le truc scientifiquement tant qu'on voudra, on ne lui reconnaîtra évidemment jamais ce statut. On pense juste que la molécule, associée à un antibiotique, peut être utile pour diminuer la charge virale dans les premiers jours de la maladie. Et vu que, pour l'instant, il n' y a aucun traitement efficace, on fait quoi ? Tu m'as compris.
- Oui, mais la preuve scientifique ? Les groupes témoins ? Les effets secondaires ?
- Tu te fous de ma gueule ? Les effets secondaires du Plaquenil sont archi connus depuis le temps qu’on s’en sert contre le palu, le lupus, et bien d’autres maladies. Ils sont tellement minces qu’il était encore délivré sans ordonnance jusqu'au mois de janvier dernier. C'est dégueulasse de mettre en avant les indésirables au lieu des bénéfices pour la santé. Toutes les molécules et tous les médicaments ont leurs contre-indications. Il suffit de de faire attention et d’éviter l’auto-médication. Tu veux que je te parle des effets du sildafenil sur tes moyens cardio-vasculaires ?
- Heu, non merci...
- Et tu me causes "groupe témoin" ? Témoin de quoi ? Si j'ai dix malades en danger, tu crois que je vais donner le médicament à la moitié d'entre eux pour bien vérifier que l'état des cinq autres s'aggrave davantage ? Les malades ne sont pas des souris de labo. Et on ne fait pas de l'expérimentation, nous, les médecins, on soigne. Le vrai traitement, on l'aura un jour, mais un toubib ça ne fait pas de la recherche, ça soigne. Tu m'entends ? A Paris, je ne sais pas, mais à Marseille, on soigne. »
Bien sûr, ce n'est que mon toubib, mais il m'a convaincu. La différence entre utilité et efficacité est subtile et contestable, on pourrait peut-être formuler ça autrement, mais je comprends ce qu’il veut dire. Je sais, ce n'est pas "scientifique" et si chacun consulte son propre généraliste, il entendra peut-être un autre son de cloche. Si j’ accorde quelque crédit au mien sur cette question, c’est qu’il est tout sauf un couillon prêt à suivre aveuglément le premier gourou venu. Tout sauf paniquard, tout sauf prêt à « croire » à un médicament miracle, à tomber dans la « pensée magique ». Pas plus cartésien que lui, pas plus méfiant contre les dernières merveilles de l’industrie pharmaceutique et la médecine spectacle.
Quand nous avons raccroché, une question me brûlait les lèvres, mais je ne l'ai pas relancé davantage sur sa dernière phrase ; car mon toubib a un gros défaut : il est toulonnais, ascendant corse...
Moi qui ne suis ni l'un ni l'autre, je me moque bien de l'antagonisme Paris-Marseille, je ne suis pas supporter de foot, Marcel Pagnol m'ennuie et, de Giono, je ne retiens qu' un Roi sans divertissement, son roman le moins provençal.
Pourtant, parmi toutes les traces que laissera l'épisode traumatique actuel, toutes les taches qu'il sera difficile de nettoyer et qu'on ne pourra que masquer, et les affreux trous au fond desquels on devra se souvenir que quelques monstres tapis ne dorment que d’un œil, je sens que quelque chose de très vieux a ressurgi :
« A Paris, je ne sais pas, mais à Marseille on soigne ». Il y a de la rancœur dans cette phrase. Elle ne date pas d’aujourd’hui mais la crise du coronavirus l’exacerbe. La sourde colère des habitants de « province » répond au mépris hautain des « sachants » de la capitale.
Le pire est que si les uns en ont conscience et s’en trouvent tous les jours humiliés, les autres ne se rendent même pas compte qu’après la crise des Gilets Jaunes, une autre fracture est en train de s’ouvrir. Je viens de regarder le dernier reportage de BFM TV sur Raoult ; les clichés ont la vie dure : Le soutien populaire, c’est l’O.M, plus loin, un Marius moderne exhibe fièrement sa banderole, et voici une gentille Fanny qui s’inquiète pour sa santé avec son joli petit accent chantant (elle est mignonne mais un peu naïve, quand-même...). Si le bateau de Panisse n’était pas en cale sèche à cause du confinement, sûr qu’on irait interviewer les poissonnières en bas de la Canebière.
Je m’interroge :
Et si, dans le refus d’accorder quelque crédit à ce qui se fait à l’IHU de Marseille, il y avait au fond, l’impossibilité d’y voir autre chose qu’une galéjade pagnolesque ?
« Le Nobel pour Raoult ? Allons donc, tout au plus un César ! »
Et puis, c’est bien connu, ici, on exagère toujours :
« Ce n’est plus la sardine, mais la chloroquine, qui bouche le port de Marseille. »
Et si cette attitude infantilisante suscitait en retour les excès d’émotion et de rage de toute une ville ?
Et au-delà, la colère de ce que les Parisiens appellent « la province » ?
Ou nous conduit-elle, cette dispute autour d’une molécule ?
Ah ! Zut, elle est tenace, cette fichue rime !
C’est ta faute, Usul !
1https://www.mediapart.fr/journal/france/300320/usul-didier-raoult-et-sa-chloroquine-vrais-espoirs-ou-faux-semblants