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Billet de blog 29 avril 2020

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Premier article d'un nouveau blog

Pourquoi commencer ici et maintenant ? C'est une petite boule vorace qui m'a décidé à sauter le pas. Je ne me lance pas à cause de ça, mais à cause d'eux, à cause de ceux qui peuvent me faire mourir de ça. Et voilà comment un blog éphémère de plus est né.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pendant des années, j'ai jeté sur du papier, puis sur des claviers, des fulgurances ou des ruminations, stockées va savoir où, dans des dossiers poussiéreux, sur des sauvegardes numériques incertaines, dans les clouds brumeux.
Et puis, j’ai arrêté.
J'ai voyagé longtemps, loin, pas comme tout le monde, et j'ai tenu un journal de bord en ligne. Ce sont mes seuls écrits personnels.
Alors, payer pour écrire, je n'y avais jamais pensé.
C'est une petite boule vorace qui m'a finalement décidé à sauter le pas.

Si je dis que je vais sur mes 70 ans et que je réalise subitement que je peux entrer demain à l'hôpital en reniflant et toussotant pour en ressortir les pieds devant dans une semaine, je fais rire, ou pire, j'ennuie tout le monde, moi le premier. A ma décharge, ce n'est pas tant la peur de la mort ni l'idée de la mort, ni même le désir forcené de ne pas mourir qui me taraude, mais bien le refus de mourir hic et nunc, ici et maintenant, à cause de ça.
Ou plutôt à cause d'eux, à cause de ceux qui peuvent me faire mourir de ça.

Pour la première fois, je réalise concrètement que ma vie dépend de l'impéritie et de l'arrogance d'une cohorte de spécialistes, urgentistes, épidémiologistes, infectiologues, immunologues, sociologues, virologues, réanimateurs, modélisateurs, chefs de services ou directeurs d'hôpitaux, de l'Assistance Publique ou d'agences de santé, promus consultants ou conseillers scientifiques auprès de hauts fonctionnaires, secrétaires d'état, ministres, tout aussi ignorants que hautains, sûrs d'eux et moralisateurs, professant sans vergogne et tour à tour une doctrine et son contraire, nous assignant des conseils, des consignes, des interdictions humiliantes, des obligations inapplicables, couvrant leurs erreurs par des mensonges, leurs mensonges par des accusations et leur lâcheté par des menaces, toujours avec le même aplomb moralisateur.
"Gestion calamiteuse, injonctions odieuses", ai-je entendu hier à la tribune de l'Assemblée. On ne saurait mieux dire.

Les masques non commandés, d'abord déconseillés, puis tolérés, puis obligatoires mais toujours introuvables, les tests nécessaires pour tous mais pas disponibles pour tout le monde, tout cela me mine et me tue plus sûrement que le virus lui-même, comme un soldat mal commandé qui peste, impuissant devant l'imbécillité des vieilles ganaches de l'état-major s’apprêtant à ordonner l'assaut sur la tranchée adverse, comme un ouvrier sans papiers à qui le patron intime de grimper à un échafaudage branlant, comme...comme... en somme je découvre tout ce que je sais déjà sans l'avoir vécu.

Enfant de mai 68, biberonné aux écrits de Debord et Vaneighem, je sais pourtant que ma vie est sous l'emprise du spectacle et qu'échapper aux différentes formes d'aliénation mortifère des pouvoirs est une illusion si je ne consacre pas à la lutte chaque minute de mon existence.  Disons plutôt que je ne l'ignorais pas mais que j'ai fait comme si.
Et voici que les petits hommes me placent aujourd'hui devant l'évidence de "la perte du vivant de ma vie".

Dès lors, dans le capharnaüm médiatique et politique qui nous submerge depuis plus d'un mois, suis-je capable d’un sursaut ou au moins d'un peu de lucidité ? Que dirait un situ sur la crise du coronavirus ? Saurait-il ironiser sur les véritables chances de sauver encore la société spectaculaire marchande ? Aurait-il l’élégance de ne pas participer aux disputes familiales autour de la chloroquine et du redemsivir, de ne pas se mêler aux échanges aigris entre copains sur les messageries ?

A ce propos, il faut se féliciter que le confinement imposé nous empêche de nous réunir et nous oblige à rejouer la tablée de l'affaire Dreyfus à bonne distanciation sociale ! Il n'empêche, ces disputes épistolaires où l’oral déteint sur l’écrit laisseront des traces ailleurs que sur la nappe du dessin de Caran d’Ache. "Ils en ont parlé", et ils s’en sont salis.

Verba volant, scripta manent ?
Non, maculae manent, scripta consolantur. 

Salut à Toi, dame Bêtise, qui m’a redonné le goût d’écrire.

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